C’est un matin d’hiver rude sur une route que nul d’entre nous ne connaît, dans une prairie recouverte de neige, qu’un convoi est attaqué par des bandits de grand chemin. Constitué d’un noble elfe et de ces quelques preux chevaliers qui sont rapidement submergés par le nombre écrasant de leurs assaillants. La belle dame qui voyage anonymement n’avait pas prévu cette tournure. De ses quatre valeureux gardes, un seul reste capable de se battre, à genou et blessé au bras gauche, tentant vainement de repousser les scélérats. Très vite, il est sonné et ne peut que regarder la pauvre femme se faire déchirer les vêtements et les lubriques saliver à la vue de sa peau.
L’un d’entre eux regarde à l’Est, interpeller par le son d’un instrument à vent, en même temps que le soleil rougeoyant se lève, une silhouette se dessine.
- Hey, les gars, il y a quelqu’un qui arrive.
Le chef, grand et musclé comme un ours désigne cinq de ces hommes.
- Vous, allez voir et détroussez-le.
Ce qu’ils font. À mesure qu’ils s’approchent de cette personne, ils constatent qu’en plus d’être de petite taille, elle est bien habillée. Elle joue une musique douce et paisible de sa flûte traversière avec la sérénité d’un vieux volcan depuis longtemps endormi.
Vêtue de blancs pour le haut et de rouge pour le bas et d’un chapeau en fibre qu’il n’avait jamais vue, très large et aplatie, d’un noir très foncé. C’est un kasa et son porteur relève à peine son visage draconien, ne laissant paraître que son fin museau à leur vue et ses lèvres épousant son instrument avec délicatesse. Alors ils constatent que cette personne est un kobold aux écailles écarlates et à la trachée immaculée.
Constatant des problèmes sur son chemin en grand nombre, il laisse tomber derrière lui un sac, puis y range sa flûte.
- Regarde ce petit truc, il est si petit !
S’exclame un premier.
- Matez-moi ces vêtements ! Cette chose est riche !
- Une kobold et non une chose, messieurs. Et je ne suis qu’une humble voyageuse portant bien peu.
Dit-elle de sa voix grave et calme.
- C’est de la soie qu’elle porte ! Ces fringues sont de qualité ! Je pourrais presque les porter !
- Vous parlez de mon kimono et de mon hakama ?
Ils n’ont pas compris les termes employés par la femme kobold qui se corrige avec un léger sourire aux lèvres.
- Je veux dire, de mon haut et de mon pantalon. Si c’est le cas, je suis ravie qu’un œil ait su apprécier leur beauté.
- Et on va te les enlever, puis te violer ma belle.
Ajoute à l'horreur, l’un d’entre eux qui bave. Un de ses collègues le regarde avec un mélange de dégoût et de surprise.
- Mec. L'embrocher, la rôtir, elle, sa queue et la manger, d'accord. Mais se la taper ? Sérieusement ?
Il n’y voit aucun problème et la kobold ne semble pas choquer outre mesure. Cependant, son expression se mue en celui d’une personne indifférente aux sorts des gens autour de lui.
- Et bien, si vous vous sentez capable, approchez donc.
Ce qu’ils font, avec un sourire sadique. C’est en étant à sa portée que le plus avancé constate qu’à sa ceinture, elle est armée. Un instant si bref qu’il semble n’avoir jamais eu lieu ; elle a porté cinq coups mortels successifs avec son katana ; tout en traversant le groupe tel un éclair écarlate. Essuyant le sang avec un tissu en lin, elle rengaine la lame ; en même temps, les hommes s’effondrent comme des feuilles mortes.
Le chef de la bande n’en croit pas ses yeux. L’un de ses hommes armés d’un fléau s’empresse de l’attaquer en ignorant les avertissements de son supérieur. Parmi les morts, il y a son frère et l’instant d’après il le rejoint dans l’étreinte froide de la mort. Ils peuvent entendre la chaire se faire trancher, pour eux il n'y a qu’un coup de portée a l’oreille, en vérité, il y en a cinq.
- Putain de merde ! Mais t'es qui, toi ?!
- Qu’importe qui je suis. Laissez-moi passer et délivrer ces gens, ainsi, nous éviterons des morts inutiles. Et moi, je pourrais voir les cerisiers fleurir sans avoir fait le moindre effort conséquent.
- C’est le moment les gars !
Des hautes herbes, deux assassins viennent à sa rencontre dans son dos. Deux tintements d’acier, elle en charge un en tournoyant, pare son coup avec le katana d’une main et le tue avec un plus petit, le kodachi. Son mouvement suivant est de couper le bras encore exposé du second tueur et de lui perforer la gorge.
Une mare de sang s’étale à ses pieds griffus et reptiliens. Un mage fait s’abattre une vague de froid qui glace le sang et fige le temps, la bretteuse s’en retrouve engourdie.
- Ah ! Bien jouer !
Crie le chef à son ami dont le sourire finit par se transformer en une expression de stupéfaction quand il la voit bouger.
- Comment est-ce possible ?! Elle ne devrait pas bouger avec ce froid ! Qui est-elle ?!
- Je suis…
De ses yeux rubis entourés d’écailles blanches dessinant comme un maquillage, elle révèle sa force intérieure brûlant tel un volcan prêt à se réveiller. L’astre rouge continue de grandir et de sa voix calme, elle impose sa présence.
- La fille du pays du soleil levant, là où s'est forgée mon âme. Je suis, l’enfant d’une terre que je ne pourrais peut-être jamais revoir.
Le chef en a assez entendu.
- Tu nous gonfles avec tes cerisiers ! Tuez-la !
Le mage tape du bâton pour créer du verglas tandis que d’autres la chargent en mêlée. La guerrière du levant, le sang bouillonnant, embrase ses lames et devient une tempête incandescente, qui taille en pièces chaque brave osant l’attaquer et ceux, avec une légèreté qu’elle semble portée par le vent tel un pétale de fleur. Les archers ayant une vue libre sur un sol jonché de cadavre décochent des flèches, mais elle esquive et coupe chaque projectile. Le magicien hurle en créant un mur de glace.
- Vous ne passerez pas !
Elle le traverse comme une étoile filante puis découpe le mage et son bâton. Elle est cachée par de la vapeur. La fille du levant continue en marchant sereinement, apparaissant tel un spectre caressé par la brume.
- Il me semble l’avoir déjà entendu.
Rétorque la fine lame qui reprend sa charge contre les tireurs qui finissent dans le même état.
- Comment c’est possible ?!
Crie le dernier avant de se faire froidement décapiter.
- La discipline et la volonté.
Sa garde ouverte, les deux lames laissent une vague ponceau s’étaler devant la mystérieuse kobold qui n’est même pas taché, comme si cette violence ne l’affecte pas, elle est au-dessus de tout cela. Elle, la vagabonde, qui laisse derrière elle un sillage couvert de sang aussi loin que remonte sa mémoire. Elle avance, lentement, scrute le chef des bandits déchu qui prend un otage l’elfe et hurle.
- Pose tes armes où je la bute !
- Vous n’avez aucun honneur. Prendre ainsi en otage une femme désarmée à moitié dénudée en lui mettant un couteau sous la gorge. Honte à toi.
Elle range dans leur fourreau ses épées.
- L’honneur, c’est pour les idiots.
- Vraiment, alors, vous devrez en être un parangon au vu de votre inégalée stupidité.
- Je rêve ou tu m’as traité d’idiot ?
- En effet, en plus de lâche.
Elle lève ses mains bien hautes et elle baisse ses yeux en maintenant toujours en vue sur ses pieds et celui de l’otage.
- Venez, je vous attends ; voilà une chance de me tuer. Je vous ferai face quoiqu’il arrive.
Aussitôt, il jette l’otage sur le côté, prend sa masse d’armes à deux mains et crie.
- Tu vas rencontrer la mort !
D’un seul pat, la célérité de la guerrière est telle qu’il eut tout juste le temps d’esquiver une attaque. Énervé, il pointe son adversaire qui lui tourne le dos, désignant ainsi le rond rouge parfait brodé sur son vêtement comme cible.
- Vous prononcez le nom de mon éternelle compagne sans savoir qui elle est vraiment. Je ne la crains point, contrairement à vous qui êtes effrayé comme un enfant. À mainte reprise, je lui ai embrassé le visage et l’ai enjointe avec passion de prendre ma vie tout en l’enlaçant dans mes bras tendrement. Sa caresse funeste, miséricordieuse, m’a permises de vivre et d’exprimer tous mes sentiments.
Elle tourne lentement sa tête vers lui.
- D’ailleurs, elle vous appelle.
Le bandit réalise l’ampleur de son erreur, tremblant d’effroi tout en forçant son corps mortel de faire face à la guerrière.
- Ce combat n’est pas terminé ! Je vais…
Il peine à bouger, elle tient fermement le fourreau d’une main et le katana à moitié rentré de l’autre.
- Vous ne le savez pas encore, mais vous êtes déjà mort.
- Comment ?!
Le sifflement aigu de la lame d’acier résonne tel un écho annonçant la fin. La réalité oscille du point de vue du damné, laissant un aperçu de ce qu'elle fut autrefois. Un être ayant consacré son existence a la beauté du geste au milieu d’une rizière en matin chaud d’été, accompagné du chant des cigales.
À mesure qu’elle le range, le corps du meneur perd ses deux bras, les tibias sont tranchés, il plie les genoux. Il ne reste plus que trois centimètres avant que la lame ne soit rangée totalement. Sa manieuse regarde le bandit horrifié par son impuissance totale.
- Tant de vie gâchée. Mais n’ayez nulle crainte, vous aurez une autre chance tout comme moi. Si les dieux sont cléments, ils vous feront oublier la douleur et l’angoisse du trépas.
- Une réincarnation ?! Je ne crois pas en ces…
- Les défunts ne parlent pas. D’ailleurs, avant que vous ne partiez en voyage, je veux que vous sachiez que finalement, je contemplerais les fleurs de cerisiers sans avoir produit d’effort considérable ; paix à votre âme.
-Sal…
Clic, il ne put finir l’injure, sa tête vole et du cou jaillit encore plus d’hémoglobine telle une fontaine. Intérieurement, elle rit un petit peu ; il faut bien un peu d’humour sinon la vie serait d’une tristesse abyssale.
Quant à l’elfe, elle reste immobile devant ce spectacle incroyable dont, l’actrice principale lui fait une forte impression, tant sa détermination est forte et sa maîtrise exceptionnelle. Leurs regards se croisent, pour la princesse, il est certain que cette kobold n'est pas normal, un peu comme si elle n’était pas de ce monde. Il y a au fond de son être, quelque chose qui l'a marqué à jamais. Une chose qui lui est totalement étrangère.
Dans les miroirs de l’âme, elle entrevoit un feu extraordinairement puissant et destructeur, dont l’origine n’est ni des dragons ni des démons. Une ardeur bien cachée par ce visage impassible et froid ; un pouvoir scellé par les codes, la morale et la maîtrise de soi.
Et le temps reprend son cours lorsque la guerrière laisse enfin des mots empreints d’inquiétudes s’échappait.
- Navré d’avoir fait pleuvoir le sang sur vous, noble dame. Êtes-vous blessé ?
- Je… Mon esprit est blessé, mais ma chair n’a pas été atteinte.
- Et vos gardes ? Je les sens agonisants, mais bien en vie. Dois-je utiliser mes potions de soin ?
- Inutile de dépenser vos ressources. Je suis versé dans l’art de la magie de guérison, d’ailleurs, êtes-vous…
Toujours aucune trace de sang sur les vêtements de la sauveuse.
- Blessé ?
- D’aucune façon.
Elle va chercher son sac tandis que l’elfe guérit ces courageux soldats. Le temps qu’elle reprend sa route, le capitaine ayant tout vu malgré son état semi-comateux demande.
- Voyageuse ! Quel est votre nom pour vous récompenser d’avoir sauvé notre princesse !?
- Aucune importance, j’ai déjà pris les bourses de ces pauvres hères.
- Vous mentez ! Vous n’avez pas dépouillé un seul de ces gueux ! J’insiste, venez avec nous ! Or et gloire pour votre prouesse d’avoir tué une trentaine de malfaiteurs !
La princesse pose sa main sur l’épaule de son capitaine, puis chuchote.
- Laisse-la partir, cette femme a hâte de voir ces cerisiers fleurir. La saison dans l’une des vallées ne va pas tarder.
La kobolds a entendu avec ses oreilles pointues, les mots de la princesse.
- Exactement, noble dame. Mais votre capitaine semble se faire un point d’honneur pour avoir une réponse positive, alors je vais le faire en un mot. Sakura.
Un vent mystique et sacré souffle depuis l’Est, comme venant d’une autre dimension, un écho lointain qui répond a ce seul nom, puissant et ancestral. Tous ressentent une forme de magie qu’ils ont du mal appréhendé, une sensation de quiétude absolue et de sécurité les traverse. Ils peuvent presque entendre des sons de clochettes, d’instrument à cordes et un tambour aux percussions grave résonner.
- Sak… Sakura ?
Hachura le capitaine, malgré l’effort d’élocution pour respecter la courageuse âme qui se tient avec une dignité qu’il l’impressionne au plus haut point. Toujours droite, le buste en avant traduisant son assurance, sa fierté, et un regard pénétrant l’esprit en profondeur. Le chevalier se sent honoré de rencontrer cette personne qu’il considère comme une maîtresse d’armes aux nombreux secrets de cet art. Les seuls qui lui ont fait tant d’effets sont la princesse et son maître.
- Sakura, c’est mon nom.
Et sur ces mots, tout en ressortant sa flûte, elle reprend sa route et sa musique. Le convoi regarde ce petit être suivi par le soleil rouge qui l’accompagne à chacun de ces pas. Une émotion s’insinue en eux en plus du reste. Une forme de chagrin qu’ils pensent être dû au fait qu’ils veulent retourner dans leur foyer.
En réalité, leurs cœurs empathiques ont ressenti le sien et inconsciemment, ils ont tous compris que cette fille est plongée dans une grande nostalgie. Et cette mélodie mélancolique, qui porte cette héroïne, est une douce brise triste effleurant leur joie. Cette dernière fait verser une larme à la princesse qui murmure au vent d’outre-monde.
- Qu’elle trouve la paix.
Ainsi est née la légende de la kobold Sakura, fille du pays du soleil levant et d’une terre dont personne de ce monde n’a vu ne serais que la silhouette à l’horizon. Seul témoin avéré de son existence, cette fleur vagabonde.