Détruire : (3)

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C’est ce qu’il y a de mieux à faire. Tu regretteras sûrement de ne pas être allée à ce dîner mais si tu prends cette décision c’est pour honorer la mémoire de ton père. Il ne voulait pas que tu les rencontre et tu es persuadée que même la mort n’a pas pu changer ce souhait.

On peut vivre sans mère, après tout tu l’as fait jusqu’à maintenant. Parfois c’est douloureux, parfois tu aimerais que ça change mais tu ne peux rien y faire. En réalité tu pourrais, mais tu as peur. Plus que la peur de souiller la mémoire de ton père en lui désobéissant, tu as peur d’être déçue. La déception ça fait mal et encore plus quand c’est une chose à laquelle on tient plus que tout. Tu ne le supporterais pas si elle venait à te détester ou pire, si elle s’avérait être une menace pour toi, comme ton père le laissait parfois sous-entendre.

Le feu crépite dans la vieille et massive cheminée en briques qui trône en face du canapé. 4 bûches brûlent dans la cavité : ton grand-père a toujours peur que tu attrappes froid. Tu souris à cette idée.

Tu repenses au Noël dernier : à ton grand-père qui relance le feu et qui te donne un de ses pulls pour te réchauffer, malgré la chaleur ambiante. A ta grand-mère qui se moque gentiment de lui avec toi et qui réapprovisionne ta tasse de chocolat chaud dès qu’elle est vide. A tes cousins et cousines qui te fixent avec de gros yeux en trépignant d’impatience que tu viennes jouer avec eux. Et ton père, qui éloigne ton grand-père de la cheminée, qui vient boire discrètement dans ta tasse avec une paille et qui poursuit en grimaçant les enfants hilares dans toute la maison. Il te manque tellement…

Ta décision est prise, ta famille paternelle te suffit largement. D’un geste assuré, tu déchires en deux, en quatre, en huit, les deux morceaux de papier. Puis sans aucun regret, tu les jettes dans les flammes. Tu observes un instant les feuilles noircir et se consumer avant d’aller te coucher.

♞♞♞


La maison est silencieuse, le feu s’est éteint depuis longtemps déjà et tu es seule dans la maison. Pourtant la porte de ta chambre vient de s’ouvrir dans un grincement et des bruits de pas te tirent doucement de ton sommeil. Ce n’est pas ton chat, il dort contre toi. Ce ne sont pas non plus tes grand-parents, leur avion n’atterira que demain. Alors qui est dans ta chambre avec toi ?

Dos à la porte et maintenant bien réveillée, tu calmes ta respiration pour avoir l’air endormie. Tu entends la porte se claquer mais les pas eux, se rapprochent encore un peu plus de toi. Il y a un bruit de frottement continu, un peu comme si la personne portait une combinaison en plastique ou en papier.

Soudain, deux mains ou deux lames se posent sur ton cou. Elles l’encerlent totalement tout en te lacérant la peau. Prise de panique, tu attrappes d’une main tremblante ta lampe de chevet pour l’allumer. La faible lumière orange éclaire alors ton agresseur qui semble porter un genre d’armure en papier. En regardant de plus près, tu remarques que ce sont en réalité plusieurs morceaux de feuilles à moitié brûlées et attachées les unes contre les autres. Tu aperçois certains passages de la lettre de ta mère à plusieurs endroits, “Maria” est notamment inscrit sur le front de cet homme. Mais est-ce vraiment un homme ?

Sa prise se resserre davantage et l’air commence à te manquer, par réflexe tu agrippes ses poignets et plantes tes ongles dedans. A ta plus grande surprise, ses mains se détachent de son corps, sans pour autant relâcher leur emprise sur toi. Tétanisée, tu observes la créature regarder ses bras sectionnés. Elle les tourne et retourne devant ses yeux inexistants avant de les laisser retomber devant toi. Tu es maintenant persuadée que cette chose n’est pas humaine car ses “bras” ne sont que des feuilles roulées et attachées entre elles, tu peux voir l’intérieur creux de son corps à travers elles.

Tu cherches à hurler mais tu sens ses griffes acérées se planter dans ta gorge. Il te fixe un instant avant de faire “non” de la tête. Ignorant son avertissement, et malgré la douleur, tu cries et supplies qu’on vienne t’aider. Soudain, la créature est prise de tremblements et alors qu’elle rapproche vos deux visages, deux feuilles s’embrasent. Dans un feu contrôlé, les deux morceaux de papier noircissent avant de former deux trous de la taille d’une pièce.

Très vite, deux yeux aux iris rouges apparaissent dans ces trous et te fixent intensément. Totalement absorbée par ce regard, tu ne remarques pas que le feu s’est répandu et que les flammes prennent petit à petit possession de ta chambre. Tout est chaud autour de toi, ton bras gauche te brûle et l’air te manque de plus en plus, mais tu ne fais rien. Ce regard plongé dans le tien te paralyse totalement.

Tu te réveilles en sursaut et en prenant une grande inspiration. D’une main, tu allumes ta lampe et de l’autre, tu masses ta gorge endolorie. Tout ça n’était qu’un rêve, rien qu’un rêve. Ta chambre ne brûle pas, ta porte est fermée et il n’y a aucune trace de griffures sur toi. Il n’y a que toi, couverte de transpiration et qui respires bruyamment alors que ton chat te fixe apeuré.

Encore un peu chamboulée, tu te saisis de ton téléphone pour appeler ta meilleure amie. Après un rapide coup d'œil sur ton réveil, tu découvres qu’il est 3 heures du matin. Connaissant Louisa, elle sera encore debout.

  • Allo ?
  • Je viens de faire un cauchemar horrible… J’ai besoin de toi.
  • Raconte-moi tout ! Louisa la psy à ton écoute !

Soulagée d’avoir eu une réponse, tu lui racontes ton rêve en détail et attends avec impatience son analyse.

  • Bon je pense que j’ai cerné le truc. Si on reprend les éléments présents, il y a : la lettre de ta mère, une tentative de meurtre, des yeux rouges et le feu.
  • Oui c’est ça.
  • Faut pas avoir un diplôme de psy pour comprendre que tu t’en veux d’avoir détruit cette lettre. Ce monstre c’est donc tes remords et c’est pour ça qu’ils se vengent sur toi. Bon pour les yeux rouges je sais pas par contre, c’était peut être pour être plus flippant ? En tout cas je pense que ton subconscient essaie de te dire que ça va te ronger de l’intérieur si tu n’y vas pas, donc tu devrais peut-être penser à y aller…
  • Mais mon père ne voulait pas !
  • Il ne voulait pas que tu les refasses entrer dans ta vie, nuance. Rien ne t’oblige à t’attacher à eux. Vas y, vois ce qui cloche avec cette famille, mange bien et reviens ici continuer ta vie. Rien ne t’oblige à les revoir après ça.
  • Mouais…
  • Fais ce que tu veux, tant que tu me racontes la soirée après ou alors d’autres de tes cauchemars, moi ça me va !
  • Quelle amie…
  • Je sais, je suis géniale !

Ce n’était pas ce que tu avais prévu au début mais on dirait bien que tu vas finalement assister à ce dîner. Elle a raison, ça te soulagera de savoir. Tu y vas, tu poses tes questions, tu manges et ensuite tu repars, c’est aussi simple que ça. Personne ne s'attache, personne ne garde contact. Bon, tu feras peut-être un petit câlin à ta mère mais c’est tout ! Tu ne t’attaches pas, c’est ce que ton père voulait.

Assister au dîner : (5)

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