Chapitre 13 : Réveil
Je me réveillai de sa convalescence dans un environnement pour le moins exotique.
Loin du désert des Terres Mortes, mélange éparse de couleur ocre tendant vers le jaune, je m’éveillai dans un désordre de vert luxuriant, s'apparentant à une jungle tropicale. En balayant les environs du regard, mes sens se mirent en alerte. Ce n’était pas seulement ce milieu inconnu qui suscitait ma paranoïa, non, c’était quelque chose d’autre, quelque chose sonnait faux.
Je redoublais de vigilance lorsqu'en passant mes doigts au creux d'une feuille de bananier, ils traversèrent cette dernière comme si elle n'avait jamais existé.
Suis-je toujours en train de rêver ? à moins que je ne sois toujours avec… Insitivus ?
En me repérant avec plus de précision, je distinguai d’épais cordage tirant les fondations d’une tente gigantesque. Cette dernière, couplée à une merveille de technologie holographique, dessinait une atmosphère de jungle miniature.
Arrêter le générateur d’hologramme me confronta au vide cinglant de ma solitude. A l’image des représentations qui venaient de s’éteindre, j’étais comme un fantome dans cette tente d’illusion.
Où suis-je ? Qui suis-je ? Qu'est ce qui m'est arrivé ?
Aucune de ces questions ne trouveraient de réponses. Curieusement je sortis réconforté de mon ignorance.
Vidé de ma personne, mon corps « inanimé » renfermait une liberté totale. Dépossédé de mes dilemmes, de mes souvenirs et de mes réflexions. Je pouvais être qui je souhaitais être, faire ce que je voulais, penser ce qui me plaisait.
Tout est possible. Plus besoin d’assumer la charge de…
Mes yeux s’écarquillèrent alors que je fus foudroyé par une réminiscence brutale, comme si mon âme chargée de tous ses maux venait de réintégrer mon corps. J’observais mes mains comme si je découvrais mon enveloppe charnelle pour la première fois. L'expérience de transfert de pensée semblait avoir des « vertus » dépersonnalisantes.
Par ce biais, par le biais d'Insitivus j’ai eu accès à la totalité d'un autre esprit humain, comme si ce dernier avait toujours été mien.
Une expérience pareille provoquait en moi remise en question sur remise en question.
Ce procédé dépassait mon entendement, un dispositif pareil avait tant de potentiel. Cerner autrui dans sa totalité remettait en question toute intention de conflit. Déchiffrer le prisme des pensées d’un adversaire, saisir le sens de ses émotions, pouvoir se lier à sa conscience.
Comprendre l’autre et permettre à l’autre de me comprendre, ne revenait-il pas à changer un ennemi en camarade ? Quelles étaient les limites d’une empathie absolue ? Ce n’était pas seulement une technologie fascinante mais également la promesse d’un changement de société. La fin d’une ère de barbarie.
Je n'aurais su dire à quel moment je m'étais perdu dans les méandres de cette compréhension mutuelle parfaite, à quel moment j’avais perdu le fil. En fouillant dans ma mémoire, des bribes de conversations me revinrent. Un amalgame de pensées appartenant à Insitivus s'imposait à moi, des détails, des souvenirs, des moments d'histoires marquant pour l'esprit de son interlocuteur. J’en appris plus sur lui, sur sa relative paternité avec Radicor, sur sa fuite de notre monde puis sur le départ de sa candeur. Si touchante soit cette histoire, ce qui m'intéressa plus particulièrement résidait dans d'autres connaissances, des souvenirs impliquant la construction des dômes.
Souffrant de l’absurdité de sa réalité, sinon de l’existence elle-même, Insitivus se mit à la recherche de réponses. Comment et par qui les dômes avaient-ils été construit ? Quel projet renfermait ces obscures structures ? Comment en était-on arriver là ? Que s’était-il passé pour que l’humanité soit réduite à cet ersatz d’elle-même ? Pourquoi vivre revenait il à accepter l’inacceptable ? Tous ces questionnements appelaient à une réponse aux yeux du maraudeur du désert.
Ainsi, pour expliquer le réel, il se réfugia dans les archives de la Noire Candeur. De ses découvertes, je tirais de bouleversant enseignements.
En 2035, la terre fut secouée par d’épouvantables conflagrations. La crise écologique nécessitait des décisions unilatérales. Les frontières avaient disparu au profit d'un système de gouvernement unique, régi par un tyran qui s'était imposé tant par sa poigne que par son charisme : Radicor.
Politicien de génie, architecte de l'avenir, ce dernier avait su convaincre les plus dissidents de se fédérer autour de lui, autour de son projet. Son ascension au pouvoir fut largement facilitée par les cataclysmes secouant la planète. L'urgence exigeait une réponse, cette réponse était Radicor. Dans un élan désespéré pour maintenir l'humanité en vie, celui-ci réunit dans un sommet mondial les 5 plus grands scientifiques du globe afin de mettre en place la construction de méga-structure nommées dôme. Ces dômes avaient pour mission de préserver l'humanité d'une terre qui cherchait par tous les moyens à leur faire payer leurs méfaits environnementaux.
La mission initiale était de créer 5 dômes.
Chacun des spécialistes avait pour charge d’établir un dôme articulé autour d’un sens : le goût, l'odorat, le toucher, l'ouïe, la vision. L’objectif de cette démarche peu commune : proposer cinq projets de sociétés radicalement différents, avec l’espoir sous-jacent qu’un mode de vie salutaire émerge pour ce qui allait survivre de l’humanité.
Pourvu de moyens illimités chaque scientifique avait carte blanche pour mener à bien son projet.
Une approche revenait à une manière singulière d'envisager le réel. En tout, il s’agissait de cinq tentatives différentes de prolonger la civilisation et de sauver ce qui pouvait encore l'être.
Afin de garantir la pérennité de son plan, Radicor avait pris des mesures drastiques. Il poussa ainsi la démarche à son paroxysme, allant jusqu'à priver ses meilleures scientifiques des sens ne correspondant pas à leurs dômes respectifs. Si la mesure paraissait contreproductive au premier abord, la profusion des moyens mis en œuvre limitait la portée de cette contrainte. Les bâtisseurs de dôme disposaient de servants attitrés pourvoyant à chacun de leurs besoins durant dans la réalisation de leurs créations.
En plus des servants, les meilleurs architectes, anthropologues, sociologues, biologistes ... dispensaient une part de leurs sciences afin d’aider à la réalisation de ces merveilles utopiques.
Ces maîtres-bâtisseurs avaient comme unique contrainte l’interdiction d'aider d'une quelconque manière l'un de ses confrères. Chaque voie devait être novatrice à sa manière.
Si l'astreinte fut respectée par la plupart, deux marginaux dévièrent de leurs directives pour travailler de concert, il s'agissait des responsables du dôme du goût et de l'odorat. Quand leur collaboration parvint aux oreilles de Radicor, leur destin fut scellé. Quiconque défiait les commandements du leader incontesté de la planète subissait son courroux.
Ce n'est qu'après leurs morts que le dirigeant suprême fut preuve de mansuétude, accordant après leurs sacrifices, l'union de leurs deux dômes en un seul, réunissant le goût et l'odorat.
Peu enclin à voir son autorité contestée, il organisa sa main mise dans l’édification des autres bâtisses. Simultanément à la construction des dômes, il poussa l’emphase sur le développement de technologies de clonage. Ainsi, quand vint le jour où les dômes sortirent de terre, il fût décidé de placer un Radicor par monument. Les rejetons du tyran, élevé dans une croissance accélérée, suivaient scrupuleusement les préceptes édictés par leur père. Se faisant il les conditionna en les privant d'ambition, en compagnie des meilleurs éducateurs afin de les modeler spécifiquement à leurs fonctions de régences.
Tout comme les bâtisses dont ils auraient la charge, ces proto-dirigeants furent chacun élevé selon un paradigme particulier : L’un d’eux baigna dans un modèle d’hédonisme, un autre dû apprendre à survivre par lui-même, un autre encore fut élevé dans la sévérité, le dernier façonna son éducation en collaboration avec son tuteur.
Les fils de Radicor vivaient en symbiose : interconnectés en permanence, ils communiquaient sur les besoins et les avancées de chaque communauté.
Afin d'optimiser les moyens exploités lors de l’édification des cinq structures, le dictateur utilisa les ressources rendues disponibles par la fusion des colonies du goût et de l'odorat pour le façonnement de son propre monument : le dôme de l'esprit. Ce dernier allait abriter un complexe avancé, un centre de gestion permettant à Radicor de gérer les affaires les plus pressantes, celles directement reliées à la survie de la race humaine. En plus de créer un lieu centralisant les informations, de faciliter les communication inter-dôme, ce lieu avait également pour but de contrôler ses fils.
Ces structures avaient donc été disposé en forme de sablier : en haut les dômes de l'ouïe et de la vision, en bas le dôme mêlant goût et odorat, à ses côtés figurait celui du toucher, enfin au centre était disposé le dôme de l'esprit. Le fonctionnement de ces structures avait été prévu pour être en parfaite autarcie, toutefois par mesure de sécurité, il avait été décidé de les bâtir selon une distance imposée de cent kilomètres de distances pour les extrémités les plus proches et de trois-cents kilomètres pour les côtés opposés du sablier.
Si fantasques soient-ils, les plans du despote se concrétisèrent.
Le Radicor que j’avais rencontré était donc un des fils du tyran originel.
Le clone du tyran avait établi sa domination en tirant les mêmes ficelles qui avaient assuré sa propre docilité. Au travers d’un système éducatif régulant confiance en soi et ambition, il s’assurait d’être le berger de brebis serviles.
Plus qu’un guide, il était devenu la voie à suivre.
Si l'exercice du pouvoir avait tendance à corrompre les cœurs, il n'en était rien pour ce Radicor, au contraire. Incontesté, voir même vénéré, son âme choisit plutôt la clémence et plutôt que la poigne d'une main de fer. Le contact de ses ouailles l'avait adouci. Sans quoi, il ne se serait jamais laissé aller à considérer Insitivus comme son fils. Sa relation de paternité s’étendit progressivement à la totalité du dôme.
Les archives représentaient une manne d’information précieuse. Elles m’éclairèrent autant qu’elles illuminèrent Insitivus.
Lors du transfert de pensée, le maraudeur du désert fut traversé par une réflexion qui m’en apprit davantage sur la situation actuelle : « Les autres régents étaient-ils au courant du décès de leur frère du dôme de la vision ? »
En creusant davantage dans la mémoire de notre échange, je découvris ainsi l'assassinat de ce Radicor par Insitivus.
Comment les autres dômes allaient-ils réagir ? Etaient-ils seulement au courant ? Si les communications étaient interrompues, dans quel état est le dôme de l'esprit ? Quoiqu’il en soit… je ne sais pas si je dois pleurer ou me réjouir de la mort du régent du dôme de la vision, la seule chose dont je suis sûr c’est qu’elle sera vectrice de changement.
Empreint d'un certain enthousiasme, je sorti et replia la tente d'Insitivus pour retrouver à son chevet mes affaires soigneusement empaquetées, la luge des sables prêtes à l'emploi avec une note mentionnant :
« Quand tu auras terminé de faire le laquais, retrouve-moi au dôme de l'esprit, je t'y attendrais. », signé d'un « i » majuscule.
Je ne sais pas si je te rejoindrais... mais merci pour la tente.
D'autant plus décidé à contacter un nouveau dôme, je repris ma quête de bonne humeur.
Cette fois-ci, le trajet ne fut émaillé par aucune rencontre, rien ne vint entraver ma progression. Contrôlant régulièrement ma trajectoire au moyen de sa boussole, j’en profitais souvent pour tester mon émetteur radio afin de captait une fréquence. Au bout de la troisième tentative, je pu percevoir l'écho d'une vague conversation. Presque totalement couvertes par des bruits parasites, il n’y avait pourtant nul doute possible. Si tôt que j’entendis cet écho distant, je me mis à enregistrer la transmission. Ma mission était accomplie, j’orientai les voiles de ma luge dans la direction opposée, profitant d'un vent qui jusqu'alors n'avait fait que m'handicaper.
La quiétude de mon trajet retour ne provoqua que ma méfiance.
S'il y a bien quelque chose qui n'existe pas dans les Terres Mortes c'est bien la sécurité.
Pourtant, malgré une surveillance récurrente des environs, rien ne semblait vouloir interrompre mon voyage. Tout en caressant le manche de mon couteau, des songes emplirent mon esprit.
C'est vraiment trop calme...
Comme une intuition sur le point de naître, quelque chose me criait de ne pas relâcher ma garde
Rien ne se passe jamais comme je l'espère, maintenant que je me prépare à une mauvaise fortune, se pourrait-il que les choses se passent bien alors ? Il me sera permis d'espérer quand je serais rentré.
Mon escapade chez les cannibales m'avait profondément changé, d'un naturel optimiste, j’étais devenu paranoïaque, la sérénité n’était donc plus qu’un souvenir intangible ?
Retraçant le chemin en sens inverse, j’arrivai au dôme après deux jours de trajet, profitant d’un vent favorable à ma direction.
Arrivé devant les portes imposantes du dôme de la vision, mon esprit se mit à frémir d'une nouvelle intuition.
Radicor... Ce Radicor est mort ? A quel point le dôme a-t-il pu être impacté ? Vais-je seulement retrouvé un monde civilisé ?
Une pensée appartenant à Insitivus lui traversa l'esprit :
« Pantins manipulés par le fil de leur égo, ils s'imaginent libre alors qu'ils sont esclaves d'eux-mêmes. »
Les portes du dôme s'ouvrirent pour accueillir son enfant troublé.
Nul changement n'était perceptible lors de l’ouverture des portes, pourtant je sentais planer dans l’air un silence mortifère. Mes précédents retours étaient toujours accueillis par la félicité, or cette fois-ci, les gardes restèrent de marbre à ma vue.
L’accalmie qui dominait les lieux précédait l’orage qui s'annonçait. La mort de Radicor se lisait dans le regard de tous, certains étaient émaillés par le chagrin, d'autres se drapait dans la retenue.
Au mépris d’une curiosité dévorante à l’égard de mes frères endeuillés, je me mis en route pour le Dernier Retour afin d’y faire mon compte rendu de mission.
Sur le chemin, mon regard s’égara sur les décorations et autres œuvres de propagandes.
Le dôme de l'œil avait toujours été saturé par quantités d’images, parsemés d'écrans diffusant le crédo de la Noire Candeur. Que ce soit au travers d'émission éducatives ou de divertissements, tout était bon pour maquiller la subversion totalitaire. Ces représentations nous apparaissaient à tous si banales qu’elles ne suscitaient même plus l’intérêt.
Le message pourtant n’était en aucune mesure comparable au quotidien. Une transmission éclipsait la communication habituelle, un enregistrement tournant en boucle qui éveillait mon intérêt. Quand je me reconnus dans certaines parties de la diffusion, je compris que quelque chose se passait. Il s'agissait du périple et des travers des élus au fil des expéditions. L'enregistrement pirate alternait, à la manière d'une bande annonce de cinéma, entre des textes cinglants et des images subversives.
« Par votre silence politique, vous êtes complice d'un génocide »
« Sacrifié pourquoi ? Par qui ? Est-ce là le bien-commun ? »
Chaque plan dévoilait un destin brisé, une âme en peine, un désespoir insoutenable, comme si la mâchoire du destin se refermait et broyait systématiquement les infortunés choisis.
Grâce à mon expérience passée, je pouvais anticiper les morceaux écrits de la transmission. Comme si Insitivus me les chuchotaient directement au creux de l’oreille.
« Tes enfants meurent par les mains de ceux qui te les ont enlevés »
En plus de la profusion habituelle d'écrans, des regroupements épars de personnes errantes dénotaient du quotidien : au lieu de s’affairer aux tâches communes, certains cherchaient du réconfort dans la discussion. Au lieu de l'uniforme habituel du dôme, quelques personnes étaient vêtues de l'habit traditionnel du deuil : une longue toge sobre, noire pourvu d'un œil violet et cerclé de doré au niveau de la ceinture. La disparition de Radicor ne faisait plus aucun doute pour quiconque.
Le dôme avait toujours été un spectacle visuel, honorant son sens de prédilection par des arts picturaux sophistiqués. Derrière ces statues, ces tableaux, ces gravures se reflétaient l’excellence de leurs auteurs dans leurs arts respectifs. Pourtant il ne s’agissait simplement de beauté esthétique, chacune de ces œuvres invitaient à une dilution de l’individualité au profit du groupe.
Ces réalisations avaient été soigneusement vandalisées, vidant de sa substance le message initial. Certaines furent saccagées, d’autres semblaient désormais incomplètes d’autres encore furent taguée d’inscription « Pourquoi ? »
Le dôme était également un espace de libre parole, de libre-création, des forums citoyens se créaient spontanément pour discuter de l'organisation, d'aménagement, de débats politiques ou artistiques. Maintenant, ces assemblées évoquaient davantage le deuil, les funérailles de Radicor et en fin de compte de déterminer la « Bonne attitude » à développer face à ces évènements.
Le dôme semblait meurtri comme jamais auparavant, ces blessures soulevaient tant d’interrogations :
Qui va prendre la succession de Radicor ? Comment les autres dômes vont réagir ? Qu'allait-il devenir de notre habitat et de sa population ? Comment la Noire Candeur va rebondir ?
Toutes ces questions trouveront un début de réponse lorsque j’atteindrais le Dernier Retour.
Quand j'aperçu les alvéoles caractéristiques de la bâtisse susnommée, quand je la vis inchangée, imperturbable, l'intuition me poussa à réfléchir à la fonction de la Noire Candeur : sa mission était de maintenir l’inertie, le statu quo. Maintenir la paix et l'ordre dans un monde qui en avait cruellement besoin.
En étaient-ils toujours capables ? Radicor était l’incarnation de la Noire Candeur, son bras, sa volonté, son créateur. Se pensait il immortel ou avait-il préparé des solutions de secours, non ? Sa mort allait-elle soignait cette institution malade ?
En empruntant l'entrée du Dernier Retour, je mis en ordre mes pensées afin de me confronter à mon référent militaire, celui-là même que j'avais souillé par mon crachat. L'heure n'était plus à l'irrévérence, je me demandai subitement à quel point la mort de Radicor pouvait affecter ce triste soldat qui m'avait jadis fait face. Après m'être signalé auprès de l'accueil, on me fit attendre avant de me mettre en relation avec mon militaire « préféré ».
Je fus déçu de voir qu'il ne s'agissait pas du même gradé mais après tout le propre des militaires est leur interchangeabilité.
-On m'a signalé que votre mission était un succès, félicitation soldat. Le dôme tout entier vous en est reconnaissant.
Tiens, le ton n'est pas le même, j'en arriverais presque à apprécier celui-là.
Je n'eus pour réponse qu'un haussement d'épaules. Il me désigna une ardoise et une craie préalablement disposée en ces lieux pour faciliter notre échange. Matériel dont je me saisis pour lui formuler ma réponse :
-« Et si nous parlions de ma récompense ? »
-La fierté d'avoir rendu service à votre peuple ne suffit pas ? Très bien, voyons ce qu'il était convenu...
Il farfouilla longuement dans le dossier qui m'était réservé.
-Une combinaison antiradiations extensible, c'est bien cela ?
J'opinai de la tête en guise de réponse. Il pria un soldat stationné devant la porte d'aller chercher mon dû.
Je m'emparai de l'ardoise et de la craie pour y distiller ma curiosité :
-Comment accueillez-vous les nouvelles récentes ?
-Pour être franc, au vu de ce que l'on m'a raconté sur vous, je m'étonne que vous me posiez la question. Evidemment cette période est entachée par le deuil de notre bienveillant suzerain. C'est également la promesse d’un avenir fondé nouvelles bases posées par notre bien aimé Aquifolius.
Aquifolius ?
Mon cœur sauta un battement lorsque surgit le nom de mon ancien professeur.
En tant qu'ancien mentor de nos têtes blondes, il a déjà la répartie, l'expérience et la volonté de nous guider vers des jours meilleurs. Nul ne sait s'il reprendra le tracé esquissé par notre bien aimé Radicor, pourtant c'est sans aucune appréhension que nous l'accepterons tous aux plus hauts sommets de la Noire Candeur.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Un discours calibré ? Un discours appris ? Un discours ressenti ?
Tant de choses s'étaient passés ici et à l'extérieur, ma tête ne parvenait plus à faire le tri, je ne parvenais pas à lire en lui... Voir ce qu'il pensait réellement de la situation derrière ce calme olympien. J'aurais bien aimé toujours disposer du dispositif de transfert de pensée.
Je suppose que tous les habitants du dôme me fourniront une réponse à peu près similaires. Contrairement à ce que j'espérais, le peuple ne se soulèvera pas.
Les transmissions pirates d’Insitivus n’auront servies qu’à informer la population, sans que cela n’ait plus de conséquences. Le peuple demeurera docile à cette politique en percevant la nécessité des morts pour leur survie, une nouvelle preuve s'il en fallait que l'intelligence n'attend pas la morale.
Une pensée empruntée au maraudeur du désert me foudroya par sa pertinence : « Ils préfèrent leur cocon, leur illusion de sécurité à la morale et l'équité ».
Une preuve s'il en fallait une que mon peuple était définitivement indigne d'être sauvé.
Je repris mon ardoise pour lui asséner une ultime question.
- « Je peux m'en aller ? »
-Une dernière chose, vous serez libre après. Notre nouveau chef réclame votre présence.
- « Je connais le chemin, ne vous embêtez-pas »
Sans autre forme de procès, je m'enfonçais dans le dédale de couloirs menant jusqu'à la plus haute autorité, au dernier étage de la forteresse du Dernier Retour.
C'est là que je finis par retrouver mon ancien professeur de philosophie, le nouveau seigneur du dôme.
Aquifolius contemplait les « racines » qui liaient anciennement Radicor à cette salle, racines qu'il n'avait d'ailleurs quitté que pour ses propres funérailles. Ces immenses cordons servaient à la fois à le maintenir en vie qu'à envoyer ou recevoir des informations aux autres dômes. Il les observait, conscient de la tâche qui allait bientôt être la sienne, profitant de ses derniers instants de mobilité. Quand il remarqua ma présence, un sourire se dessina sur ses lèvres, il vient me serrer la main chaleureusement pour finalement venir m'étreindre.
Je fus si surpris par cette manifestation d’émotivité que j’en fus paralysé. Jamais je ne l’avais vu aussi épris.
Je le haïssais déjà avant qu’il n’atteigne les sommets du dôme. Si son accession au pouvoir changeait la donne, ce n’était certainement pas dans le bon sens. Je n’ai aucunement l’intention de moins le mépriser. Qu’est-ce qu’il vient de me faire ? C’est le stress ou l’émotion qui le pousse à tant d’affection ?
-Te revoilà Zachary, je suis heureux de te revoir. En ces temps troublés, ton retour est salutaire.
J’ai raté quelque chose ? Je me souviens qu’il m’avait dit ne pas être mon ennemi, pourtant il me traite comme si j’étais son bras droit. Comme s’il était déjà Radicor, comme si j’étais son Insitivus.
Je le fixais, silencieux. Mon mutisme m’interdisant tout droit de réponse. Il désigna du regard l’uniforme que je destinais au seul vrai ami que m’aura donné les Terres Mortes.
Très bien, je vois que l’on t’a déjà donné ce qui te revient de droit. A ce propos, … j’ai une proposition à te faire. Plutôt que d’aider un seul Tocard, pourquoi ne pas aider tout un peuple ? Mieux, pourquoi ne pas aider ton peuple et le sien.
Aussi virulente qu’était ma haine à son égard, je ne pouvais pas me dispenser d’écouter sa proposition. Je lui fis signe de poursuivre d’un signe de main.
Tu as bien l’intention de retourner chez ceux que tu appelles les Tocards, n’est-ce pas ?
J’opinais du chef en guise de réponse.
Je vois en eux une opportunité formidable, Zachary. Une opportunité qui d’une certaine manière corrigerait ce que tu abhorres chez nous.
Il me caresse dans le sens du poil. Quelque chose cloche. La supercherie va bientôt se révéler au grand jour. Ne baisses pas ta garde Zachary, écoutes bien.
Plutôt que d’envoyer aléatoirement dans les Terres Mortes des personnes du dôme, pourquoi ne pas confier cette tâche à ceux qui ont réellement envie d’y aller, au mépris du danger ? Si ces femmes et ces hommes ont réellement envie d’explorer les Terres Mortes, nous pouvons les y aider. Nous pouvons fournir autant de protections contre les radiations qu’ils le souhaiteront.
Personne n’est à priori perdant dans cet échange. Je n’aime pas l’idée d’aller dans son sens, pourtant c’est vrai que la direction qu’il choisit va dans le bien commun. Il serait immoral de ma part de refuser.
Si ces gens ont envie d’explorer, autant que nous bénéficions également de leurs exploits. Si tu acceptes ma proposition de les fournir en combinaisons, tu seras accompagné d’une petite équipe : deux cartographes et deux soldats pour les protéger. Le but n’étant que d’esquisser une carte de la région.
Je me disais bien que ça ne serait pas gratuit. Est-ce que cela devient inacceptable ? Je n’aime pas ça… Mais cela pourrait quand même aider énormément nos deux peuples, si tout se passe bien…
Tout ceci Zachary, a le potentiel de sauver des vies chez eux comme chez nous.
Je déteste ces moments où je sais qu’il a raison.
Acceptes-tu cette dernière mission ?
Dernière ? Intéressant…
Il planta son regard dans le mien, à la recherche de fraternité, inquiet de mon refus.
Je soupirais puis me résolu à accepter en hochant la tête.
A nouveau il me reprit dans ses bras, d’une étreinte finalement paternelle. Lors de cette accolade fortuite, une douleur aigüe me piqua au niveau de la nuque. Légèrement surpris, je me reculai pour découvrir avec stupeur que mon mutisme s'était tu.
Tu m’as prouvé que tu étais de nouveau digne de confiance, voici ta récompense.
Sa main laissa tomber au sol la même sorte de pistolet-seringue dont il s’était déjà muni auparavant. Mes cordes vocales étaient en train de récupérer, ma bouche ne laissait s’échapper que des borborygmes insaisissables.
De toute manière, à présent tout le monde est au courant à propos des élus. Cette funeste vérité ne sera bientôt qu’un lointain souvenir.
Il marqua un moment de silence. Une longue pause qui reflétait le malaise au sein de notre relation.
Lorsque tu auras remis les combinaisons, ta mission sera terminée. Tu auras la liberté de revenir quand tu le souhaites. Demain matin aura lieu un briefing de mission puis ce sera le grand départ. Bon courage, Zachary.
Ses paroles étaient une invitation à partir que je m’empressais de saisir. Je ne savais toujours pas quoi penser de cette mission, avais-je bien fait d’accepter ? Il était de toute manière trop tard maintenant…
Le lendemain matin, je rencontrais les membres de l'équipée avant de me mettre en route notre destination : le repère des tocards.
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