Partie 7 : Fray
Fray regarda Thalas d’un air surpris. C’était bien la première fois que l’on refusait d’utiliser ses pouvoirs… Le roi voulait-il le ménager ? Personne, hormis ses frères et soeurs, ne s’était jamais préoccupé des effets secondaires du pouvoir de Xylo sur sa personne. Le jeune homme en fut profondément touché. Thalas avait fait preuve d’une grande tendresse envers lui. Cela déclenchait dans son coeur meurtri des émotions qu’il ne se pensait plus capable de ressentir.
Mais cela conforta Fray dans son idée de garder le secret. Il craignait que Thalas ne fasse plus du tout appel à lui, sachant qu’il lui transmettrait sa douleur horrible. De son point de vue, rien ne serait plus catastrophique… Mais il lui faudrait tenir tête à son nouveau maître... Le jeune homme rassembla donc tout son courage pour répondre au roi.
— Merci de vous en inquiéter… mais je connais mes limites, vous savez ? Xylo et moi nous nous connaissons depuis plus de sept ans maintenant… Dit-il en grattant son gardien derrière les oreilles.
Le roi parut surpris que Fray lui tienne ainsi tête. Surpris et passablement agacé. Le jeune homme déglutit. Thalas pencha légèrement la tête, sans cesser de le fixer.
— Est ce si difficile de me dire la vérité, Fray ? Je ne peux pas profiter de ton pouvoir sans en connaître tous les effets. En abuser ne ferait que diminuer sa durée d’usage.
Fray se retrouva pétrifié par le regard de reproches du roi. Le jeune homme prit une grande inspiration et fit de gros efforts pour articuler sa réponse.
— Pardonnez moi, messire. Mais oui, c’est trop difficile. Mais je vous jure que je sais ce que je fais ! Si vous voulez que j’utilise mon pouvoir sur vous… vous n’aurez qu’à me demander si je suis en état de le faire. Je vous jure de répondre honnêtement.
Thalas continua de le fixer avec méfiance. Il ne répondit pas. Fray sentit qu’il n’avait gagné qu’un sursis cependant. Tôt ou tard, il finirait par le percer à jour. Ce n’était qu’une question de temps. Le jeune homme devait en gagner davantage. Alors il fit une contre-proposition.
— Puisque vous ne voulez pas que j’utilise mon pouvoir sur vous… Que puis-je faire pour vous être agréable, messire ?
Ces mots firent sourire le roi. Il réfléchit quelques temps, beaucoup d’idées… plaisantes… semblaient lui traverser l’esprit. Finalement il déclara :
— Eh bien, puisque c’est si gentiment demandé… Cette matinée m’a éreinté. J’aimerais des massages pour détendre mes muscles… Sais-tu utiliser tes mains de cette manière, Fray ?
Le jeune homme poussa un soupir de soulagement. Les massages, il savait faire. Il les utilisait souvent pour prolonger l’effet antalgique de ses pouvoirs. C’était une forme de relaxation, pour aider ses patients à se réconcilier avec leurs corps meurtris.
— Je sais faire des massages. Mais si vous voulez vraiment vous détendre, vous devrez faire ce que je vous dit, affirma-t-il avec un aplomb qui le surprit lui même.
Fray reprenait un peu de l’assurance que Tendal avait brisé en lui, lors de sa capture. Il se trouvait enfin dans son domaine de compétence. Le roi semblait content qu’il puisse satisfaire sa requête. Le jeune homme se redressa un peu, dans une posture plus digne. Il joignit ses deux mains devant lui. Sa voix se fit plus douce, basse et mesurée. Une manière de signifier à son maître qu’il se trouvait entre de bonnes mains.
— S’il vous plait, enlevez votre manteau et vos bottes. Puis allongez vous dans une position confortable, demanda-t-il.
Fray se détourna pudiquement, le temps que le roi se déshabille. Il se disait que si Thalas faisait tant d’effort pour ne rien laisser paraître de sa douleur, il n’aimerait sûrement pas dévoiler son infirmité devant un quasi inconnu… Alors le jeune homme usa du prétexte d’enlever ses chaussures pour lui tourner le dos. Il entendit Thalas se débarrasser de son lourd manteau, de ses bottes et de sa chemise. Il attendit que le roi s’allonge pour lui faire face de nouveau.
Les yeux du jeune homme s’agrandirent quand il découvrit les hanches du roi, déformées par l’horrible blessure. Il portait encore ses chausses, qui ne laissaient voir une partie infime de ses cicatrices. Fray ne pouvait qu’imaginer leur profondeur et leur forme incohérente. Comment faisait-il donc pour supporter de telles souffrances à longueur de journée ? Sa guérisseuse devait être douée…
Fray prit une grande inspiration et grimpa sur le lit royal. Il demanda mentalement à Xylo de lui indiquer les tensions musculaires de Thalas. Sans surprise, il en avait dans le dos, les jambes et les épaules, à cause de la canne.
— Respirez profondément, concentrez vous mes mains, demanda-t-il d’une voix douce.
Le jeune homme s’agenouilla aux pieds du roi et se mit à les masser doucement. Il ne fit que les effleurer au début, pour se familiariser avec leur forme. Puis il intensifia progressivement la pression de ses doigts. Il fit glisser son poing sur tout le long de la voûte plantaire et étira lentement les muscles de cette zone. Fray se déplaça sans bruit pour passer à l’autre pied, où il recommença les mêmes manoeuvres.
Ses mains remontèrent progressivement sur les jambes. Il se lança dans un lent pétrissage des mollets perclus de courbatures. Fray approchait de la zone douloureuse. Il allégea la pression de ses mains et les fit glisser lentement sur le côté des cuisses. Le roi émit un bref soupir. Le jeune homme retint son souffle. Ses mains se firent légères comme des plumes et d’un mouvement symétrique se rejoignirent dans le bas du dos.
Comme tous les habitants de Fasnor, Fray connaissait l’histoire du monstre qui s’en était pris au roi d’Ushar. Il n’était qu’un nourrisson au moment des faits. Il ne s’était jamais posé la question de l’état de santé de Thalas avant d’entrer à son service. Le jeune homme était loin d’imaginer que le roi gardait autant de séquelles de son accident.
Fray changea de nouveau de position. Il cala ses genoux de part et d’autres des hanches du roi, sans le toucher, tandis que ses mains continuaient de remonter. C’était la position idéale pour traquer les contractures dorsales. Il forma des plis avec la peau, qu’il fit rouler entre ses doigts, vers les omoplates. Le jeune homme posa ses mains à plat sur ces dernières et entreprit de les faire bouger dans tous les sens pour détendre les muscles autour. Il passa un long moment sur les muscles à la base du cou, particulièrement contractés.
Le roi avait fermé les yeux. Son visage était apaisé. Fray s’assit sur les coussins, à côté de sa tête et en profita pour lui masser aussi le cuir chevelu et les tempes, pour le relaxer davantage. De plus, le jeune homme appréciait la douceur et le parfum qui se dégageait des longues boucles noires. C’était l’odeur des fleurs de son jardin. Il lui donnait l’impression d’être rentré chez lui.
Fray se pencha vers l’oreille du roi, en profita pour humer une dernière fois son parfum si doux, et murmura :
— Comment vous sentez-vous, majesté ?
Thalas ouvrit brusquement les yeux. A croire que son relâchement n’était que de façade. Surpris, Fray eut un mouvement de recul qui faillit le faire tomber du lit. Il se rattrapa in extremis et s'assit en tailleur sur les coussins.
— Cela fait du bien, oui. Tu es doué, Fray. Il ne t’as pas fallu beaucoup de temps pour me démontrer que tu avais ta place ici, dit le roi, dont les traits s’étaient apaisés entre temps.
Le compliment fit rougir le jeune homme jusqu’aux oreilles. Il en recevait si rarement. Les médecins pour qui il travaillait avant s’attribuaient souvent tout le mérite dans la guérison de leurs patients… Cela le mettait un peu mal à l’aise.
— M...Merci majesté, bredouilla-t-il, encore confus.
Fray sentit des émotions contradictoires s’agiter en lui. L’angoisse de faire le moindre faux pas avec un homme qui avait droit de vie et de mort sur sa petite personne lui serrait la gorge. Mais son coeur, lui, était profondément attendri par ce roi si dur en apparence, mais si perclus de douleur qu’il acceptait de s’en remettre aux bons soins d’un parfait inconnu. Cependant le jeune homme ne comprenait pas pourquoi il avait des papillons dans le ventre.
Fray comprit lentement qu’il était… attiré par Thalas et son parfum si doux. Il ne s’était jamais posé la question de ses préférences à ce sujet. Il n’avait pas l’habitude d’écouter ses propres désirs, il avait passé sa vie à se plier à ceux des autres. Mais ici il n’avait plus qu’un seul patient… qui faisait attention à lui, à ses états d’âme. Ses sentiments pouvaient s’exprimer. Le jeune homme se sentit embarrassé par toutes ces émotions qui se bousculaient en lui, et qui devaient transparaître devant le roi. Accablé par sa propre timidité, il se cacha le visage dans ses mains.
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