Aujourd'hui je me fais écrivain non pas pour transcender le solipsisme au-travers d'une ultime expression de mes sentiments, mais bien pour accomplir la tâche qu'aucun scientifique ne peut réussir. Je ne vais pas vous mentir, je suis un être humain et avec tout ce que cela implique, mon point de vue, même dans la folie, est limité à celui de l'ego comme notre philosophie occidentale l'a défini. Je ne suis pas là pour hiérarchiser les voies de la pensée, les esprits ou les civilisations mais je ne compte pas vous mentir, mon origine me limitera lors de cet exercice à une comparaison faible influencée par l'environnement qui me guide depuis la naissance comme ce serait le cas pour chacun. Le pronom « je » sera employé pour faciliter l'identification du lecteur.

 Maintenant que vous avez lu mes avertissements quand aux bornes de cette expérience, laissez-moi me glisser dans la peau d'une citrouille. Je ne possède pas les cinq mêmes sens que les créatures mobiles mais je ne suis pas moins sensible à mon environnement et pas immobile du tout. Ma notion du temps me semble infinie parce que je sais que, non seulement je suis une entité à part entière, mais également que, je suis le porteur d'un fardeau plus important. Mon individualité n'existe que pour s'écraser au profit d'une quête plus grande qui me réjouit en me replaçant, avec un sens, dans la globalité de l'Univers. Je suis relié par cette mission, d'abord aux autres qui sont bâtis de la même matière, mais ensuite à chaque créature vivante et à chaque molécule inerte. Mon devoir est simple : j'existe pour que quelque chose existe et que tout continue d'exister. Je n'ai pas besoin de but parce que mon existence est la victoire et l'accomplissement de mon objectif, le seul qui compte : la vie. Je suis la vie car j'en fait partie et chacune de mes actions est tournée vers des conséquences créatrices de vie parce que le cycle est infini. Je ne meurs jamais et je suis éternel. Chacun d'entre nous est le premier et le dernier et je suis composé de chacun des miens en n'étant qu'une part de tous. Je ressens la faim mais sans avoir besoin d'estomac. Je ressens le froid mais ma peau de me fait pas souffrir. Chaque douleur, chaque ressenti est une idée pour faire progresser ma création. J'existe pour perpétuer mon existence dans les graines que je répandrais. Ces graines viennent de l'intérieur de ce que je suis et je deviendrais ces graines parce que la naissance n'est que la succession de la mort. Être découpé, violenté, échoué à transmettre la vie, rien de tout cela n'est important parce qu'avec ou malgré moi tout continuera. Je ne ressens aucun plaisir parce que je suis le bonheur que tout se fasse et soit présent à l'infini. Et le cycle recommence...

 Qu'est-ce que cela nous apprends ? Loin de m'étendre sur des considérations philosophiques telles que la réincarnation ou Spinoza, je poserais cette question : et si chaque chose était vouée au même objectif, toujours d'un point de vue différent et que ce que nous appelons le bonheur dépassait nos sentiments ou nos ressenti pour se stabiliser dans le simple fait d’exister parmi tout le reste ? L'existence est-elle le plus glorieux accomplissement dont chaque chose est capable ? Mais d'autres interrogations s'élèvent de cette identification. Chaque homme est-il, à l'image des citrouilles qui survivent dans leurs graines, immortel grâce à la naissance d'une progéniture qui provient d'eux ? Et si un homme ne donne pas naissance à un enfant, ne survit-il pas au-travers des autres hommes à qui il a dû transmettre des générations plus tôt ? Plutôt que d'être le maillon d'une très longue chaîne, ne sommes-nous pas tous les maillons à la fois cherchant d'un pied malade le lit où s'assurer que la chaîne ne continue ? Peu importe ce que nous accomplissons la chaîne se poursuit et éclate en filets féconds, et ainsi le cycle recommence...