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C’est ici que commence vraiment mon histoire, au moment où les conséquences de ma témérité mettent en mouvement une série de causes et d’effets qui dépassent les capacités d’un seul homme. Je savais qu’il existait des choses au-delà de l’entendement, des sorciers et des mages aux pouvoirs occultes. J’aurais dû me douter qu’un nid de frelons comme Héliocanis ne pouvait que favoriser l’émergence des horreurs les plus sombres que porte notre monde, juste à côté des merveilles les plus belles.


À la grille, au lieu du gardien qui leur avait permis d’entrer un peu plus tôt, contre un joli sourire et quelques écus, les attendait un officier, regard masqué par la visière de son casque à cimier, une lanterne à la main, l’autre posée sur la poignée de son sabre. Svalta remarqua que Mortimer dodelinait de la tête.

— Mortimer ? s’inquiéta-t-elle, récupérant les rênes qu’il venait de lâcher.

— Tu vas gérer, ma grande, je me sens mal.

— Tsss. Ça fait le malin devant les morts ou les femmes, mais dès qu’on aperçoit le reflet de l’acier, il n’y a plus personne, grogna-t-elle. Il est beau, le matamore.

L’officier, un doberman aux moustaches tressées, attrapa la mule par la bride et leva sa lanterne, un air plus que suspicieux sur le visage.

— Vous vous êtes perdus, messieurs-dames ? Descendez, je vous prie.

Svalta releva sa robe sur ses longues jambes fuselées, aussi haut que possible, révélant des bas noirs dont la dentelle sublimait des cuisses au pelage soyeux. L’officier parut s’apaiser. Il avança pour l’aider, courtoisement, à descendre.

— Merci, capitaine. Trouver un gentilhomme par les temps qui courent est devenu rare.

La négociation s’annonçait simple, pensa la lapine en lui servant un baratin raffiné, agrémenté d’un peu de poudre d’indolence, qu’elle dispersa avec son mouchoir, feignant d’essuyer son visage. Alors que le gradé semblait réceptif, disposé à ouvrir la grille sans contrôler le contenu de la charrette, une ombre se faufila derrière lui. Avec un bruit de métal retentissant, sa tête bascula, son casque heurtant la roue dans sa chute. Svalta poussa un cri d’effroi, à l’unisson de celui de la mule. Mortimer, le regard fou, sa bêche entre les mains, s’apprêtait à achever l’officier. Deux gardes jaillirent de la salle de repos, surpris. En deux enjambées, le lycaon fut sur le premier, le désarmant d’un revers avant de l’estourbir d’un moulinet en travers de la gorge. Le second recula dans le poste de garde.

Paniquée, Svalta tira son poudrier de son manteau et souffla un nuage d’Atarax vers son compagnon. En vain : avec cette bruine et la distance, Mortimer parut s’en moquer. Comme un diable, il disparut à l’intérieur. Quand la lapine le rattrapa, il se tenait à la verticale du second garde, à peine un chiot, à genoux et secoué de sanglots, les mains jointes. Mortimer leva sa pelle à deux mains, insensible aux suppliques de sa victime.

Svalta dégaina son pistolet et, sans réfléchir, visa le bras de son acolyte, puis pressa la détente. Au claquement sec du chien de fusil qui heurtait le bassinet, Mortimer s’immobilisa. Svalta attendit en vain la décharge d’énergie dans sa main. L’humidité avait eu raison de son arme. Le regard fou, Mortimer pivota vers elle, la tête penchée sur le côté, comme un fauve attiré par sa proie. Svalta jeta sa pétoire inoffensive et recula, le souffle haché.

— Mortimer ! Ressaisis-toi !

Elle sortit à reculons et se plaqua contre le mur. Les mains agitées de tremblements, elle ouvrit son poudrier et déverrouilla le réservoir à Tétanis, un composant aussi cher que puissant. Quel gâchis, songea-t-elle en répandant nerveusement la poudre sur le miroir. Les pas de Mortimer trahirent son approche. Terrifiée, elle leva l’objet sous son museau et gonfla ses poumons. L’ombre du lycaon s’étira sur les pavés luisants et, avant qu’il eût franchi la porte, elle souffla.

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