Cormac McCarthy -Suttree
« Ce livre déferle sur nous comme un flot terrible. Le langage lèche, frappe, blesse – un flot de débris, poétique et trouble. C’est intime et rude, sans cette netteté ennuyeuse et la volonté de clarté que vous trouvez dans n’importe quel roman bien fait. Cormac McCarthy a peu de pitié à partager, pour ses personnages ou pour lui-même. Son texte est brisé, beau et laid, c’est selon. M. McCarthy ne nous bercera pas avec une chanson douce. Suttree est comme un bon, long hurlement dans l’oreille. »
Jerome Charyn - New York Times - 18 février 1979
Beaucoup ont découvert Cormac McCarthy par La route, conte de fin du monde hallucinant, ou par le film No country for old men, adaptation follement dingue des frères Coen. Moi, c’est comme ça que j’ai découvert celui que je considère comme l’un des plus grands écrivains contemporains. Et puis, Suttree. Ma première lecture m’a séchée, littéralement séchée. Il y a quelque chose de biblique, de shakespearien, une poésie hermétique tellement elle est érudite et baroque. Je n’ai pas tout compris et ce n’était pas grave, la marque qu’il m’a laissée est profonde, indélébile. Puissante.
Je suis en train de le relire, avec de quoi faire des recherches lexicographiques, ce qui n’était pas le cas la première fois. Je suis estomaqué par sa manière d’écrire, j’aime vraiment cette manière de tordre des phrases, qui me rappelle L’Illiade et L’Odyssée. J’ai entendu dire, à vérifier, qu’il y avait des tournures du XVIIe siècle aussi. Comme si, en nous parlant de la mort des dieux, de la mort portée par les vivants déjà pourrissants, il convoquait pour cela un langage presque déjà pourrissant lui-même, ce à l’heure d’une littérature moderne qui privilégie la clarté, la fluidité. Une littérature fast-food qui me débecte profondément.
Là, on s’arrête à chaque phrase, parce qu’un mot d’une érudition folle, mais en train de tomber dans un oubli de poussière de bibliothèque abandonnée, ressurgit halluciné sous sa plume. Parce que les phrases, de temps à autre, n’ont plus de ponctuation, les virgules parfois remplacées par des « et », et qu’elles se répandent comme des humeurs noires et bileuses sur un paragraphe entier, ne laissant pas au lecteur le temps de respirer ni de bien comprendre ce qu’il vient de lire pourtant. Et il faut relire.
Léon-Marc Levy - La cause litteraire – dit ceci : « (…) Cormac McCarthy déploie totalement son manifeste littéraire, celui qui proclame la langue comme objet central de la littérature ». Et c’est bien ce qui me plaît, m’attire et me séduit. Il est rare de trouver des auteurs ayant cette capacité à embrasser par la littérature toute la folie, parfois magnifique, mais rarement, des Hommes.
Cormac McCarthy, parti le mardi 13 juin à l’âge de 89 ans
Annotations
Versions