Chapitre 6 /Nommo, le premier visiteur extraterrestre

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Le lendemain, Wezen proposa à Stella des kapotiers pour le petit-déjeuner. Elle se connecta à lui en apposant sa main droite sur la sienne. Il préféra lui tenir la main dans la sienne pour plus de commodité.

— C’est un fruit ? s’étonna Stella.

— Allez-y, mangez-le ! Vous allez voir, c’est délicieux.

— Ça a le goût d’une mangue mélangée à des fraises.

— Vous voyez que vous n’allez pas mourir de faim. Nous fabriquons aussi des galettes avec la bouillie de sorgho fermentée.

— Celle qui est déféquée par vos ambibozaires ?

— Je crains que vous n’arriviez pas à manger les épis de sorgho directement dans les cultures.

— Effectivement, je ne suis pas un ruminant. C’est étonnant que vous arriviez à cultiver des sols aussi salés et arides.

— Des micro-organismes halophiles qui vivent dans les geysers sont déposés sur les champs pour les enrichir. Nous plantons ensuite le sorgho au lever de Vénus pendant la nummay.

Le repas consommé, Wezen offrit à Stella une tunique tissée d’algues vert émeraude, apanage d’une future reine. Le vêtement enfilé, il lui proposa une visite des lieux. Sur le chemin qui les menait en bordure de l’océan, elle revint avec instance sur sa téléportation.

— Wezen, seriez-vous le dieu égyptien Thot ou Anubis ? Avez-vous procédé à la pesée de mon âme, et dans ce cas quel a été votre jugement ? Je ne m’imaginais pas qu’une civilisation antique détenait la vérité sur le passage vers l’au-delà.

— Stella, je vous assure que vous êtes vivante. Vous avez simplement changé de système stellaire.

— Je suis une scientifique, comment voulez-vous que j’abonde dans votre sens ? J’essaye de me raccrocher à l’idée de l’Égypte antique, qui vouait un culte à Sirius, seul vrai repère, seul rempart à la folie qui me guette.

— Mon ancêtre Nommo ayant visité autrefois la Terre, pourquoi croyez-vous que l’inverse soit impossible ? Des centaines de signes cabalistiques à l’intérieur des grottes retracent cette rencontre. Je vous les montrerai dès que possible et vous comprendrez.

— Sirius est distante de 8,6 années-lumière de la Terre, il me faudrait soixante-neuf ans d’après le projet Breakthrough Starshot[1] pour rentrer à bord d’un nano-vaisseau alimenté par des photons solaires.

— Nous n’utilisons pas de vaisseaux pour voyager dans l’univers, nous connectons notre force psychique à celle des neutrinos qui sont des intelligences supérieures.

— Sur Terre, actuellement, nous ne téléportons qu’un atome sur quelques mètres. Si je m’en tiens aux seules lois de la physique, l’humain n’étant qu’un concentré d’atomes, l’expérience serait réalisable dans un lointain avenir.

— Maintenant, votre véritable mission est de régner à mes côtés sur Ombrilio.

— Vous m’annoncez ça sereinement ? Je suis prisonnière ici et vous m’imposez cette union ? C’est hors de question, je ne suis pas amoureuse de vous.

— Je vous offre une espérance de vie sept fois supérieure à celle que vous auriez sur Terre, et vous refusez ?

— Je suis honorée de l’intérêt que vous me portez, mais je préfère vivre un demi-siècle avec l’homme que j’ai choisi, plutôt qu’une éternité sous la contrainte. Aidez-moi à rentrer sur Terre tout de suite !

— Je n’ai pas ce pouvoir, hélas. Amma commande cette téléportation et il vous a choisie parmi des milliards de candidates, vous êtes l’élue.

— Qui est Amma ?

— Amma est notre Dieu, créateur de l’univers.

— Vous êtes mon pire cauchemar, Wezen. J’espère que je vais me réveiller. Imaginez-vous la souffrance de mes parents confrontés à leur supposé deuil ! Je n’ai aucun moyen de les prévenir que je suis vivante et que je les aime. Vous n’avez donc aucune empathie ?

— J’ai de la compassion pour vous, mais comment voulez-vous que j’éprouve de l’empathie envers votre famille qui m’est inconnue ?

— Dans l’hypothèse où vous seriez à ma place sur Terre, entouré d’étrangers qui vous imposent leur volonté, que feriez-vous ?

— Quand mon ancêtre Nommo s’est téléporté sur Terre, aucun humain ne lui a dicté sa loi. Ils ont coopéré intelligemment.

— Hum… permettez-moi d’en douter. Autre chose me perturbe, vous m’annoncez que par le passé votre ancêtre s’est téléporté sur Terre. Or, votre mode de vie spartiate se situe à des années-lumière des connaissances astrophysiques des Terriens. Je ne comprends pas cet anachronisme…

— Je vous trouve bien critique. Et moi qui croyais qu’une scientifique comme vous, serait enchantée de découvrir la triple constellation siriusienne.

— Tant que vous ne comprendrez pas la différence entre « invitation » et « enlèvement », notre dialogue sera vain.

— La volonté d’Amma est supérieure à la vôtre, ma chère Stella.

Tandis qu’ils descendaient au bord de la plage, ils croisèrent sur le chemin le frère jumeau de Wezen, Furud, accompagné de Sénéqué, le chaman. Ils dévisagèrent Stella puis passèrent leur chemin.

— Quelle courtoisie ! Les sujets de votre majesté ne se montrent guère polis.

— C’est compréhensible, ils vous ignoreront tant que vous n’apprendrez pas la langue tonale des Ombriliens. Vos échanges en seront grandement facilités, croyez-moi !

— Pourquoi ? Aucun d’eux ne pratique le langage psychique ?

— Mis à part Sénéqué, je suis le seul hybride doté de ce pouvoir. Si chacun pouvait lire dans l’esprit de l’autre, il y aurait des disputes, voire des meurtres. De cette façon, il n’y a aucune rivalité entre nous. Chacun effectue un ordre du jour, et s’il rencontre des difficultés, j’en suis immédiatement averti.

— Le libre arbitre n’existe pas sur Ombrilio. Vous y avez instauré une dictature, pas une démocratie. Et si vous décédiez, qui vous succéderait ?

— Mon faux jumeau Furud. Le chaman l’introniserait en lui allouant la communication télépathique. Je suis encore jeune, cependant toute vie s’éteindra sur Ombrilio si aucune naissance ne survient d’ici là.

Wezen la conduisit à l’intérieur des grottes sacrées. Elle y découvrit d’innombrables signes cabalistiques.

— Ces dessins retranscrivent la rencontre de mon ancêtre Nommo avec les Homos habilis, lors du pléistocène d’Ounjougou. Au commencement, le soleil et Sirius étaient jumeaux, puis l’expansion spiralée de l’univers a déchiré la matrice céleste, et Sirius a été propulsée hors du système solaire dans la constellation du Grand Chien.

— Poursuivez votre théorie de la création de l’univers, c’est passionnant !

Wezen changea volontairement de sujet, et elle n’obtint aucune réponse qui lui aurait permis de comprendre la synchronicité entre l’éclair de Tcherenkov et sa téléportation sur Ombrilio.

— Maintenant, je dois vous instruire sur le fonctionnement d’Ombrilio et nos us et coutumes. La loi de la gravitation universelle s’applique ici comme sur Terre. La force cinétique des trois astres s’additionne à celle de l’exolune Ho, provoquant les marées cataclysmiques de l’océan Titanique. Le temps s’y écoule plus lentement que sur Terre. Une année ombrilienne équivaut à sept années terrestres. Au niveau sécurité, nos guetteurs surveillent l’arrivée des marées hautes et soufflent dans une conche émettant des vibrations qui alertent la population. La domestication des lucanes cerfs-volants géants, nous offre un moyen de transport sécurisé, ainsi qu’une protection contre les autres espèces d’insectes moins avenantes. Des méganeuras, des fulgores porte-lanterne et des diables membracides, de même taille que nous, constituent quelques-uns des spécimens que la colonie croise parfois à ses risques et périls. Les insectes sont carnivores, sauf les coléoptères, et se livrent des combats incessants. Des barrières infranchissables édifiées par nos soins, constituées de gigantesques droseras scorpioides, nous préservent du danger autour des grottes. Concernant la santé, notre chaman Sénéqué identifie nos déséquilibres physiologiques grâce à la visualisation des auras. Une source d’eau douce jaillit des entrailles d’Ombrilio, que mes sujets préservent avec soin. Le chaman y prépare ses remèdes. À présent, il est temps que vous appreniez la langue tonale de mon peuple par clic alvéolaire latéral. Je vous ai désigné mon frère Furud comme professeur. Je vous conduis chez lui.

— Je ne veux pas apprendre une langue étrangère. Je veux juste rentrer chez moi sur Terre, sanglota Stella.

Wezen ne savait quelle attitude adopter face au désespoir grandissant de Stella. Il tapota longuement ses mains en signe de compassion.

— Je comprends que vous soyez malheureuse ici, mais je n’ai aucune compétence en téléportation. Faite l’effort de vous intégrer à ma communauté, je vous en prie !

— J’accepte à une seule condition.

— Laquelle ?

— Vous me laissez libre de mener ma vie comme bon me semble sur Ombrilio.

— Je n’ai jamais soumis par la force aucune congénère femelle. Vous avez ma parole.

— Alors nous sommes d’accord. Allons-y !

Furud les accueillit de cinq claquements de langue, similaires à ceux de la langue africaine bantoue. Après avoir salué ses hôtes, Wezen partit vaquer à ses nombreuses occupations.

Stella fut une élève appliquée et maîtrisa la langue en seulement trois jours. Furud s’autorisa alors des gestes déplacés. Il posait ses mains sur ses épaules avec insistance. Et bien qu’elle refuse ses avances, il persistait avec assiduité.

— Stella, tu as la peau plus douce que celle de mes congénères femelles. J’aime l’odeur de tes cheveux brillants comme les étoiles. Tes yeux sont deux aigues-marines qui m’hypnotisent. Nous formerions un beau couple ensemble, ne suis-je pas plus séduisant que mon frère ?

— Furud, vous oubliez l’objet de notre rencontre. Je ne suis pas intéressée par votre proposition.

— Tu as tort, je suis un mâle fougueux qui enchanterait tes nummays.

— Vous vous y prenez maladroitement pour me séduire. Les Terriens ont des mœurs différentes des vôtres, je suis désolée. L’attirance dicte nos choix, et à vrai dire, je n’en éprouve aucune pour vous.

— Tu ? Euh… je veux dire… vous. Vous n’allez pas rapporter à Wezen notre conversation, j’espère ?

— Si vous me promettez de me laisser tranquille, je garderai notre échange confidentiel.

Le lendemain, Furud avait mystérieusement changé son fusil d’épaule.

— Contrairement à Wezen, je ferai tout mon possible pour vous renvoyer sur terre.

— Pardon ! Qu’avez-vous dit ?

— Vous brûlez d’envie de rentrer chez vous, n’est-ce pas ?

— Et pourquoi m’aideriez-vous ?

— Si vous offrez un héritier mâle à Ombrilio, jamais je ne régnerai sur la seigneurie d’Algaraï. Disons que nous avons un intérêt commun dans l’histoire. Qu’en pensez-vous ?

— De quel héritier parlez-vous ?

— Wezen ne vous a pas informé qu’il était veuf depuis trois ans ?

— Non, sa vie privée ne me regarde pas.

— Notre regrettée Aludra, s’est empoisonnée avec le venin de l’arachnée salticidaé contre lequel il n’existe aucun remède.

— C’est horrible ! Pourquoi a-t-elle mis fin à ses jours ?

— Elle était stérile, comme les autres congénères femelles de la colonie. Son incapacité à devenir mère lui a été fatale.

— Vous m’annoncez que j’ai été téléportée sur Ombrilio pour succéder à son épouse et procréer ?

— Je vous devine réfractaire à cette idée.

— Tout à fait. Je choisirai le moment opportun pour faire un bébé avec un Terrien dont je serais éprise. Comment allez-vous me réexpédier d’où je viens ?

— Dans un an aura lieu sur Terre la fête du Sigui. Mon ancêtre, le premier Nommo, a installé un dispositif de téléportation qui fonctionne lors du lever héliaque. C’est à ce moment très précis que je vous renverrai chez vous. Mais je dois effectuer quelques changements afin de rendre cette mission réalisable.

— Que comptez-vous faire ?

— J’estime que vous en savez assez pour l’instant. Faites-moi confiance et gardez vos distances avec mon frère. Seul compte votre voyage de retour !

La nummay suivante, Stella fut réveillée par des cris provenant du gîte de Wezen. Elle repensa aux propos de Furud, qui lui avait signifié d’ignorer les conflits internes. Devant ce dilemme cornélien, de sombres pensées l’assaillirent. Elle renonça à porter secours à Wezen qui était peut-être souffrant ou pire, à l’agonie.

Elle resta statufiée dans son hamac jusqu’à l’aube, en conflit intérieur avec son manque d’empathie. Elle saisissait des bribes de conversations d’Ombriliens qui évoquaient une attaque de méganeuras pendant la nuit dans la chambre de Wezen. Elle finit par se diriger vers la résidence privée. Sénéqué était en train de soigner les nombreuses plaies du monarque à l’aide d’onguents aux odeurs étranges. Il avait posé des cristaux de guérison sur chacun des chakras de son patient.

Stella remarqua sur le front du guérisseur une étoile à vingt et une pointes qui se terminaient toutes par un infime diamant. Cet hybride ressemblait trait pour trait à Wezen, bien qu’il parût plus âgé que lui d’une quinzaine d’années. Il portait une longue tunique en peau de poisson tannée. Ses cheveux blancs étaient enroulés en chignon autour d’un objet évoquant un triskèle. Elle hésita à interrompre sa méditation puis céda malgré tout à la curiosité.

— Puis-je vous être utile à quelque chose, Sénéqué ?

— Certainement. La nummay prochaine, des gardes du corps veilleront sur mon maître afin de parer toute nouvelle attaque. Je souhaite que tu demeures à ses côtés pour lui offrir à boire s’il est fiévreux.

— Bien sûr, je ferai mon possible pour contenter ton seigneur.

— Maintenant, regagne l’espace des congénères femelles, ton champ magnétique interfère avec celui de Wezen.

Stella, surprise par la rudesse des propos du chaman, s’exécuta sans attendre. Sur le chemin du retour, elle croisa Furud qui, ayant eu vent de cet accord tacite entre elle et Sénéqué, l’accueillit froidement.

— Stella, vous ne m’avez pas obéi, je vous avais expressément demandé de ne pas vous mêler des affaires du royaume.

— Je ne comprends pas. Votre frère s’est fait sauvagement agresser la nummay dernière par des libellules géantes, et vous ne semblez pas préoccupé par son état de santé ?

— Je me dois d’enquêter sur l’incident et je n’ai pas vocation à soigner mon prochain. Si le pire arrivait, je me tiendrais prêt à lui succéder.

— Vous vous exprimez comme si votre frère était à l’article de la mort, c’est indécent !

— Votre indécence à vous est de vous immiscer dans la vie privée de Wezen.

Furud, agacé, interrompit leur conversation et se dirigea vers les hauteurs de la falaise afin de chasser sa colère. Il captura un lézard qui se prélassait sous l’étoile mère et le goba vivant.

Pendant la nummay suivante, Stella effectua la mission que lui avait confiée Sénéqué. Elle s’approcha de Wezen qui avait survécu en électrocutant les prédateurs, comme le font les anguilles électriques en produisant des impulsions à haute tension à l’aide de leur organe de Hunter. Sérieusement blessé, il lui prit la main. Submergé par l’émotion, il prononça avec difficulté quelques phrases en langue humaine dans une tessiture de voix grave.

— Ste… Ste…lla, je… je te re… mercie… remercie… de ton dé… dévouement. Tu n’étais pas obli… obligée de me soigner !

— Quoi ? Vous… tu parles le français, comment est-ce possible ?

— Mon géniteur était terrien. Il a disparu d’Ombrilio quand j’avais cinq ans. Sénéqué a proscrit l’usage du langage humain sur Ombrilio après sa disparition.

— Ah ! je serais curieuse de connaître la suite. Pour l’instant, repose-toi, afin que tes proches n’aient aucun doute sur tes capacités à gouverner Algaraï.

— Cette attaque était délibérée ! Les meganeuras sont emprisonnées dans les profondeurs des grottes, aucune n’aurait pu s’en s’échapper sans l’intervention d’un des nôtres. Malheureusement, je soupçonne mon frère. Depuis qu’il t’enseigne la langue tonale, il se montre très distant à mon égard. De plus, je n’arrive plus à le localiser, comme s’il avait coupé son canal psychique. La falaise d’Algaraï recouvre un quart de la superficie d’Ombrilio et il est aisé d’y fomenter un complot.

— Décidément, sur Terre j’étais confrontée à une sombre histoire de famille, et voilà que ça recommence ici…

— Je suis sincèrement désolé que tu aies à braver ce genre de désagréments.

Quelques jours plus tard, Wezen était complètement rétabli. Attristé par le refus cinglant de Stella de l’épouser, il se dirigea vers l’estuaire pendant les mortes-eaux, seul moment où l’immensité s’offrait à lui sans réserve.

[1] https://sciencepost.fr/prio-chercheurs-pensent-pourrions-atteindre-letoile-sirius-69-ans/

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