C'était pas du grand art, mais quand même un peu
Aujourd’hui, j’ai entendu le pot de moutarde chanter. C’était un nouveau venu, fraîchement déposé dans le frigo entre le ketchup et la vinaigrette, pas même entamé, tout beau, tout neuf et, semblait-il, tout guilleret. De là où j’étais, coincé entre le coin de l’étagère et l’aïoli maison, j’étais incapable de déterminer de quel genre de pot il s’agissait. La seule chose que je pouvais percevoir de lui était sa voix, un ténor imparfait mais pas disgracieux, décomplexé de tout son être. Il n’avait même pas pris le temps de se présenter. Mais il chantait, et tous l’écoutaient. J’étais incapable de dire quel était son chant, et je doute que mes voisins de frigo soient eux-mêmes aptes à nommer sa mélodie. Il chantait à pleine gorge cependant, distinctement, pas trop faux, avec une évidente joie.
Et cette joie se propagea. Car soudain, deux rangées plus bas, la bolognaise ajouta sa voix à la sienne. Elle chantait un peu comme elle voulait, ne suivait aucunement le rythme du pot de moutarde, mais elle chantait, et cela sembla faire grandement plaisir au nouvel arrivant, qui se mit à chanter plus fort encore. Puis se joignirent le ketchup, le beurre, les carottes, jusqu’à ce que le frigo entier ne soit plus que voix tonitruantes, accords divers, mélodies mélangées les unes aux autres en une artistique cacophonie. Bon dernier dans l’assemblage de chants, je finis par élever ma propre voix au milieu des autres, surmontant ainsi la réserve qui habituellement habillait mon propre pot. Bon dernier oui, mais lorsque je le fis, ce fut comme si le frigo s’illuminait de l’intérieur.
C’était pas du grand art, mais quand même un peu.
Annotations
Versions