Le Conte
La fragrance des sablés tout juste sortis du four. Le crépitement du feu. De chaleureux sofas recouverts de plaids brodés de scènes hivernales, et d'où s'échappent rires et murmures. Un grand sapin décoré de guirlandes naturelles, de pommes de pin, de friandises et de bricolages enfantins. Et bien sûr, la famille au grand complet réunie dans une même pièce... à l'exception des bambins, couchés depuis quelques minutes, de quoi profiter dans le calme de cette merveilleuse fin de soirée. Voilà le décor idéal pour savourer Noël.
D'un pas souple, je rejoins le dernier canapé encore inoccupé avant de m'y affaler avec délice. Le sourire aux lèvres, ma sœur me tend une tasse qui dégage une divine odeur de cannelle. Ne manque que l'homme de mes rêves, l'homme de ma vie : il s'installera bientôt à mes côtés, pour suivre d'une oreille distraite ce que j'aurais à raconter, ce que tout le monde attend !
Pour le moment, mon Cœur préfère charmer ma mère, sans doute dans l'espoir de recevoir l'un de ces biscuits à l'anis dont il raffole !
Un soupir ravi m'échappe. Je suis comblé, penser à celui que j'aime me met en joie, surtout en ce soir si particulier !
– Eh bien, Yaël, qu'est-ce qui te rend si heureux ?
– Le thé ! Succulent, comme d'habitude !
Ma phrase enjouée ne trompe personne et a pour unique but de les faire languir un peu plus ; ils n'attendent que mon récit, je le sais, je le savoure. Et chaque année, mon père me pose cette question. Chaque année, je me creuse la cervelle pour trouver une réponse inédite qui les poussera à grogner !
En effet, les protestations fusent déjà, accompagnées de quelques boutades.
– Allez, Yaël, ne te fais pas prier, raconte-nous encore ta rencontre avec Nocklël ! En plus, c'est ton passe-temps favori !
Les yeux pétillent, les sourires s'épanouissent : ils sont à point. Avec une lenteur calculée, je repose ma tasse avant de palper les multiples poches de ma tenue.
– Bien, bien, d'accord, si vous insistez ! Allez donc chercher les derniers spectateurs, et au passage, ramenez-nous bredalas et thé de Noël ! Pendant ce temps, je vais m'évertuer à mettre la main sur mon carnet, mais j'ignore si je vais le trouver !
Mise en scène : le calepin miniature griffonné d'une encre turquoise attend son moment de gloire dans la poche de ma chemise, bien au chaud, contre mon cœur : celui qui palpite, pas celui qui me réchauffe la nuit !
Déclamer ce conte à une assemblée captivée fait désormais partie intégrante de notre rituel de Noël : après la dégustation du festif et copieux réveillon, deux adultes se chargent de coucher les enfants pendant que le reste de la famille se presse au salon. Du thé, des gâteaux et quelques bavardages, le temps qu'arrivent les derniers auditeurs, puis tous écoutent cette merveilleuse histoire.
Bien sûr, nous savons que les petits nous espionneront depuis l'entrée ou la cuisine, persuadés d'être des modèles de discrétion. L'ombre de l'un d'entre eux se détache d'ailleurs dans le couloir. Le guetteur, sans aucun doute... sitôt que nous serons installés, il donnera l'alerte !
Les adultes échangent des regards entendus. Nous pourrions les convier au spectacle, bien sûr, mais pas question de leur gâcher ce plaisir ! Je les soupçonne d'apprécier autant cette partie de cache-cache que l'histoire elle-même !
Mon aimé trouve enfin sa place à mes côtés, ma mère se pend au bras de mon père. Tous me dévisagent, transis d'impatience, et lâchent un grand « oooh » de satisfaction quand mes mains exhibent, enfin, le petit carnet à spirale.
– Chers auditeurs, chères auditrices. Êtes-vous tous bien concentrés ? Confortablement installés ? Alors, ouvrez grandes vos oreilles, abreuvez-les de cette merveille qu'est l'histoire de Nocklël !
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