Ligne de cœur - 2ème partie : Dorian et Elena
Automne 1996 :
Dorian aimait Elena depuis leur premier après-midi passé ensemble. Il se doutait qu'il était trop bébé à ses yeux. Malgré tout, elle le dorlotait et lui proposait des jeux qui lui permettaient de se dépenser sans compter. Jamais Elena ne lui demandait de se calmer ou de la laisser respirer : un pur bonheur !
En fin de journée, quand il regagnait le cottage avec ses parents, il était le plus sage des petits garçons. Catherine et John confiaient donc bien volontiers Dorian aux bons soins de Paula et Morgan et, surtout, de leur fille Elena. Les quelques heures que passaient alors les deux enfants, à rire et jouer, les ravissaient.
Le samedi 9 novembre n'avait pas dérogé à la règle. Après une matinée bien remplie, la famille Kerloc'h, accompagnée du petit Dorian, avait déjeuné à Carnac, à la crêperie "Chez Yannick" *. Pour le dessert, le chef cuisinier avait mis une bougie sur la crêpe chocolat banane d'Elena. La fillette fêtait son dixième anniversaire ce jour-là.
L'après-midi, Elena et Dorian avaient dévalisé la boutique de niniches** et autres douceurs, face à la plage, à Quiberon. Paula et Morgan avaient eu bien du mal à freiner les ardeurs gourmandes des deux enfants.
Sur le chemin du retour, les deux petits anges étaient devenus deux diablotins que rien ne parvenait à calmer. La nature de Dorian avait repris le dessus : il faisait le pitre sur la banquette arrière et Elena, à ses côtés, applaudissait des deux mains tout en l'encourageant de la voix. Madame Kerloc'h leur avait maintes fois ordonné de faire moins de bruit et d'arrêter de remuer. Morgan, cherchant à évaluer la situation par le truchement du rétroviseur intérieur, éleva la voix tout en fixant son regard sur les enfants à l'arrière de la berline : "Vous allez vous taire ? Et toi, Dorian, arrête de bouger comme ça... j'ai besoin de silence pour conduire !"
Le père d'Elena dut quitter la route des yeux un peu trop longtemps car, quand il reporta son regard devant lui, un piéton se trouvait juste devant la voiture.
Automne 2006, le 9 novembre :
Elena venait d'avoir vingt ans et Dorian nourrissait toujours un amour désespéré pour celle à qui on l'avait arraché dix ans plus tôt. Peut-être que cet amour, maintenant sans objet, était le fruit de sa culpabilité.
Quant à Elena, elle n'avait pas oublié Dorian. Comment l'aurait-elle pu ? Pendant des années, on l'avait contrainte à se rappeler ce jour fatidique, le jour de son dixième anniversaire. Elle avait suivi une thérapie pendant huit ans jusqu'à ce que, enfin majeure, elle décide de tout stopper afin de ne pas revivre chaque semaine le drame de son enfance.
Elena avait tenté de retrouver Dorian après avoir quitté sa famille adoptive mais les obstacles s'étaient révélés trop nombreux. Sans le sou, elle s'était mise à la recherche d'un premier emploi. Elle avait trouvé relativement facilement, les différents stages de secrétariat effectués l'ayant bien aidée. Après, elle s'était retrouvée engluée dans une routine qui l'avait vaguement apaisée. Pour autant, elle pensait souvent au petit Dorian, qui devait avoir seize ans et quelques mois si sa mémoire était bonne. Qu'était-il devenu ?
Mars 2013 :
Dorian avait enfin retrouvé la trace d'Elena. Un midi, alors qu'il servait leur commande à deux hommes accoudés au comptoir, il avait surpris leur conversation. L'un d'eux expliquait à l'autre, à grands renforts de gestes, que son patron avait une cuisinière attitrée. Il ajouta, le regard brillant, que cette Elena Martin était un beau petit lot. Pour une raison obscure, le jeune homme était certain qu'il s'agissait de "son" Elena. Il devrait pourtant s'en assurer.
Il fallait absolument que Dorian la rencontre, qu'il lui parle. Il voulait expier. Le poids de la culpabilité l'écrasait depuis trop longtemps.
Comment l'approcher ? Accepterait-elle seulement de le revoir ? Après tout, c'était elle qui avait le plus souffert.
Dorian devait élaborer un plan infaillible. L'attaque de front ne produirait rien de bon, il en était sûr. Il lui faudrait s'armer de patience et de courage pour parvenir à ses fins. Même si, après tout ce temps, attendre encore lui semblait insurmontable, aucun raccourci ne s'offrait à lui.
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* Ne cherchez pas cette crêperie, elle n'existe plus depuis une dizaine d'années.
Les propriétaires ont pris une retraite bien méritée et l'établissement n'a pas été repris. Cependant, si vous êtes en quête d'une bonne crêperie à Carnac, vous trouverez sans problème !
** Niniche : sucette artisanale, spécialité quiberonnaise.
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