Chapitre III
III- Bilan de la situation actuelle.
Les disparités dans le monde sont très nombreuses. Selon le rapport mondial de L'UNESCO en 2012, 61 millions d’enfants n’ont pas accès à l’école dans le monde en 2010. Une situation très préoccupante, même si elle s’améliore : ils étaient 107 millions dans ce cas en 1999. 46 millions d’enfants supplémentaires ont ainsi pu rejoindre les bancs de l’école entre 1999 et 2010. Près de 31 millions des enfants non scolarisés vivent en Afrique subsaharienne et 20 millions en Asie, contre 1,6 million dans les pays riches. Dans le secondaire, le taux net de scolarisation est de 63 % en 2010 au niveau mondial contre 52 % en 1999. Là aussi, l’amélioration est nette. Mais alors que ce taux atteint 92 % dans les pays riches, il n’est que de 29 % en Afrique subsaharienne, de 51 % en Asie du Sud et de l’Ouest. Ces chiffres ne sont qu'une indication quant à la diversité de la fréquentation scolaire dans le monde. Ils ne sont pas totalement fiables car dans certains pays les enquêtes étaient soumises à des ingérences politiques et à la propagande. En juillet 1996 je me suis retrouvé pendant 15 jours au Sénégal accompagnant un groupe de 10 enfants de 10 à 12 ans, pour un séjour d'échanges culturels organisé par l'IME où je travaillais à l'époque ; nous avions distribué des livres et BD dans une école et mes collègues et moi-même étions frappés de voir combien les enfants africains se ruèrent sur ces livres, assis sur le sol de la classe, concentrés et manifestement ravis de les consulter, alors que nos petits français se tenaient à distance et n'y ont même pas jeté un coup d’œil.
Les disparités en France ne concernent pas la fréquentation de l'école puisqu'elle est obligatoire de 7 à 16 ans, mais les conditions matérielles et humaines, les moyens mis en œuvre, les effectifs, l'environnement socio-culturel, les méthodes d'apprentissage et bien sûr le climat scolaire. Si l’État impose ses lois et ses directives ministérielles dans l'ensemble de notre pays, il ne faut cependant pas généraliser le fonctionnement de nos établissements scolaires. Les disparités y sont nombreuses et importantes dans tous les domaines que je viens de citer. Il me semble que les classes sont en général moins surchargées dans les collèges que dans les écoles primaire et surtout dans les maternelles. Des variations plus ou moins marquées existent selon les régions, selon que l'on vit dans les campagnes ou dans les villes et pour les villes selon leur importance, selon qu'elles sont des villes universitaires ou non. Notre crise de civilisation actuelle qui porte atteinte à la bonne santé physique et mentale de notre population, avec plus ou moins d'intensité, de gravité, en fonction du lieu d'habitation, des conditions de vie, de l'éducation, exerce une influence évidente sur le climat scolaire. De plus en plus de citoyens déménagent plusieurs fois dans leur existence et se confrontent donc à des réalités différentes, rassurantes ou inquiétantes quant à la scolarisation de leurs enfants. En 2011 le ministère de l'EN a effectué une enquête par questionnaire auprès de collégiens de 300 collèges complétée en 2013 sur 360 collèges, dont les questions portaient sur se sentir bien au collège, l'ambiance entre élèves, les copains-copines, les relations avec les professeurs, l'agressivité entre élèves et profs, les relations avec les autres adultes, les apprentissages, les punitions, la peur de la violence et le sentiment de sécurité dans le collège, dans le quartier autour du collège. Près de 80% des collégiens ont répondu à cette enquête, 92% se sentaient bien dans leur établissement, 82% trouvaient que l'ambiance y était bonne, 91% y avaient des amis, 91% y apprenaient bien, 32% ne trouvaient pas les punitions justes. En fonction de l'âge on a remarqué que le sentiment de sécurité était plus important pour les 3èmes que pour les 6èmes, que les relations avec les professeurs et l'ambiance comptaient moins pour les plus âgés et que les relations entre élèves restaient stables durant tout le parcours au collège.
Les aspects positifs Parmi ces aspects positifs, je citerai les nombreuses expériences originales qui existent sur notre territoire, dont on ne parle que très peu dans les médias. En effet les écoles maternelles et primaires connaissent des ouvertures, des approches relationnelles, des tentatives en faveur du bien-être des élèves. Il y a des lycées pilotes dans notre pays et plus de 50 collèges pilotes qui expérimentent de nouvelles formes de travail pour les élèves et les enseignants, qui affichent des résultats plus que prometteurs en ce qui concerne l'absentéisme, la sécurité et les performances scolaires. Des courants pédagogiques militent depuis longtemps en ce sens, comme les « écoles Freinet », « les écoles Montessori », la pédagogie institutionnelle développée par Fernand Oury, le GFEN (groupe français d'éducation nouvelle), la pédagogie curative. Ils entraînent un peu partout des enseignants dans leur sillage. Les travaux de philosophes, sociologues, psychanalystes, psychologues et chercheurs en sciences de l'éducation, dont Wallon (qui fut jadis ministre de l’Éducation Nationale), Piaget, Anna Freud, Winnicott, Françoise Dolto, et plus près de nous, Serge Boimare, Eric Debarbieux, Philippe Meirieu, ont une influence dans le domaine de la pédagogie, même lorsque les gouvernements n'appliquent pas leurs propositions ou recommandations. Enfin l'aspect positif auquel je tiens peut-être le plus est l'ouverture de l'école vers les enfants en situation de handicap, l'orientation de l’Éducation Nationale vers ce que l'on nomme « l'école inclusive ». Tout enfant, quel que soit son handicap, où qu'il se trouve, doit être de nos jours considéré comme un élève et inclus dans les écoles ordinaires. Ces enfants handicapés, que l'on rejetait il n'y a pas si longtemps en tant que « incapables », « débiles « ou « cancres », prouvent lorsqu'ils sont inclus dans les écoles dites « normales » qu'ils ne sont pas plus dangereux que leurs camarades qui suivent une scolarité satisfaisante ou brillante, qu'ils n'empêchent pas les autres élèves de travailler et de performer correctement, bien au contraire ; à condition toutefois qu'ils soient suffisamment bien aidés matériellement et humainement par des enseignants et des AVS motivés et compétents, et suivis par des services médico-sociaux décidés à jouer la carte du partenariat avec le milieu scolaire.
Les aspect négatifs se voient malheureusement encore dans beaucoup trop d'établissements où le mal-être règne en tyran, où la souffrance et l'insécurité sont ressenties dès que l'on passe la grille de l'entrée, avec des manques de moyens flagrants, des pratiques et des comportements d'une autre époque, des méthodes d'apprentissages inadaptées, où les règles de bonne conduite ne sont pas appliquées pour diverses raisons comme des réformes gouvernementales mal comprises, mal interprétées, mal exécutées et parfois inappropriées. Des partis politiques s'affrontent sur les causes du mal-être de la population et à l'école et sur les conduites à tenir pour y remédier. Les gouvernements doivent composer avec des courants de pensée réactionnaires, réformistes voire révolutionnaires. Les gouvernants en charge de l’Éducation Nationale doivent tenir compte de tous les lobbies et réseaux d'influence, souvent impérialistes, contradictoires et irréductibles. Les lois, les décrets et les circulaires sont parfois riches de bonnes intentions, comme par exemple tout ce qui concerne l'école inclusive mais les moyens pour les appliquer ne suivent pas, et les mentalités non plus. Nous savons tous combien le malaise ambiant met en exergue la violence et l'insécurité et place dans la peur et l'impuissance, dans la confrontation elle-même aussi violente et insécure, ceux qui prônent les solutions radicales et ceux qui prônent les solutions modérées. Nous constatons que le refuge philosophique et intellectuel dans les idées post-modernes, trans-humanistes et post-humanistes, le recours aux manifestations religieuses et humanophiles ne nous permettent pas pour autant l'accès au bien-être. L'Homme est ainsi fait qu'il ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, qu'il ne fait pas de bons films avec les bisounours, qu'il ne fait pas de bonnes émissions télévisées avec de bonnes nouvelles, qu'il ne fait pas de bons profits avec la générosité. Il n'y a rien qui m'horripile plus que d'entendre des enseignants déclarer : nous ne sommes pas là pour aimer les enfants, alors que tous leurs propos concernant leurs élèves suintent de sentiments positifs ou négatifs à leur égard. Ceux-là se croient neutres affectivement mais ne le sont pas, ils ne peuvent jamais dire qu'ils aiment bien tel élève mais ont parfois très envie de lui coller des baffes s'il ne réussit pas scolairement, de le favoriser s'il est brillant, ou qu'ils n'aiment pas tel autre en raison de son insolence et s'ils reconnaissent ses compétences, forcément elles vont pâtir un jour où l'autre de son comportement. Par contre les élèves, eux, ont besoin de se sentir aimés de leurs maîtres, de les aimer pour bien apprendre et être bien à l'école. Qu'on le veuille ou non, que l'on trouve cela ringard ou pas, l'amour est quand même un bon conducteur vers la reconnaissance, le respect et l'estime de l'autre.
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