Partie 14 : Thalas

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Il faisait beau ce jour-là. Le roi regardait par la large fenêtre qui apportait à son bureau la lumière suffisante pour travailler. Sur la branche d’un arbre, un faucon attira son attention. L’oiseau avait attrapé une petite proie que Thalas n’était pas capable de reconnaître, et la dévorait. Malgré sa faiblesse physique notable, il s’était toujours senti plus proche du rapace que de sa proie. Mais aujourd’hui, les choses avaient changé.

Une dizaine de jours auparavant, alors qu’il était alité, épuisé par la maladie, il crut voir la mort prête à lui sauter à la gorge. Malgré ses protestations, Fray était venu le rejoindre dans son lit. Puis, d’un coup, sans explication, il s’était mis à crier et se parler à lui-même… Et cette lame, d’où venait-elle ?

Thalas ferma les yeux lorsque l’oiseau s’envola, surement à la recherche de son prochain repas. Le roi essayait de se remémorer cette nuit, le plus précisément possible. Sa main se resserra autour du papier qu’il tenait, la lettre d’un noble. Il avait vu Xylo se jeter sur la lame pour lui sauver la vie. Etait-il mort ? Un être divin pouvait-il réellement mourir ? Quoi qu’il en soit, il ne l’avait plus jamais revu depuis.

Tout s’était passé si vite. Thalas n’avait rien pu faire, son état l'empêchait de réagir. Mais il entendit ses gardes accourir. Ils avaient vu la lame. Ils étaient prêts à occire immédiatement le jeune homme, sans autre forme de procès. Le roi eut tout juste le temps de les arrêter d’un ordre sec. Fray fut enfermé dans les cachots.

— Le vrai faucon, est-ce vraiment moi... Ou y a-t-il encore plus dangereux, murmura le roi pour lui même.

— Pardon messire, avez-vous dit quelque chose ?

Son regard se porta sur le vieux serviteur qui l’aidait à ranger ses documents déjà lus et validés. Il avait totalement oublié sa présence.

— Mh, ce n’est rien, continue de travailler.

Dans la longue lignée des rois d’Ushar, Thalas n’était pas celui qui avait le conquis le plus de territoire, mais il avait forgé les meilleurs relations avec les royaumes voisins, évitant de potentielles guerres. Cela lui permit d’agrandir ses richesses, ses armées, d’affirmer son pouvoir… Il se sentait intouchable, oubliant presque qu’il avait déjà frôlé la mort une fois. Cet attentat lui remit les pieds sur terre : il avait toujours des ennemis et il en aurait toujours. Des ennemis capables de mettre fin à ses jours, des ennemis au plus proche de lui.

Mais Fray était-il vraiment son ennemi ? Enfermé au cachot depuis cette nuit fatidique, méritait-il vraiment cela ? Après son interrogatoire, Thalas avait toute l’histoire. Il avait compris que son jeune amant n’était pas responsable de cette tentative de meurtre. Mais que devait-il faire de lui ? Là résidait la véritable question qui prenait toute la place dans l’esprit du roi depuis sa guérison.

Enfin, il avait pris sa décision.

Ce choix, il l’avait fait seul. Cependant, il n’avait pas manqué de consulter Deyidra et la reine… Ou plutôt, les deux femmes étaient venues le trouver pour défendre ou condamner le blondinet. Sa guérisseuse vint le voir en premier. Elle lui parla de Fray dès le lendemain du drame… Mais Thalas, qui souffrait encore de terribles maux de tête, la chassa très vite. Ce ne fut qu’une fois sur pied qu’il accepta de l’écouter, et qu’il apprit pour le démon.

— Vous souvenez vous de la marque dans son dos ? Je me suis trompée, c’est bien la marque d’un démon, expliqua-t-elle, ce n’était pas une marque de possession, le démon n’a jamais été présent. Sinon son gardien ne serait pas resté à ses côtés... C’était sans doute… Comment dire cela… La marque d’un lien démoniaque. J’ai parlé à Fray, il entendait la voix de son ancien maître. Le démon n’a servi que d’intermédiaire à Tendal pour contrôler le gamin.

— Je vois…

— Il n’est pas responsable de ce qu’il s’est passé ! Il vous a même sauvé la vie…

Elle s’était prise d’affection pour le jeune homme qui, lorsqu’il ne suivait pas Thalas comme son ombre, la rejoignait volontiers dans ses quartiers pour en apprendre plus sur les plantes et les soins. Deyidra ne manquait donc jamais une occasion pour défendre Fray corps et âme. Mais il en allait autrement avec la reine.

— Ce misérable devrait mourir ! Il a failli vous tuer messire !

— Je refuse de l’exécuter.

— Mon roi… Son histoire n’a aucun sens…Possédé à distance pas un démon ? A d’autres ! Que diront vos vassaux lorsqu’il apprendront que vous l’avez épargné ? Il a attenté à votre vie ! Vous avez failli mourir ! Ushar a failli perdre son roi… Et vous n’avez même pas d’héritier…

Comme à son habitude, elle revenait sur ce sujet qui énervait Thalas au plus haut point, ce qui coupa vite la discussion.

Ces deux opinions opposées n’avaient pas vraiment aidé le roi à arrêter son choix. Malgré tout, après ces journées à peser le pour et le contre, il avait réussi à se décider.

Thalas quitta son bureau pour se diriger vers les cachots. Deux gardes prirent immédiatement l’initiative de le suivre. La sécurité avait été renforcée pour ne jamais plus laisser de faille.

Il fallait un peu de temps pour descendre la volée de marches jusqu’aux sombres cachots du château. Il n’y avait aucune fenêtre et la seule source de lumière venaient de torches mal réparties sur les murs. Ses pas et ceux de ses soldats claquaient sur le sol de pierres humides et résonnaient dans tout le souterrain. Ils arrivèrent bientôt devant la cellule de Fray.

Contrairement aux autres prisonniers, le blondinet avait eu droit à un matelas et des repas convenables. Thalas prenait soin de lui malgré son enfermement. Le roi s’arrêta devant les barreaux pour observer Fray. Ce dernier ne réagit pas. Adossé au mur irrégulier, il fixait sans émotion un point dans la pénombre. Toute vie semblait l’avoir quitté. Il attendait la sentence… Croyait-il que le roi le ferait exécuter ?

— Fray, dit le roi d’une voix douce pour attirer son attention.

Le jeune prisonnier leva les yeux vers lui, mais resta de marbre.

— Comment te sens-tu ? demanda Thalas.

Il avait conscience que sa question était un peu déplacée, mais il voulait s’assurer que Fray n’était pas malade ou blessé.

— Ça va… répondit-il sans conviction.

— Je suis désolé de t’avoir laissé aussi longtemps derrière les barreaux… Je ne pouvais pas prendre la situation à la légère, mon titre ne me le permet pas. Mais, sache que jamais l’option de te faire exécuter ne m’a traversé l’esprit.

— Pourquoi ? gémit le jeune homme dont les yeux se remplissaient de larmes.

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi ne pas m’exécuter ? J’ai essayé de vous tuer !

— Ce n’était pas toi, soupira le roi mais Fray ne lui laissa pas le temps de s’exprimer davantage.

— J’ai tout perdu, messire !

Son cri déchirant surprit le roi.

— Ma famille, Xylo… vous. Tout !

— Tu ne m’as pas perdu, Fray…

Le regard de Fray changea, la vie revenait-elle enfin ? Le roi demanda à ce qu’on ouvre la porte de la cellule. Le jeune homme se redressa.

— Comme je le disais, il me restait deux choix : te bannir du royaume ou te garder à mes côtés. J’ai longuement hésité, en tant que roi je ne peux pas prendre de risque, ne pas laisser parler mes sentiments quand bon me semble… Pourtant, j’ai fini par le faire.

Une fois la porte ouverte, Thalas s’approcha, toujours appuyé sur sa canne. Il tendit sa main vers lui. Fray eut un mouvement de recul.

— Mais… Je n’ai plus Xylo… Je ne vous sers plus à rien.

Le roi haussa un sourcil, l’air perplexe.

— Pardon ? Je sais bien que je ne suis pas l’homme le plus doux qui existe, mais je pensais que tu aurais compris que je ne te gardais pas juste pour ton pouvoir.

— Que… Que me trouvez-vous alors ? Je n’ai plus rien de spécial à présent…

— Ne dis pas n’importe quoi. En plus d’être mignon, tu es quelqu’un d’incroyablement gentil et attentionné. J’ai beaucoup de chance que tu m’accordes ton amour. J’aurais été idiot de te laisser partir loin de moi. Idiot et ingrat.

— Mais…

— Fray, soupira Thalas, ça suffit, arrête de tergiverser. Cette fois-ci, c’est à moi de te tendre la main, alors prends là et reviens à mes côtés.

Fray ne s’arrêta pas de pleurer, pourtant Thalas sourit. Il savait qu’à présent, c’étaient des larmes de soulagement. La main si fine et si douce de son amant vint se glisser dans la sienne. C’était à son tour de soulager ses blessures en le gardant auprès de lui. Il l’attira contre lui et les deux hommes s’étreignirent de toutes leurs forces.

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