Joyeux anniversaire

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Trois ans et demi plus tôt…

Je suis dans le jardin, je tue le temps à balancer un vieux ballon contre le mur de la maison. Le vacarme que je fais ne risque pas de déranger qui que ce soit, puisque je suis seule. Enfin c’est ce que je croyais jusqu’à ce que j’entende un véritable choc sonore, une dégringolade incontrôlable. Mais qui peut bien être à la maison ? Nous sommes mercredi, mes parents travaillent, Francesca est à l’école et mon frère…
Je m’approche avec précaution de la baie vitrée qui donne sur le salon et je l’entends au loin :

  • Marie ? Tu es là ?
  • Oui réponds-je sans bouger.
  • Je viens de tomber. Peux-tu aller chercher ma mère qui m’attends dehors, devant la maison ? me dit-il d’une voix tremblotante.

Sans rétorquer, je prends soin de faire le tour de la maison par l’extérieur pour l’éviter et répondre à sa demande. Comme prévu, je retrouve sa mère (oui parce que nous n’avons pas la même) et je l’informe de sa chute. Après ça, je regagne mon ballon et mon mur. Dix minutes plus tard, je vois cette voiture blanche passer au fond du jardin, je vois ce profil, une dernière fois.

Nous sommes le 20 juin 2001, je suis dans la cour de l’école et escalade le muret, bien que ce soit interdit, juste pour la voir, elle.

Elle, elle a un jean troué à fleurs et peut-être le vêtement le plus tendance de toutes mes copines réunies. Je la regarde admirative, car jamais je ne serais jalouse de ma meilleure amie. Par bien des aspects, elle est bien plus belle que moi. Elle est brune quand je suis blonde. Elle a la peau mâte quand la mienne est blanche comme neige. Elle a les yeux vert vipère quand les miens sont marron cochon. Et puis, malgré notre très jeune âge, elle a déjà cette capacité à être elle-même. Moi, je me cache dès que l’occasion se présente. D’ailleurs je me demande souvent pourquoi elle apprécie ma compagnie. Je n’aime pas les jeux des filles à part peut-être la corde à sauter. Quand elle amène sa mallette de docteur, je fuis discrètement rejoindre les garçons de ma classe qui jouent au football. Pourtant, même là, je ne suis pas à ma place, ils ne supportent pas voir une fille gagner. Peu importe, je peux faire semblant d’être nulle.

Mais aujourd’hui, je ne joue pas. Après avoir escalader le muret qui nous sépare, je l’aperçois sur son balcon, elle et son jean troué. Moi de l’école et elle, de chez elle, c’est-à-dire à moins de 20 mètres à vol d’oiseau. De là, nous entamons notre discussion habituelle du mercredi après-midi, tout en prenant soin d’être discrètes. Et ça croyez-le, ce n’est pas toujours évident. J’imagine toujours la grosse Chantal (la surveillante) débarquer en me hurlant dessus et en me menaçant de le dire à ma mère. Comme à chaque fois, je n’ai qu’une envie lui rétorquer de courir un peu plus pour me rattraper peut-être que dans dix ans elle y arrivera.

Enfin, personne à l’horizon, aussi nous engageons la conversation suivante :

  • C’est à 14h ?
  • Oui toujours, c’est ta maman qui t’emmène ?
  • C’est ça, elle et mon frère. Je suis pressée d’aller à ton anniversaire et que tu découvres tes cadeaux. Je suis certaine que tu vas les adorer ! »

À cette idée, je souris, j’ai tellement hâte d’avancer le temps et de retrouver mes ami(e)s pour mon dixième anniversaire.

Au loin, une voix brise cette belle image :

  • MARRRIE, par l’amour du ciel, descendez de là bon sang !

Brusquement, comme si le temps s’était figé, accéléré, détourné ou que sais-je encore, je me retrouve dans un long, très long couloir. Au loin, j’observe ma mère. La sonnerie d’un téléphone retentit, c’est pour elle, elle répond. À son visage je sais. Avant de le voir se décomposer totalement, je disparais.

Je cours, je ne peux plus m’arrêter. Pourtant, il le faut, car je ne sais pas bien ou aller, je n’ai que dix ans après tout.

Elle me rattrape, je pleurs de rage. Par tous les moyens, je la rejette. Je ne sais pas pourquoi mais je suis en colère, je lui en veux terriblement, affreusement. En même temps, elle ne va pas tarder à m’annoncer la plus mauvaise nouvelle de ma vie.

En un claquement de doigts, je me retrouve devant mon gâteau d’anniversaire de mes dix ans, entourée de mes plus proches copines et de ma mère. Il y a Célia et ses bouclettes rigolotes, Emma et ses tâches de rousseurs, Lia et ses jolies nattes et bien sûr Joana, et son jean. Puis, il y a maman et ses yeux rouges.

Juste avant de souffler mes bougies je lui dis :

  • Je vais faire un voeux pour papa, je vais demander qu’il ne soit pas trop triste.

Je souffle mes bougies, j’ai dix ans et je viens de perdre mon frère, à tout jamais.

Comme prévu, j’ai adoré les cadeaux de Joana, un journal intime et une pelleter de stylos pour écrire à l’intérieur. Ce cadeau arrive peut-être à point nommé après tout. Pour une fois, j’ai vraiment quelque chose à raconter.

Plus tard dans l’après-midi, je rejoins la maison. J’emprunte le petit portillon qui mène au jardin. Francesca est là avec son copain de l’époque. Lui assis sur le transat et elle qui se tient debout devant lui. Ils me regardent arriver mais ne me disent rien. À leur attitude, je sais qu’ils sont au courant. Le reste de la famille se trouve dans le salon, il y a même la mère de mon frère. Tout le monde est attablé et personne ne parle. Moi, je suis encore debout et personne ne semble me remarquer. Aussi, j’en profite pour sortir dehors. Je n’arrive plus à respirer. Je suis sur le seuil de la maison, juste devant la porte verte et mon corps glisse peu à peu contre elle.

C’est à ce moment précis que j’ai compris la signification de la célèbre expression « éclater en sanglots ». J’ai même pensé aux crocodiles et me suis dit que mes larmes étaient bien plus grosses que les leurs. Par terre, brisée, c’est précisément ce jour que j’ai laissé filé les douces fleurs de mon enfance.

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