La table numéro six
L’ambiance était à la fête à la table des convives. Tous étaient réunis dans le même but et pour le même évènement. Les fêtes de Madame Lucas étaient réputées dans tout le pays et au-delà, si bien qu’un jour elle dû restreindre les entrées. J’ai été assise à la table numéro six. A ma gauche, mon petit copain avec qui je suis très proche. A sa propre gauche, un illustre inconnu qui, au fil de la conversation, s’est révélé être un homme de soixante ans s’appelant Richard. En face du bon Richard, une jeune fille riait aux éclats, ses cheveux blonds en cascade autour de sa tête. Elle était très drôle d’ailleurs, si bien que la vieille dame à sa gauche et en face de mon petit ami n’arrêtait pas de rire, elle aussi. En face de moi, se trouvait ma meilleure amie, une grande fille aux cheveux bruns coupés au carré. A ma droite, il y avait deux jeunes filles, jumelles, d’environ une dizaine d’années. Elles étaient de célèbres étoiles montantes de la musique, elles maniaient le piano à quatre mains comme personne. En face d’elles, les deux dernières personnes de la table ne parlaient qu’entre elles-deux. Il est donc inutile de vous stipuler leurs noms, je ne les connais pas.
Un défilé de plat accompagnait une musique d’orchestre. La salle, sombre et résonnante, semblait être une salle de théâtre. La table numéro six était dans un petit recoin. Les tables étaient disposées en colonne, toutes de dix convives. A part par la rangée principale dans laquelle circulaient les serveurs, on ne pouvait ni voir la table derrière nous, ni celle de devant, seulement celle de l’autre côté de l’allée. Pourtant on savait que le nombre de table était faramineux. L’humeur était bon enfant. On riait, buvait et se racontait des anecdotes. Les assiettes servies devenaient de plus en plus chargées en nourriture, si bien qu’à la quatrième assiette, je ne pouvais déjà plus rien avaler. A la cinquième, les serveurs nous apportèrent des frites avec du ketchup. De quoi ravir les plus jeunes. A la sixième, on y trouvait une bavette pour chacun, avec une sauce à l’échalote qui sentait rudement bon mais que je ne voulus pas goûter tellement j’avais mal au ventre des assiettes précédentes. On annonçait l’arrivée de la septième lorsqu’un membre du service arriva avec un piano portable et l’installa devant les jumelles qui se regardèrent incrédules.
Les lumières passèrent d’un orangé de fêtes à un bleu glacial pour accompagner les deux jeunes filles, qui savaient qu’on ne pouvait rien refuser à Madame Lucas. Alors elles se mirent à jouer. J’étais spectatrice de leur ballet où leurs mains dansaient les unes entre les autres, se croisaient en dessous, puis au-dessus d’une une douce mélodie. On entendait au loin d’autres invités demander d’où venait cette mélodie qu’ils ne pouvaient identifier puisqu’ils ne se trouvaient ni à notre table ni de l’autre côté de l’allée. Les notes s’amplifièrent. Les sons se mélangèrent comme une ode sortie d’un ancien temps. Indéchiffrable et mystérieux. Les jumelles étaient fixées sur le piano et n’avaient plus conscience du monde qui les entourait. L’harmonie continuait, et les émotions passant au travers, on aurait pu lire le poème dans les notes. La rhapsodie se termina dans une note grave que tout le monde acclama, avant de reprendre leurs repas, affamés.
Un serveur récupéra rapidement le piano qui fût échangé contre des mets fins et exquis que les jumelles acceptèrent avec plaisir, sortant doucement de leur transe. La lumière orange apparaissait plus terne après un tel spectacle. Mon petit ami coupa le fil de mes pensées pour me ramener à la réalité. Nous discutâmes un moment avant que le huitième plat arrive. Des sushis parfaitement formés et qui, d’après mon petit ami, étaient les meilleurs qu’ils n’avaient jamais mangés. Des rumeurs grimpèrent entre les tables car bien qu’on ne puisse pas se voir, nous nous entendions tous parfaitement. Un autre spectacle se mettait en place et d’après certains, il promettait d’être grandiose. On entendit un fracas provenant des cuisines, à l’autre bout de la salle. La jumelle juste à côté de moi sursauta et attrapa mon bras pour s’y cacher, sa sœur était cachée dans le bras de sa jumelle. J’essayais de les calmer lorsqu’elles me regardèrent paniquer. L’une me dit tout bas que ce n’était pas la première fois qu’elles venaient ici, l’autre termina en se rapprochant de moi : « On ne peut rien refuser à Madame Lucas. ».
A ces mots, toutes les lumières s’éteignirent. Il faisait si sombre que je ne pouvais voir ce qui se passait devant moi. Si la petite fille ne m’avait pas tenu, j’aurais cru que rien n’était réel et que je me trouvais dans un gouffre dans les profondeurs de l’océan. Là où aucun son, ni aucune lumière ne parvenaient. Des cris d’étonnement, voire de peur résonnèrent dans la salle, mais ils semblaient bien loin. Nous restâmes beaucoup trop longtemps dans le noir. La seule chose qui me prouvait que je ne dormais pas, était les cris qui se rapprochaient, comme s’ils avançaient de table en table. Je cherchais la main de mon petit ami à côté de moi. Essayant de l’attraper dans la main gauche et serrant les jumelles du bras droit. Je finis par rencontrer son genou, et instantanément il me saisit la main et put se guider jusqu’à moi. Nous vîmes une petite lueur s’approcher au fur et à mesure. Les faibles éclats de clarté furent suffisants pour que je distingue les visages de tous les gens autour de la table numéro six.
Nous nous regardions, tous dans l’incompréhension. Richard et la vieille dame se regardaient comme si c’étaient la dernière fois qu’ils se voyaient. J’en concluais qu’ils se connaissaient. La jeune femme blonde regardait vers nous en espérant lire dans nos yeux des réponses. Je ne pus lui donner qu’un hochement de tête, elle comprit que je n’en savais pas plus qu’elle. Les deux inconnus du bout de table se serraient l’un contre l’autre et fermaient les yeux. Je ne pensais même pas qu’ils avaient remarqué qu’un halo pâle nous permettait de nous voir. Les jumelles étaient dans une crainte folle et plus les lumières devenaient vives et les cris forts, plus la première jumelle me serrait le bras, et la deuxième le bras de sa sœur. Soudain, c’était notre table qui était illuminée d’une lumière blanche qui était dure à supporter par l’attente dans l’obscurité. Rien n’avait bougé sur la table mais je ne comprenais pas pourquoi tous étaient paniqués, ni pourquoi ces jeux de lumière avaient été orchestrés.
La jumelle la plus éloignée poussa un cri suraigüe qui me brisa les tympans. Etourdie quelques secondes, la lumière s’éteignit et se ralluma aussi vite qu’un battement de paupières et une sorte de poupée à taille humaine était debout derrière la jeune blonde. Je compris la panique lorsque le déguisement se mouva pour poser une main sur l’épaule de la jeune femme qui hurla à son tour. Son sursaut fit trembler toute la table puis un nouveau battement d’œil fit disparaître le costumé. Je sentais son odeur derrière moi. L’odeur du tissu vieux qui semblait avoir traversé les âges du vieux Venise, où les costumes et les masques sont réputés, jusqu’à cette salle de banquet. Je me retournais vers lui. Faisant face au masque qui représentait un homme au sourire infernal. Il poussa la chaise de mon petit ami vers celle de Richard et il se glissa entre lui et moi. Ses mains, pointées vers moi, exhibé des griffes d’une longueur considérable mais qui semblaient d’une solidité de bois. Il les pointa vers mon ventre, les jumelles tentant de me faire reculer vers elle, mais je lui faisais face et attendais qu’il agisse.
Il s'agit d'un cauchemar que j'ai fait il y a un ou deux mois. J'espère que vous l'apprécierez.
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