L'Arbre – Monde
Protecteur, j'abrite sous ma canopée une vie intense, bruissante. Elle est Beauté, Harmonie, Joie.
Elle vibre sous mes larges branches nuancées d'émeraude, de jade, d'amarante...
Je suis fier de mes enfants, heureux de les abreuver de ma sève, les nourrir de mes fruits, les vêtir de mes fleurs, les bercer de mes chants ; les aimer.
Quand le vent doux de la nuit passe entre mes protégés endormis, je laisse exploser mes parfums.
Fines étincelles de lune tissent en leurs chevelures filaments d'argent.
Les matins rayonnent sur leurs corps indolents ; déposent sur peaux dorées une brume irisée ; infimes graines, rosée.
Les notes du temps immuable, s'élude.
Mes enfants grandissent.
Certains s'ennuient. Au fil des jours, des nuits, manger, boire, jouer, dormir ; cela n'est plus suffisant.
Désœuvrés, ils errent sous mes feuilles qu'ils arrachent. Ils passent sous mes ramures qu'ils griffent, enlaidissent. Ils en tressent des couronnes dont ils s'auréolent. Ils se proclament maîtres des lieux, maîtres de l'arbre ; mes maîtres.
Ils accaparent mes ressources.
Ils m'enchaînent de leurs insatisfactions.
Je deviens leur esclave.
Je souffre de mon être, de mon âme.
Tous veulent être rois.
Querelles éclatent ; violence explose ; sang rouge rubis !
Celui-ci coule sur mon corps, se répand sirupeux en ruisseaux sur mon écorce, goutte sur mes frondaisons. Mon sol le boit, s'imbibe, mes racines s'imprègnent. Je suis sali, déparé.
Le pire est à venir.
Tous ne peuvent dominer ; ainsi leur malveillance s'étend.
Ils volent à la colère du ciel son esprit.
Ils en créent des flambeaux de puissance, de haine.
Leur fureur assassine m'embrase...
J'étais leur protecteur, ils vivaient sous ma sylve. Mon amour les comblait, je le croyais.
Soudain la trahison.
J'illumine la nuit.
Mes cris, mes hurlements,
Ma souffrance aussi,
Se mêlent à la géhenne.
Mon corps est emporté.
Tempête incandescente.
Mais mon souffle survit.
Il s'élève, les étoiles,
D'autres mondes m'attendent,
D'autres enfants,
D'autres arbres.
Autant de vaisseaux
Pour recommencer.
J'ai la foi, j'y crois.
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