Chapitre 61. Les foulards
Le jour suivant fut difficile pour Ninon qui refusa de manger, quoi que l’équipe ou que Louis fasse pour l’y inciter. Elle risquait de devoir être gavée si elle n’avalait rien. Inquiet, Louis passa voir Rachel, dans son unité, avant d’aller tenter, à nouveau, de nourrir Ninon en néonatologie.
— Rachel, tu ne veux vraiment pas venir avec moi ?
— Non Louis, je ne veux pas m’attacher à elle.
Il persévéra,
— Elle n’a bien mangé qu’avec toi…
Sentant son insistance, Rachel argumenta,
— Elle a besoin d’apprendre à connaître Flore ! C’est à elle qu’elle doit s’attacher, c’est à elle de nourrir Ninon.
Louis souffla doucement puis avoua,
— Flore est un peu raide avec elle, tu sais… Et Ninon le sent bien, hélas.
Rachel soupira. Louis reprit, sur un ton plein d’espoir.
— Tu accepterais de me passer ton foulard ?
Surprise, elle balbutia,
— Mon foulard ? Pourquoi ?
— J’ai envie d’essayer quelque chose, avec Ninon.
Elle répéta, dans un murmure,
— Avec Ninon…
Rachel haussa les sourcils et les épaules puis détourna le regard. Louis renchérit,
— Oui, je voudrais voir si elle réagit, ou pas, à ton odeur.
Rachel leva les yeux au ciel puis les ferma. Elle songea,
Mais, arrêtes Louis ! Je ne veux pas qu’elle ait un lien avec moi !
Finalement, pleine de dépit et sentant qu’il ne lâcherait pas l’affaire, elle lui répondit,
— Si tu veux, Louis, tiens !
Elle dénoua puis lui tendit son foulard tout en faisant état de son scepticisme.
— Je ne suis pas sûre du tout que cela fonctionnera, tu sais, mais essaye, si tu veux faire des expériences. Là, moi je m’en vais, je dois retourner bosser.
Elle lui caressa les cheveux en passant à côté de lui puis tourna les talons… Elle ne voulait pas qu’il la voie les yeux pleins de larmes.
Elle aimait la capacité de Louis à être créatif et enjoué, mais là, pour elle, la donne était différente. Elle avait peur qu’il ne s’attache à Ninon… Son engouement actuel démontrait un intérêt certain pour ce nourrisson. Au fond d’elle, elle espérait que son « expérience » ne porterait pas de fruits, mais elle ne pouvait oublier la façon dont Ninon s’était calmée dans ses bras. Et ce que son corps lui avait envoyé comme message. Elle soupira puis ouvrit la porte de l’unité où elle travaillait.
De son côté, Louis avait gardé le foulard de Rachel dans ses mains. Après l’avoir plié, il l’approcha de son nez, il sentait « Rachel ». Il ferma les yeux et songea,
Je sais que tu ne veux pas t’attacher Rachel, mais elle ne semble s’attacher à la vie qu’avec toi… C’est peut-être un signe, non ?
Une fois auprès de Ninon, il déposa le foulard près du nourrisson et l’observa avant d’aller chercher un biberon rempli.
Elle ouvrit les yeux, tourna son visage du côté du foulard et ouvrit la bouche en sortant la langue… Louis sourit, comme il l’avait espéré, elle réagissait à l’odeur de Rachel.
Une fois le biberon en main, il la prit dans ses bras, en peau à peau, avec le foulard de Rachel pour l’enrober.
Ninon téta le biberon plus énergiquement qu’à son habitude, selon la petite expérience de Louis avec elle. Une fois le biberon terminé, Ninon bailla puis ouvrit les yeux et ramena ses mains sur son visage. Elle mit ses doigts dans sa bouche et sembla téter.
— Tu en veux plus, Ninon ?
Louis interpella une infirmière qui lui rapporta un second demi-biberon en tentant d’évaluer la situation,
— Eh bien, elle se remet à manger la demoiselle ?
Souriant, Louis lui expliqua le pourquoi du changement,
— Oui, j’ai ramené l’odeur de ma femme avec le foulard et hop, la voilà qui mange sans broncher et qui recommence à faire des sourires.
— Ah oui, l’odeur, c’est important… Les bébés reconnaissent leur maman à l’odeur plus qu’au son de la voix.
Un peu mal à l’aise, il précisa,
— Ma femme n’est pas sa mère biologique.
— Ah…
— Je crois que tout simplement le courant passe bien entre Ninon et ma femme. Mais j’aimerais que le contraire s’opère aussi…
L’infirmière hocha la tête,
— Désolé, oui, j’avais zappé que la mère biologique est celle qui est retournée en prison, celle qui avait tout fait pour la maltraiter in utéro, c’est ça ?
— En gros, oui.
— Et Madame, elle n’a pas l’occasion de venir la voir ?
Avec un demi-sourire, il expliqua,
— Non, elle a peur de s’attacher à Ninon, cette petite sera élevée par sa tante, en Angleterre, dès qu’elle pourra sortir de néonatologie.
— Ah oui, je comprends… Bon, je vous laisse continuer à la nourrir, tant qu’elle prend, c’est tout bon pour elle.
Louis lui présenta le nouveau biberon, elle l’avala rapidement et éructa tout aussi vite. Puis Ninon s’endormit dans les bras de Louis.
Il la replaça dans le petit lit, avec le foulard de Rachel à proximité, pour qu’elle ait son odeur à côté d’elle, puis fila manger, lui aussi.
Louis expliqua cela à Rachel le soir même, tout heureux de lui démontrer que cela fonctionnait et que Ninon allait probablement pouvoir rapidement prendre du poids et survivre.
Rachel l’écouta avec un demi-sourire ; plusieurs sentiments se bousculaient en elle ; la crainte qu’elle avait eue ce matin se confirmait mais était tempérée par le bonheur qu’elle avait de le voir aussi emballé, comme il avait toujours été avec ses enfants, il avait toujours été plein de créativité. Elle aimait ce côté-là chez son époux, mais ce qui la perturbait, c’était de le voir s’attacher à l’enfant d’Ambre… Rien que de songer à cet aspect-là, Rachel sentit son sang se glacer et une angoisse monter en elle.
Les jours suivant, Louis demanda à Rachel de porter tous les jours un foulard pour qu’il puisse le ramener à Ninon, Rachel accepta, avec un pincement au cœur.
Les jours passèrent, aux dires de Louis, cette petite ne mangeait correctement qu’avec son odeur à proximité, elle avait pris 300g depuis que Louis ramenait ses foulards.
Rachel ne savait plus quoi penser… Elle était perdue.
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