Mauvaises graines

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"Finou" ce surnom affectueux m'a été donné par mes soeurs. Pourquoi ? Je ne saurais l'expliquer, peut-être parce que je suis et j'ai toujours été fine comme une brindille. Il paraît que je me suis fait emporter par le vent dans la cour de l'école lorsque j'étais en maternelle. Cela, je le tiens de ma soeur Lydia et ma grande soeur est tout sauf une menteuse.

Dès que je franchis le seuil, je la vois, ma mère, avec ses cheveux bruns coupés court. Elle a l’air sereine et m’accueille avec un grand sourire. Comme un miroir, je lui renvoie un sourire argenté. En silence, elle ouvre grand ses bras, m’invitant à entrer. Maladroitement, je m’avance et me serre contre elle, cœur à cœur, mais à contrecoeur. Ce n'est pas que je ne veux pas de cette étreinte, mais je n'ai jamais aimé les câlins, les bisous ou tout autres gestes de la sorte. Mes poils se hérissent dès que l'on se rapproche de moi d'un peu trop près. Mais aujourd'hui, pour elle, je fais l'effort.
Derrière elle, je les vois, mes soeurs, toutes rassemblées pour le retour de ma mère. Mon rôle de benjamine ne m'a pas offert le privillège d'être au courant du retour de ma mère. Peut-être que mes aînés veulent me préserver après tout... Elle sont loin de se douter que je comprends bien plus que je ne le laisse paraître. Je ne leur en veux pas, car simplement je suis contente de les voir enfin toutes réunies. Cela faisait un sacré bail.
Mon père quant à lui est resté en retrait, je le vois au loin, accroupi dans le jardin, en train d'arracher quelques fleurs fânées par le temps. Alors me vient à l'idée, qu'il ferait mieux d'arracher celles présentes à l'intérieur de la maison, puis mon regard se porte sur chacune de mes soeurs et inexorablement, je ne peux m'empêcher de plonger dans leur vie d'avant. Celle avant moi et pourtant celle que je me trimballe comme un poids énorme dans le bas ventre.

Elles sont cinq, comme les cinq doigts de la main. Indispensables à ma vie et différentes à souhait...

D'abord, il y a eu Lilia. Ma mère n'avait que 20 ans lorsqu'elle a sorti cette petite crevette. Elle devait être trop dure à décortiquer puisque le père, lui, il a rapidement pris la fuite. À deux, elles ne sont finalement restées que très peu de temps, car Michel les a vite rejoint. Comme un éclair, mes soeurs Florence et Lydia ont alors débarqué, peut-être parce que Lilia s'ennuyait après tout.

À trois, elles ont bravé les tempêtes et supporté les frasques de ma mère. Mais c'est chacune de leur côté qu'elles se sont forgées une forteresse. Par malchance à cette époque, le monstre était bien trop grand, et parfois il lui arrivé de pénétrer dans l'enceinte de la bastille et de tout détruire sur son passage...

En 10 ans faut dire qu'il y en a eu des dégâts, assez pour pertuber le coeur innoncent de trois enfants. Mais les guerres même si c'est parfois long et terrible ça ne dure pas pour toujours. Alors Michel après avoir semé ses graines et sans ramassé les mauvaises herbes, il est parti.

À la queleuleu, mes soeurs ont ensuite rencontré une panoplie de bonhommes, et même un prête, amen ! Avec maman, c'était souvent folklo mais pour je ne sais quelle raison ça ne durait jamais bien longtemps.

Et puis (non ce n'est pas encore fini), arriva Marcel, celui qui aimait bien trop la bibine, mais bon il était gentil, ce qui le rendait différent des autres. Alors, on donna une nouvelle fille Francesca, et l'union se fracassa. ... une nouvelle fois. Seule, avec 4 enfants, mais pas longtemps, puisque le h(z)éro débarqua sur son grand cheval blanc et détrôna tous ces messieurs. Le prince finalement pas si charmant arriva avec une fille presque adolescente Fabienne et un petit garçon Sébastien qui est désormais au ciel.

Tous, dans la même maison ce n'était pas assez alors ils ont eu l'idée de ramener quelqu'un d'autre : moi, la "Finette", la Fifine" ou bien encore la "Finou". Mais avant ça, chose surprenante, ils ont quand même demandé l'avis de mes soeurs et frère. Bien sûr, ils ne m'avaient jamais vu alors ils n'était pas franchement partants. Les parents sans se soucier de leurs lamentations ont quand même voulu de moi, c'est déjà ça. Et me voici, face à mes sœurs, les scrutant tout en absorbant leurs histoires, qui semblent s’accrocher à elles comme une aura maléfique.

Lilia, qui a la peau beaucoup plus mate que moi, porte un pull rayé noir et blanc. Depuis quelques temps, elle arbore une coupe courte à la garçonne qui lui va plutôt bien. Elle n'est pas seule, puisqu'elle est accompagnée de ma petite nièce adorée : Romane. Avec son odeur sucrée de bonbons, elle me saute dans les bras en criant "Tata, Tata !", et je ris en pensant à mes copines qui me trouvent toujours bien trop jeune pour être tata. Ce rôle, comme celui de benjamine, je le tiens depuis très longtemps, puisque je suis devenue une tata à l'âge de 5 ans avec la naissance de mon neveu Valentin, le fils de ma soeur Florence. Florence, toujours décoiffée, mais naturellement belle, porte une chemise en flanelle jaune assortie à un pantalon moulant imprimé python. Un mélange improbable, mais auquel on a fini par s'habituer. Comme Florence, Lydia se soucie peu de son apparence, bien qu’elle ait toujours un visage magnifique, même avec ses quelques kilos en trop. Nathalie, ma demi-sœur du côté de mon père, se tient à l’écart, comme toujours. Elle n’a jamais supporté ma mère, et je ne peux m’empêcher de trouver étrange qu’elle ait accepté de venir aujourd’hui. Elle est accompagnée de son chien, Nosfé, un labrador à la robe étrangement pêche, qui semble s’accorder avec les cheveux colorés de sa maîtresse. Puis il y a ma sœur Francesca, avec sa peau encore plus mate que Lilia et ses cheveux d’un noir profond, incarne toujours l’image de la fille parfaite. Mais son sourire niais ne m'a jamais trompée : quelque chose de bien plus sombre se cache derrière.

Ma mère nous observe toutes, son sourire à peine ébranlé par les retrouvailles. Il y a quelque chose dans l'air, comme un malaise que personne n'ose vraiment nommer. Nathalie fixe le sol, et Francesca, toujours impeccable, glisse un regard que je ne peux m'empêcher de trouver faux. Un silence s’installe, épais et lourd. Je sens que cette réunion de famille n’a rien de naturel. Rassemblés mais chacune dans son propre monde, elles font comme si de rien était, mais je sens bien que quelque chose cloche.

Je brise le silence en proposant à Romane de venir jouer avec moi dans ma chambre. Nous montons les escaliers, je ferme la porte derrière nous et je sors quelques barbies au fond de mon placard. À la plus grande joie de ma nièce, nous déshabillons et habillons près de 50 fois la même barbie. Au bout d'une heure à peine, mes soeurs quitte peu à peu la maison, nous laissant seule avec ce silence assourdissant, ma mère, mon père, Francesca et moi. De nouveau tous les 4, les habitudes reprennent. En fond le journal de 20 heures et dans l'assiette de la viande trop cuite, que je finirai par crâcher dans les toilettes.

"Bon appétit", lâche ma mère d'une voix presque mécanique. Mais ce soir tout a un goût amer.

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