Le Kojiki, Chronique des faits anciens
Le Kojiki, ou chronique des faits anciens, raconte dans le premier de ses trois livres la création du monde, tout comme cela peut paraître dans la Bible ou bien le Coran . Néanmoins, à l’instar des livres cités ci-dessus, celui-ci n’est pas considéré comme étant un livre sacré. En effet, on pourrait plutôt le qualifier de recueil des mythes shintoïstes concernant l’origine des îles formant le Japon et des dieux (kami). Il fut écrit par Yasumaro, un noble, bureaucrate et chroniqueur japonais, sous la demande de l’impératrice Gemmei qui reçut son travail en 712. C’est Are Hiyeda qui raconta à Yasumaro ce qu’il avait retenu des dires anciens. Il faut savoir que le shintoïsme est un ensemble de croyances au Japon, datant de l’époque antique, mettant en scène un panthéon de kami.
Pour cet écrit, nous allons nous intéresser au premier livre du Kojiki, celui narrant la création du monde et des dieux japonais, tout en ponctuant notre lecture d’une approche occidentale, c’est-à-dire en étudiant ce qu’il y est raconté avec un point de vue occidental. Dans un premier temps, nous parlerons des kami Izanagi et Izanami. Ensuite, nous conterons l’histoire des dieux Amaterasu et de Susanô. Pour finir, nous verrons la pacification du Japon selon le Kojiki.
Nous nous baserons sur le Kojiki traduit par Pierre VINCLAIR et calligraphié par Yukako MATSUI, publié en 2011 par la maison d’édition le corridor bleu ( cf Annexe ). Pour information, Pierre VINCLAIR est un écrivain français né en 1982. Il vit à Shanghai et a publié un roman L’Armée des chenilles chez Gallimard et un recueil de poésie Barbares chez Flammarion. En 2010, il résida à la Villa Kujoyama de Kyoto où il commença l’écriture de sa reprise du Kojiki. Quant à Yukako MATSUI, elle est née en 1974 à Tokyo où elle vit et travaille. A l’âge de six ans, elle commence son apprentissage de la calligraphie, qu’elle poursuivra dix-huit ans sous la direction du même maître. Elle enseigne la calligraphie depuis 2010 dans un cours qu’elle a crée « L’atelier Shodô ».
I) Izanagi et Izanami, kami co-créateurs du monde et du Japon.
Yasumaro raconte qu’au départ il n’existait que le chaos « ni la force, ni la forme n’étaient manifestes » (p13). Ce schéma se rencontre aussi dans la mythologie grecque puisque avant sa création, le monde n’était gouverné que par le chaos. Puis le ciel et la terre se séparèrent et alors trois Supérieurs(1) ont commencé la création du monde. Au début, plusieurs kami vont se générer seuls, la Terre à ce moment-là n’était qu’une flaque d’huile, comme « une méduse dans la mer » (p21). Parmi ces Supérieurs, vont naître Izanagi et Izanami(2) qui vont recevoir pour mission, par les autres kami, de former la Terre.
Ainsi, à l’aide d’une lance céleste, ces derniers vont la planter dans la flaque d’huile et tourner jusqu’à ce qu’apparaisse une première île(3). Mais ce n’est pas tout, les deux kami vont aussi se reproduire afin de donner naissance à d’autres Supérieurs qui vont par la suite former tout ce que contient la nature : les îles , les montagnes, les fleuves, le vent… Nous pouvons encore une fois comparer cette partie de l’histoire avec la mythologie grecque. En effet, dans cette dernière, les dieux vont aussi se reproduire, donnant naissance à d’autres représentant des éléments ou des concepts dans le monde. Néanmoins, nous pouvons donc comprendre que selon le Kojiki, le monde n’a pas été créé en six ou sept jours comme peut l’expliquer la Bible ou le Coran. Par ailleurs, à l’instar du christianisme et de l’islam, nous avons affaire à une croyance polythéiste. Ce qui est également à noter dans la création du monde, c’est que quand les enfants d’Izanagi et d’Izanami sont nés, certains ont été abandonnés, considérés comme viciés, du fait qu’Izanami, la femme, ait parlé avant Izanagi, l’homme. Tout comme dans la Bible et le Coran, la femme semble ne pas avoir une place prépondérante face à l’homme.
Néanmoins, une catastrophe va malheureusement séparer le couple Izanagi-Izanami. La femme kami va mourir à la suite de la naissance de son enfant Kagutsuchi(4), aussi appelé Homasubi, le Supérieur du feu, qui sera tué par son père pour se venger. On retrouve aussi de nombreuses crises dans la mythologie grecque, les dieux se faisant régulièrement la guerre. Nous pouvons citer Gaïa, la Terre-Mère, mécontente d’Ouranos, dieu du ciel, d’avoir enfermé ses enfants. Elle demande donc à Cronos, enfant qu’elle a conçu avec Ouranos, d’émasculer son propre père.
Cependant, Izanagi va vouloir retrouver sa sœur et femme, et pour cela, il va rejoindre le Royaume des Ténèbres (yomi). S’ensuit alors un épisode qui, une nouvelle fois, rappelle deux épisodes des mythes grecs. D’abord, celui de Perséphone qui, se retrouvant aux Enfers au côté d’Hadès, dieu des Enfers, va manger, tout comme Izanami l’a fait, les mets qui y sont fabriqués. Ainsi, la même conséquence s’abat sur les deux femmes : elles ne peuvent plus quitter les Enfers. Enfin, Izanami va, de la même manière qu’Eurydice le fera avec sa bien-aimée Orphée dans son mythe, regarder aux Enfers Izanami alors même que celle-ci lui avait interdit. Dans ces deux mythes, si l’on souhaite ramener quelqu’un en dehors du royaume des morts, il ne faut surtout pas regarder la personne quand on part, faute que les deux personnages feront. Izanami va alors poursuivre Izanagi pour le garder avec elle, mais ce dernier parvient à s’échapper et bloque l’accès au passage du Royaume des Ténèbres avec un rocher.
Après la malédiction d’Izanami jetée sur son frère, jurant de tuer mille personne de son pays, ce dernier, répondant alors qu’il fera par conséquent construire mille cinq cents huttes d’accouchement pour contrer cela, s’en va se purifier. On peut y voir un concept très important dans le shintoïsme : la purification (harae) par ablutions (misogi (5)). Le Supérieur va ainsi se laver, suite à son passage dans le pays de Yomi, envahi par la souillure, et donner naissance à de nombreux nouveaux dieux dont les plus importants sont : Amaterasu(6) née de son œil gauche, Tsukuyomi(7) né de son œil droit et Susanô(8) né de son nez. Ces derniers étant les dieux respectifs du Soleil, de la Lune et des Tempêtes.
C’est au sein de la deuxième partie de cet écrit que nous allons découvrir l’importance de deux d’entre eux dans la mythologie japonaise.
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Notes:
(1)Pierre VINCLAIR opte pour le mot « Supérieur » afin de qualifier les kami.
(2)Appelés par VINCLAIR « L’Engageant » et « L’Engageante » (p21)
(3)« Autosolide » (p22)
(4)« Feu-Brillant-L’Aîné » (p26)
(5)Le Kojiki évoque le rite d’ablution (misogi) consistant à prendre un bain dans les eaux pures des fleuves ou des mers. On y chasse les impuretés pour retrouver sa nature première et on y élimine les péchés commis à notre insu et les fautes (tsumi) qui ont transgressées les normes éthiques et sociales admises dans le shintoïsme. Par exemple, si nous avons eu un contact avec les souillures telles que la mort et le sang, le rituel de purification (harae) permet de retrouver pureté et nature originelle. Grâce à celui-ci, on renouvelle sa force vitale et on s’assure de retrouver l’état permettant de vivre conformément à la volonté des kami.
(6)« Sa Majesté la Grande Supérieure Brillante-au-Ciel » (p33)
(7)« Maître-de-la-Nuit-Lunaire » (p33)
(8)« Sa Majesté Brave-Brusque-Impétueux » (p33)
II) Amaterasu et Susanô, un conflit fraternel.
Comme expliqué ci-dessus, Amaterasu et Susanô sont nés des ablutions d’Izanagi. Cependant, le dieu des tempêtes va poser quelques problèmes à son père, celui-ci gémissant sans arrêt pour rejoindre sa mère morte, ce qu’il lui est refusé. Il décide alors de rejoindre sa sœur. Celle-ci sur ses gardes l’aborde d’abord d’une façon virulente puis remarquant que son frère n’a aucune mauvaise intention, ces derniers vont mettre au monde de nouveaux enfants qui feront naître par la suite de nombreux gouverneurs des provinces.
Toutefois, Susanô va suite à cela entreprendre de multiples dégâts tournés vers sa sœur et de façon de plus en plus violente allant jusqu’à lâcher dans l’atelier d’Amaterasu où elle tissait des vêtements l’un de ses chevaux, écorché. Choquée, elle s’enferma dans la grotte d’Amano-Iwato(9) privant ainsi le monde de lumière. Une nuit éternelle s’imposa, non sans déplaire à l’assemblée des Supérieurs qui se mirent alors à chercher un moyen pour la faire sortir de sa cachette. Ce fût Ame no Uzume(10), divinité de la gaîté et de la bonne humeur, qui réussit cet exploit en menant une danse burlesque à l’origine de la danse rituelle du Kagura(11), une danse théâtrale en lien avec le shintoïsme, qui amusa l’assemblée divine jusqu’à les faire rire. Curieuse, Amaterasu entrouvrit sa caverne pour regarder ce qu’il se passe à l’extérieur et les dieux en profitèrent pour l’attraper, ramenant le soleil et la lumière.
Il est par la suite dit que Susanô reçut une punition divine telle que l’expulsion qui va lui permettre de faire des rencontres et de l’assagir. Il réussit à tuer un serpent à huit têtes, construit un palais et se maria.
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Notes:
(9)« La Caverne du Ciel » (p40)
(10)« Sa Majesté Céleste-Alarmante » (p41)
(11)La danse Kagura inspira par la suite des genres de théâtre japonais tels que le Nô (un des grands styles théâtraux traditionnels japonais) et le Kyôgen (forme de théâtre comique).
III) L’affaire des dieux dans la pacification du Japon.
Au départ, le gouvernement des îles représentant le Japon fut mené par Okuninuchi(12), dieu créateur de nations, de l’agriculture, des affaires et de la médecine. Celui-ci était considéré comme un simple domestique par ses frères. Néanmoins, contrairement à eux, Okuninuchi aida un lièvre qui a essayé de jouer un tour à des crocodiles pour rejoindre la rive voisine mais ces derniers comprirent au dernier moment la ruse et dépouillèrent l’animal de ses vêtements. Il est possible de comparer cette histoire à la fable le Lièvre et la Tortue de La Fontaine dans laquelle ce même animal connote un esprit qui se pense rusé mais qui, à l’arrivée, se fait duper. Pour l’avoir aidé, le lièvre dit à Okuninuchi qu’il est digne de la princesse Yagami(13).
Cette dernière émit son souhait d’épouser Okuninuchi mais ses frères, jaloux, entreprirent le dessein de le tuer, chose qu’ils réussirent à plusieurs reprises, celui-ci s’étant fait ressuscité deux fois grâce à sa mère, la princesse Sasu-kuni-waka. Il parviendra à s’échapper et il arrivera dans le Royaume des Ténèbres, royaume de son ancêtre Susanô, où il rencontrera sa dernière fille, la princesse Suseri(14), avec qui le coup de foudre va opérer. Susanô ne le voyant pas d’un bon œil va tenter de se charger de lui en lui lançant trois défis desquels Okuninuchi triompha, grâce à l’aide de la princesse Suseri, et il put s’échapper du palais avec sa femme sur son dos. Dans sa fuite, il a aussi volé l’épée de Susanô, son arc, ses flèches et son luth (Ame no Nori Goto)(15) avec lesquels il prit vengeance sur ses frères. Après cela, il s’attela à fonder le pays.
Par la suite, de nombreux Supérieurs vont se succéder dans la mission de gouverner le Japon. De prime abord, Amaterasu, décrétant qu’il faillait mandater un représentant, décida d’y envoyer son fils, Ame-no-oshi-ho-mimino-mikoto(16), mais celui-ci, abasourdi par le chaos qui pouvait y régner, remonta aux Cieux pour en informer sa mère. L’assemblée divine se rassembla alors et elle décida avec Amaterasu d’envoyer son fils pour calmer les kami se trouvant sur terre. Toutefois, ce dernier ne fit jamais un rapport concernant sa mission, alors qu’il essayait d’obtenir les faveurs de Okuninuchi. Ils confièrent la mission originelle à un autre Supérieur, Ame-waka-hiko-no-kami(17) mais, tout comme son antécédent, il ne donna plus signe de vie. Plutôt que d’envoyer de nouveau un Supérieur, l’assemblée divine missionna Na-naki-me(18), une faisane, de porter un message et de lui rappeler ses instructions. Mais le kami tua cette dernière du fait de son cri peu mélodieux par une flèche qui monta jusqu’aux Cieux(19). Amaterasu et Takami-musubi(20), un des trois kami de la Création, recevant la flèche ensanglantée, décidèrent, en colère, de lui renvoyer cette dernière qui le tua. Deux Supérieurs furent ensuite mandatés avec Okuninuchi, Take-mika-zuchi(21), fils d’Izanagi, et Tori-bune-no-kami(22),fils d’Izanami et d’Izanagi. Ainsi, après avoir demandé l’avis de ses fils sous sa demande, Okuninuchi abdique et cède son territoire aux Supérieurs Célestes. C’est ainsi que le Japon fut pacifié.
Amaterasu et Takami-musubi souhaitèrent envoyer de nouveau Ame-no-oshi-ho-mimino-mikoto mais celui-ci refusa et proposa à la place d’envoyer son fils, le Prince Ninigi(23)qui accepta la mission. Amaterasu lui confia les trois attributs impériaux : l’épée légendaire Kusanagi no Tsurugi(24), le miroir de bronze Yata no Kagami(25) et le bijou Yasakani no Magatama(26). Cependant, le Prince Ninigi commit une erreur qui eut pour conséquence de raccourcir le temps de vie des Empereurs du Japon. En effet, il provoqua la colère du Supérieur Oho-yama(27) en refusant la main de son aînée, Iwanaga(28) et en prenant plutôt celle de la cadette, Ko-no-Hana-no-Sakuya(29), la princesse-fleur, symbole de la vie terrestre. Ainsi il le maudit, lui et toute sa descendance.
Néanmoins, sa lignée reste très importante dans la fondation du futur empire japonais. Celui-ci, petit fils d’Amaterasu, élu des Cieux, va se marier avec la fille du Supérieur des Montagnes, reliant ainsi Ciel et Terre. Puis, son enfant Hoori(30) va se marier avec Toyotama(31), la fille du Supérieur de la mer, joignant pour finir Ciel, Terre et Océan. Il faut attendre encore une génération pour que le premier Empereur Jinmu(32), fondateur mythique du Japon, apparaisse.
Pour conclure, nous avons donc pu constater que l’histoire du Kojiki diffère de la Bible et du Coran quant à la création du monde tout en présentant des histoires similaires avec celle de la mythologie grecque. Par ailleurs, si l’on en croit le Kojiki, nous pouvons dire qu’Izanagi et Izanami sont les dieux qui sont à l’origine du monde et du Japon à l’instar d’un dieu créateur comme dans les religions monothéistes. Ensuite intervient d’une façon tout aussi considérable Amaterasu dans la création du Japon puisqu’en le premier empereur considéré comme fondateur du Japon provient de sa descendance.
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Notes:
(12)« Maître-De-La-Grande-Province » (p47) ou « Possesseur-du-Grand-Nom » (p50)
(13)« la princesse de Huit » (p50)
(14)« Princesse-en-Avant » (p51)
(15)« le céleste Luth-des-Messagers » (p53)
(16)« Sa Majesté Céleste-et-Rapide-Conquérant-aux-Grandes-Oreilles-qui-Conquiert-Vraiment-comme-un-Conquérant » (p64)
(17)« Cékeste-Jeune-Prince » (p65)
(18)« La-Pleureuse » (p65)
(19)« d’où provient le dicton : " Attention au retour de flèche " ; de plus, la faisane n’étant pas revenue au Ciel, on dit aussi : " le faisan est l’oiseau d’un seul message " » (p67)
(20)« Haut-Supérieur-Unificateur » (p66)
(21)« Maître-du-Terrible-Orage » (p68)
(22)« Bateau-Oiseau-Céleste » (p70)
(23)« Prince-aux-Huit-Epis-de-Riz-Rougeauds » (p73)
(24)Détenue au temple Atsuta à Nagoya représentant la valeur et la faculté de partager.
(25)Conservé au sanctuaire d’Ise dans la préfecture de Mie, symbolisant la sagesse et la capacité de comprendre.
(26)Situé au palais impérial de Tokyo, illustre la bienveillance et la faculté d’apprendre.
(27)« Maître-des-Grandes-Montagnes » (p77)
(28)« Princesse-qui-Dure-comme-le-Roc » (p77)
(29)« Princesse-Bourgeon-Brillant-Comme-Fleurs-des-Arbres » (p77)
(30)« Sa Majesté Feu-Apaisé » (p79)
(31)« Princesse-des-Bijoux-Luxuriants » (p82)
(32)« Sa Majesté Prince-Divin-de-l’Unification-de-Grande-Harmonie » (p91)
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