Le dernier métro

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Normalement, je ne regarde pas les mecs dans le métro. Je veux dire que je ne suis pas insensible, mais je reste discret. Lui, je ne l’ai pas vu de suite. J’ai attrapé le métro de justesse et j’ai pu me caler dans un siège, abruti de fatigue. La soirée avait été intense. J’aime bien ce petit job de serveur le vendredi soir. Pas pour ce qu’il me rapporte, mais pour l’impression de liberté dans mes mouvements. J’aime y mettre de la grâce. Je ne veux pas dire féminité.

Il me regardait, c’est pour ça que je l’ai aperçu, à l’opposé de moi. Il y avait encore du monde et seul son visage m’apparaissait, plutôt ouvert et sympathique. C’était la première fois que j’étais l’objet d’une telle attention. J’étais confus, mais je ne crois pas avoir rougi.

Quand le métro s’est vidé, j’ai pu le regarder. Un mec vraiment magnifique : de longues jambes dans un jean serré, un t-shirt qui moulait des pectoraux et des abdo parfaits, des bras puissants, mais pas trop gros. Je n’aime pas les mecs virils. Je préfère ceux qui sont comme moi, fin, gracieux. En fait, la plupart des mecs me rebutent. Et puis j’en vois un et, pour celui-là, j’abandonnerais tout pour m’offrir à lui, me perdre en lui. Je rêve…

Si la plupart des mecs me rebutent, je ne parle pas des femmes : absolument toutes me font peur. La seule exception, c’est Laur, ma meilleure amie. Le seul être humain que j’ai dragué. J’ai mis trop de temps pour me rendre compte que c’était une fille ! Pourtant, elle était mon genre, entre fille et garçon. Mais elle préférait exclusivement les filles. On a rigolé de mon innocence et nous sommes devenues copines.

Lui, ce n’était pas mon genre, mais il était tellement beau que je l’aurais suivi quand même. En plus, il était noir. Je n’ai jamais été attiré par l’exotisme, mais pas inintéressé non plus. Lang, ce n’est pas pareil. D’abord il est métis, pas que Vietnamien, ensuite, il me ressemblait. Mon amour. En rêve. En fait, nous nous sommes fréquentés pendant nos études. On a couché six fois ensemble. C’était bien. Il faut que je le retrouve… Je rêve…

Le métro avance. Il n’y a plus que nous deux dans la voiture, hormis une poignée répartie au-delà. Je ne sais pas s’il me fixe. Il faudrait que je sorte mes lunettes. Quelle connerie ! Déjà, avec ma conformation et ma quasi absence de barbe et de poils, on me donne dix-huit ans plutôt que vingt-quatre, mais prendre des lunettes à la Harry Poters me rajeunit encore. Moi, j’aime ! Je m’adore avec. Pour le service, ça marche ! Les gens sont plus gentils. J’aimerais mieux sentir une caresse sur mes fesses… C’est quand même un bar gay friendly… Je rêve...

J’aime cet état de fatigue, quand l’esprit saute d’un sujet à l’autre librement. Chaque fois que je rouvre les yeux, il y a son regard et sa beauté. Il faut que j’arrête d’y penser juste garder son image pour ma branlette du soir. Il est quand même extra ! Je lui ai mis un petit cul bien moulé, faute de le voir. S’il me propose, je veux bien le posséder. Exceptionnellement. La seule fois, cela avait été ma toute première fois. On avait inversé. Je n’avais pas trop aimé. C’est tellement mieux d’être pris, de s’offrir, de se laisser accompagner.

Je dis ça, mais mes expériences sont tellement limitées. Une dizaine de fois, en comptant large. Mon problème est que je ne sais pas draguer. J’ai honte de moi et j’ai tellement peur du refus violent, des insultes. J’attends le grand amour, avec un beau mec tout en douceur. Quand je le présenterai à mes parents, ils sauront alors je ne sais pas comment ils réagiront. Je rêve…

Nous arrivons au terminus. Je me lève. Normalement, je me mets devant la sortie, mais ce soir, je dois remonter tout le quai. Il me suit, nous sommes les derniers. J’essaie de marcher normalement. Si seulement il me prenait la main… Je rêve…

Aux tourniquets, il aurait pu les sauter. Il préfère se coller à moi. Ça m’arrive de temps en temps. Je laisse faire. Mais cette pression soudaine contre mes fesses et mon dos me transporte. Je m’arrête pour profiter de cette fraction d’éternité. Je sens son odeur. Elle m’affole. Je sors du tourniquet et je m’arrête, le cœur immobile. Propulsé par la machine, il me heurte et, par réflexe, pose sa main sur mon épaule. Je fonds. À mon étonnement, je mets ma main sur la sienne, me retourne et fixe son regard. Mon cœur s’emballe, car j’y lis le même désir. Je ne rêve pas !

Sans lui lâcher la main, je l’entraîne hors de la gare. Je connais bien ce bosquet, à deux pas sur la gauche.

À peine dissimulés, nos bouches se rencontrent. Ce goût, cette force, ces cheveux crépus alors que sa main caresse ma tête. Mon autre main va vérifier ses fesses. Quelle perfection ! Me perdre en lui, m’abandonner totalement… je lui retire son t-shirt, puis le mien. Nous nous étreignons avec force. Sa peau est épaisse et rugueuse, mais ses gestes emprunts de douceur. Je descends ma bouche sur son torse, sur ces muscles magnifiques. Je m’attarde, avant de venir butter sur sa ceinture. Il la défait, descend son jean. J’enfonce ma main vers mon envie, trouve un membre qui épouse parfaitement ma main, une taille de rêve, tout en finesse. Ma bouche chauffe l’objet de mon plaisir. Il me redresse, fait tomber mon pantalon. À son tour, il m'enfourne, me décalotte avec délicatesse. Nous reprenons nos bouches. Le rythme se ralentit. L’un comme l’autre, nous voulons étirer ce moment de volupté. Une voiture pénètre sur le parking, nous fauchant momentanément de ses phares. Qu’importe ! Le monde nous appartient, le reste n’existe plus.

Il me fait retourner. Mon désir ! Mon rêve ! Il me prépare de sa langue. Pourquoi sais-je déjà que ce sera merveilleux ? Il s’enfonce doucement, alors que ses mains sur mes hanches me couvrent de frissons. Que c’est bon de le sentir pleinement en moi, nous épousant parfaitement. Ses mains remontent vers ma poitrine. Il me redresse. Une fois mon dos contre son ventre, il commence de profonds mouvements, nous emportant dans le même voyage. Je décolle vers l’absolu. Une de ses mains maintient ma vigueur de doux mouvements. Je le sens autant qu’il doit me sentir. Cette éternité s’achève par notre éclatement simultané, renforçant cette union sacrée. Nous ne bougeons plus un long moment, le temps de revenir. Il se retire sans que je le sente partir. Je serre les fesses, voulant garder en moi son don. Un dernier baiser. Il me passe un doigt sur le visage, j’embrasse sa paume. Avant un premier mot, il s’est fondu dans l’obscurité.

Je me remets doucement. Je rejoins mon chez moi, encore assommé de bonheur. Ça existe donc pour de vrai !

Ce n’est que le lendemain matin que je réaliserai que j’ai baisé avec un inconnu, sans protection. Cela n’a pas d’importance : nous allons nous revoir, nous connaître, recommencer, à l’infini !

Le soir suivant, bien que n’étant pas de service, je suis à la même heure sur le même quai. Chaque soir. Une heure avant, entrant dans chaque rame, partant avec la dernière vers mon désespoir.

Un an que je l’attends, mon corps et mon esprit affamé de cette dérilection.

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