Partie 12 : Thalas
Environ quatre mois s’étaient écoulés depuis leur rencontre. Les deux amants étaient devenus inséparables. Fray gagna même le droit de participer à d’importantes réunions où il apportait personnellement repas et boissons au roi. Il s’efforçait de l’intéresser à la politique, sans grand succès. Le jeune homme ne se préoccupait que du bien être de son maître. Il employait chaque heure de ses journées à lui rendre l'existence plus agréable, quitte à outrepasser un peu ses droits.
Témoin ce jour où, en plein hiver, ils étaient partis à cheval pour une simple promenade, tous deux couverts de lourds vêtements pour les tenir au chaud et les protéger de la neige. Thalas était vite parti dans l’une de ses longues discussions sur un sujet un peu trop politique pour Fray. C’est donc surement par ennui que le jeune homme eut cette idée quelque peu risquée.
Alors que le roi continuait son monologue en observant les alentours recouvert de leur manteau blanc, il se tut d’un coup lorsqu’il sentit quelque chose s’abattre sur son épaule. Il baissa les yeux sur la neige qui s’y trouvait, puis les leva sur Fray, debout près de son cheval. Il se mordait les lèvres, comme s’il se retenait de rire. En réalité, il attendait de voir comment Thalas réagirait à son geste téméraire.
Il est vrai qu’avec n’importe qui d’autre, le roi aurait sûrement ignoré la provocation ou, au pire, déversé sa colère sur le responsable… A la place, il descendit de cheval avec une grimace douloureuse. Thalas s’approcha ensuite de Fray dont la mine un peu inquiète indiquait qu’il regrettait peut être son geste. Il remarqua trop tard son regard vengeur et son sourire amusé. Il ne put éviter la brassée de neige que le roi glissa sous ses vêtements au niveau du cou. S’en suivit la première bataille de boule de neige du roi depuis la fin de son enfance. Finalement, l’amour avait réussi à le dérider.
Tout se passait donc pour le mieux jusqu’à ce que le roi ne contracte une violente maladie. Au début cela se manifesta par une simple toux. Thalas pensa avoir attrapé froid suite à cette balade hivernale à cheval qui avait dérapé en bataille de boule de neige.
Ce fut lors d’un dîner, quelques jours plus tard, que tout le monde comprit que la maladie était plus grave que prévu. Le roi se trouvait à sa place habituelle, à l’extrémité de la longue table faite de bois noble et couverte d’une multitude de plats tous aussi savoureux les uns que les autres. Fray, lui, était assis à la gauche de Thalas… Juste en face de la reine.
Très vite après leurs premiers ébats, le jeune blondinet avait fait la rencontre de cette femme. Grande, les cheveux sombres toujours très bien coiffés et ce regard… Si doux envers le roi et si méprisant envers Fray… Thalas avait remarqué cette façon qu’elle avait de regarder son amant, mais il ne la reprenait que lorsqu’elle exprimait verbalement son dédain envers lui. Suite à cela, le jeune homme s’était senti mal à l’aise pendant quelques jours, le roi se dépêcha donc de le rassurer : jamais il n’avait aimé cette femme, son mariage n’était qu’un arrangement politique.
Malgré tout, les repas gardaient une légère ambiance tendue que Thalas ignorait royalement, ne discutant avec sa femme que pour les affaires du royaume. Ce soir là, Deyidra aussi était présente, cette dernière ne semblait pas remarquer le moindre problème et gardait le sourire tout en discutant avec les autres convives. Fray ne levait pas les yeux de son assiette et ne pipait mot. S’il prenait quelques libertés en privé, il se montrait toujours aussi timide en public. Une discussion fâcheuse finit tout de même pas venir sur le tapis.
— … Tout ça pour vous dire, majesté, que manger avec un esclave me semble tout à fait déplacé. Vous êtes le roi, tout de même, lâcha la reine.
Malgré le temps qu’il passait avec Fray, Thalas n’avait pas songé à affranchir son amant. Il appréciait l’avoir sien, et ne voulait pas changer ce fait.
— Madame, puis-je vous rappeler que vous n’avez pas à remettre en cause mes choix ? répliqua-t-il, tandis que Fray se tassait sur son siège.
— Je ne les remets pas en cause… Je me disais simplement qu’il devrait manger avec les autres esclaves, dans la cuisine. Ou bien devrions nous inviter tous nos serviteurs à cette table !
— Assez ! s’exclama le roi en frappant du poing sur la table. Je...
Thalas fut pris d’une violente quinte de toux. Tout le monde crut d’abord qu’il avait avalé quelque chose de travers en s’énervant ainsi. Mais le roi ne s’arrêtait pas de tousser. Deyidra se leva pour venir jusqu’à lui, quelque peu inquiète. La guérisseuse fronça les sourcils en remarquant qu’il tremblait.
— Majesté, avez-vous froid ? Peut-être faudrait-il nourrir le feu…
La guérisseuse s’aperçut bien vite que la pièce était correctement chauffée et que personne d’autre ne semblait avoir froid. Elle porta alors sa main au front de son souverain qui reprenait enfin son souffle. Ce contact semblait d’ailleurs quelque peu l’énerver. Mais cela n’empêcha pas Deyidra de prendre aussi son pouls.
— Vous avez de la fièvre, murmura la guérisseuse.
Elle avait bien fait, Thalas détestait montrer ses faiblesses et préférait donc les connaître avant les autres. Celle-ci le fit jurer. Il est vrai que, depuis quelques jours, il se sentait moins en forme et avait des frissons inexpliqués. A présent il prenait conscience de sa maladie. Le roi tenta de se lever malgré les protestations de sa guérisseuse qui vint l’aider à tenir debout… Un violent mal de tête éclata dans son crâne, et l’obscurité envahit son champs de vision.
Une fois de plus, la douleur sortit le roi de son sommeil. Cette fois, il n’y avait pas que sa douleur habituelle, son corps entier lui donnait envie de mourir et sa tête pesait si lourd.
— Fermez les rideaux ! gronda-t-il.
En un instant, la pénombre régnait dans la pièce. Il pouvait ainsi garder les yeux ouverts sans avoir envie de se les arracher.
— Comment vous sentez-vous messire ? chuchota la voix de Deyidra. Vous avez dormi plus d’une journée… Mais ça ne semble pas avoir eu raison de la maladie. Vous n’avez pas écouté votre corps, v…
— Silence ! siffla le roi.
Deyidra se tut. Thalas ferma les yeux, il avait si froid. Il sentit la main de Fray se glisser dans la sienne. Il n’avait pas besoin de le voir pour reconnaître ses doigts si délicats. Il n’avait pas non plus besoin de réfléchir pour savoir ce qu’il comptait faire. Et il en avait tellement envie... sa peau était si chaude, si douce. Pourtant, d’un mouvement vif, le roi retira sa main de celle de son amant et et le fusilla du regard.
— Toi, ne me touche pas.
Ce mouvement l’avait déjà vidé de toute son énergie. Fray recula, choqué. Thalas ne chercha pas à s’expliquer mais reprit plus calmement.
— Tu dormiras dans une chambre d’invité dès ce soir et jusqu’à ce que je sois guéri. C’est compris ?
Fray était visiblement trop confus pour répondre. Depuis leur rencontre, les deux hommes étaient presque inséparables. Le roi, jusque là très frivole, restait désormais fidèle à son jeune amant qui lui rendait la vie plus agréable grâce à son pouvoir mais aussi par ses manières si douces et attentionnées. Ces moments où la douleur s’en allait étaient les meilleurs. Jamais plus il ne retournait à sa chambre sans lui. Sauf cette fois-ci...
A la nuit tombée, Thalas était enfin seul dans sa chambre. Le calme lui faisait beaucoup de bien, mais pas assez pour trouver le repos. Entre vague de chaleur et de froid, ses douleurs quotidiennes et les nouvelles, il ne parvenait pas à fermer l’oeil plus de quelques minutes. Fray aurait pu le soulager, ne serait-ce qu’un instant. Mais il ne voulait pas paraître vulnérable.
Cette obstination pourrait sembler futile, mais elle était légitime : il était roi, il portait en lui des souffrances insupportables. Maintenant qu’un jeune homme à ses côtés pouvait le soulager de ce poids de temps en temps, il ne voulait pas que cela le rende faible. D'ailleurs, Thalas ne lui demandait jamais de faire usage de son pouvoir. Par fierté, il laissait toujours Fray en prendre l'initiative. Le roi se sentait capable de surpasser cette maladie, seul, comme n’importe qui.
Annotations
Versions