Mes drogues
J’ai Max Richter qui fait résonner ses instruments dans la pièce, et je déteste moins la vie. Sûrement, je suis hors sujet. Mais il fallait que j’écrive et que j’en parle, de cette addiction, de ce malheur qui cache les gros amas de poussière et les fissures de mon cœur brisé. Voilà ce que ce défi m’inspire.
J’aurais pu vous parler de mon petit frère, de Baptiste, de Zoé, de tous ces gens bienveillants qui m’entourent et qui me font du bien. J’aurais pu vous parler de natation, du silence qui s’impose quand les yeux se noient, de ces gestes mécaniques qui me semblent plus naturels que de respirer. J’aurais aussi pu vous parler d’écriture, parce qu’après tout c’est bien pour cela que nous sommes ici, que vous êtes devant l’écran à me lire, parce que les mots valent tout, parce que le clavier est un refuge et la plume un nid. J’aurais pu vous dire tout ça, vous expliquer comment mon cœur s’allège dans sa cage thoracique lorsque cela me comble d’une allégresse démesurée.
Mais j’ai décidé de vous parler de ma vraie drogue. La drogue au sens littéral du terme. Mes drogues, plutôt. A l’heure où j’écris ces lignes, la fumée cache la moitié des mots. Je ne sais plus lire, je ne sais plus écrire mais mes doigts se baladent sur les touches et je vous dis ceci. La cigarette apaise, l’alcool soulage, les joints reposent. Voilà ce qui rend ma vie supportable : ces substances que j’inflige à mon corps et qui me rende moins détestable, moins laide, un peu plus vivante.
Au début c’était seulement en soirée. Puis les bouteilles giseront bientôt nues dans la cuisine, entièrement vidées, toute seule. Les joints sont venus plus tard. Pareillement, c’était uniquement avec des amis. Puis j’ai pris goût à cette sensation, ce sentiment qui m’habite en ce moment-même et qui m’autorise à vous parler, comme une sorte de liberté éphémère, une fenêtre du ciel qu’on ouvrirait.
Il n'y aurait rien de plus à dire puisque la fumée que je respire à pleins poumons montre tout. Elle dessine des souvenirs dans l'air : j'y devine les silhouettes de mon oncle, de Killian, d'Alexandre. J'y devine tout ce qui m'a amené jusqu'à cet instant précis. Mais la fumée s'évapore avec la tristesse. Il ne reste plus rien, juste les cendres d'un héritage brûlé. C'est ce moment-là qui rend ma vie belle : l'amnésie me donne le sourire, et je suis heureuse d'être encore là.
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