Madame toc se rassure : les blessures du coeur. 

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J'ai encore gardé l'habitude de me dire que si je réussis à monter les marches avant d'avoir fini de compter jusqu'à dix, je serai repérée parmi la foule au concert de mon chanteur préféré. J'ai lu hier dans un journal que ça passait avec l'âge, ça m'a fait peur. Après, je me ressaisis et je comprends qu'il faudrait arrêter de croire à tous ces que les autres disent, simplement parce qu'aucun fait n'est vérifié puisque nous sommes tous différents. Pourquoi n'aurai-je pas le droit d'y croire ? Je ne sais pas si je me rassure avec toutes ces bêtises parce que ça vient de mon enfance. J'ai fait sonner l'alarme je ne sais combien de fois, creusé des mètres sous les profondeurs de mes souvenirs, je n'y trouve rien. C'est ça, le pire : ne pas pouvoir toucher du doigt le souci. Lorsque je l'effleure, je sais comment me soigner. En l'occurrence, là, je n'ai pas de remède pour guérir. Un manque de mon père ? Une souffrance éphémère ? Du harcèlement de la part de mes camarades ? Des commentaires hideux à propos de mon physique ? Une timidité maladive ? Une procrastination, de la frustration ? Un besoin de reconnaissance et une peur de l'abandon ? Rien ne me parle pourtant je me retrouve dans presque tout, c'est effrayant. J'avance comme ça, délicatement et sur la pointe des pieds, presque.

Le truc, c'est que c'est une banalité mélangée à tout cela. Je n'ai pas vraiment eu de père, mais pas au point de manquer d'amour. Mes parents se sont séparés, mais ça ne m'a pas traumatisé. On s'est moqué de moi, pas jusqu'au harcèlement. Un garçon m'a fait du mal mais cela ne m'atteint plus. C'est la somme de toutes ces causes qui a déclenché un besoin d'être rassuré, constant, pourtant. Je me rassure toute seule. Je vérifie mon réveil six fois, je compte jusqu'à trente avant d'entrer dans un bâtiment, je fais des détours avant d'aller dans les soirées et je ne sors jamais tant que je ne me sens pas impeccable. Le truc, c'est que c'est la naissance de l'effet papillon. Laissez-moi vous expliquer. J'ai toujours eu l'impression de ne jamais être suffisante. Mes notes ne suffisaient pas, mon visage ne suffisait pas, ma personnalité et ma timidité non plus. Donc forcément, je ne me suffisais plus. Je n'ai pas eu une enfance triste mais heureuse, seulement elle a été agrémentée d'une baisse d'estime qui n'a fait que s'intensifier. A cause de la maîtresse d'école, à cause des élèves, à cause de la famille de mon père et forcément, à cause de moi-même. Je me souviens avoir en tête ce souvenir précis, à l'âge de sept ans, de me dire : mais pourquoi est-ce qu'à chaque fois que je suis là, rien n'est suffisant ? Et cela a perduré avec l'âge, sauf qu'à l'adolescence j'ai enfilé un beau costume de reine, doté d'un bouclier qui n'atteignait rien. En somme. C'est une armure mais elle n'est pas invincible. Lorsque tout m'est revenu au visage, ça m'a fait l'effet d'un élastique envoyé à dix mètres de moi qui m'arrive en plein dans la figure. La douleur est si puissante qu'elle ne permet plus de penser à quoi que ce soit d'autre qu'elle.

Il y a quelques années, j'ai réalisé que plus j'essayais de porter des costumes, moins ça fonctionnait. Lorsque j'ai tout enlevé, me retrouver nue devant tout ce monde fût compliqué, mais bénéfique pour mes blessures à éponger. J'ai pris des éponges, les plus douces possibles, et j'ai frotté lentement pour essuyer les bavures et éraflures de tout ce qui avait été infligé. J'ai cru que c'était trop abîmé pour être réparé, je vous l'assure. J'ai constaté qu'à chaque fois que j'essayais d'être la plus gentille et généreuse possible, je me retrouvais écrasée, piétinée et derrière les autres. Ils prenaient plus de place, ils étaient sûrement plus forts et moins vulnérables. Je me demandais souvent : pourquoi pas moi ? Pourquoi je n'ai pas leur chance ? Pourquoi ils arrivent à approcher cette personne que j'aime tant et moi non ? J'ai compris que ce n'était pas une chance, mais parfois une opportunité. Par contre, je n'ai pas eu envie de les copier, être méchante ne m'intéresse pas. J'ai toujours ce sentiment d'injustice envers moi-même qui me traverse, ça c'est sûr, à me dire que les autres ont tous quelque chose en plus que moi. Mais les blessures de mon cœur se sont apaisées lorsque j'ai commencé à m'écouter. J'ai cessé de chercher l'amitié, qui m'importait et que je recherchais dans chaque âme qui croisait mon passage, je faisais tout pour plaire, pour faire rire et ça marchait. Mais c'était temporaire. J'ai accepté que j'aimais la solitude bien plus que je ne le pensais, mais que je me l'étais cachée au point de le nier. En vérité, je préfère être seule qu'accompagnée mais parce que la société dicte que ça fait de la peine, je me sous-estimais. Lorsque j'ai su m'entendre, je me suis acceptée et c'est parti, les concerts seule, les restaurants seule, aucune déception, aucune comparaison, un partage entre la petite fille et l'adulte, quoi de mieux. Et m'ouvrir davantage parce que finalement je suis seule, mais je ne me sens jamais seule. Je rencontre plus de monde en faisant des choses seule qu'en flottant parmi les autres comme un zombie, les bras devant moi pour espérer toucher quelqu'un. En compagnie, je me sens obligée, pas à ma place, je ne trouve pas mes mots et je suis invisible. Obligée de parler, de me décrire, obligée de m'ouvrir, de rire aux blagues que je ne saisis pas, obligée de faire des concerts alors que je les préfèrent seule.

Depuis que j'ai compris tout cela, je suis heureuse. Sincèrement. A l'heure où j'écris ces lignes, madame toc fait de moins en moins son apparition, preuve que l'apaisement s'est confortablement installé dans mon cœur. Je sens que les battements sont calmes, ma respiration est moins hachée. Je ne suffis peut-être pas aux autres, mais je me suffis à moi-même. Et ça, je suis certaine que ça se voit parmi une foule de personnes dans un concert...

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