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Un proverbe dit : « Celui qui te fout dans la merde ne le fait pas toujours pour te nuire, et celui qui t’en sort ne le fait pas toujours pour ton bien ». J’aurais dû me souvenir de l’histoire du petit oiseau tombé du nid, qu’une vache couvre de sa bouse pour le réchauffer et qu’un renard tire de son tas de purin pour mieux le gober.
Mortimer serra les poings, fouillant des yeux la pénombre de l’écurie, sans oser y pénétrer. Son cerveau moulinait en quête d’une échappatoire. Derrière lui, les trois molosses se rapprochaient en grognant. Aucune issue de ce côté-là. Il avisa la trappe qui menait à la réserve de paille et s’élança. Le temps que les hyènes comprennent, il était déjà en haut, en train de relever l’échelle. Avant que les derniers barreaux ne soient hors de portée, l’une des hyènes fit un bond et s’y agrippa, obligeant Mortimer à lâcher prise. La chute de l’échelle entraîna la hyène avec elle. Mortimer profita du répit pour analyser la situation. Il se trouvait sur une demi-plateforme en surplomb de l’écurie, ouverte sur le niveau inférieur, parsemée de ballots de foin. À son extrémité, une ouverture munie d’un treuil permettait de monter les marchandises depuis la cour. Tandis que les hyènes replaçaient l’échelle en lui promettant mille supplices, Mortimer attrapa une fourche oubliée dans une botte de paille et attendit l’arrivée du premier assaillant. D’un revers ajusté, il le renvoya au rez-de-chaussée, fit retomber l’échelle puis fila vers la fenêtre. Il s’apprêtait à glisser le long de la corde, quand un rire gras l’en dissuada : en contrebas, bras ouverts en grand pour le recevoir, le colosse l’attendait avec un sourire qui retroussait ses babines noires.
— Viens, mon petit ! Papa va te chanter une berceuse.
Mortimer se retourna. La troisième hyène arrivait en haut de l’échelle. Il préféra affronter celle-là. En quelques enjambées, il traversa la plateforme, sa fourche en main, et s’arrêta net en dérapant. Le truand, en plus d’un rictus malsain, exhibait deux pistolets.
— N’y vois rien de personnel, Morty, fit-il en visant les jambes. On doit te ramener vivant…
Dans un craquement sonore, la balle fila. Mortimer pivota et projeta sa fourche. Le projectile siffla sans le toucher, avant d’éclater derrière lui. La hyène reçut la fourche tournoyante avec un grognement. Le choc déclencha le tir de son second pistolet, dont la balle se perdit dans le plafond. Mortimer se jeta tête baissée, propulsant son adversaire à l’étage inférieur.
Des applaudissements incongrus le firent sursauter. Une quatrième hyène venait d’apparaître entre deux tas de paille. L’inconnu, l’air amusé, portait une veste de velours bordeaux à boutons dorés, garnie de coutures aux arabesques extravagantes, ouvrant sur une chemise à jabot de dentelle un peu sale. Un ceinturon chargé d’un pistolet et d’une rapière complétait l’ensemble.
— Bravissimo !
La hyène tira le pistolet de sa ceinture et se dirigea vers la fenêtre. Quand elle passa la tête dans l’ouverture, le colosse, en contrebas, laissa échapper un cri de surprise :
— Gorno !
— Salut Mitch. Adios Mitch.
Il arma et fit feu, puis, apparemment satisfait, se tourna vers Mortimer.
— Va achever les deux autres, amigo. Ensuite, on causera.
Voyant que le lycaon ne bougeait pas, il hocha la tête et lui lança une poche qui rebondit lourdement à ses pieds.
— C’est risqué de fournir des munitions à un inconnu, fit Mortimer, en devinant ce que contenait le sac.
— On est dans le même camp. Ce serait idiot de s’entretuer, rétorqua l’autre avec un fort accent étranger.
— Tu es une hyène. Je suis un lycaon, railla Mortimer en repoussant la poche de poudre du bout du pied, comme s’il avait peur de se salir à son contact.
— Tu es dans la fiente, et moi aussi. Et on a le même ennemi au fion : le clan Barry !
— Qu’est-ce que tu leur as fait ? s’inquiéta Mortimer.
— Trop longue histoire. Tous les deux, on partage un destin : celui de gibiers pour l’équarrisseur, si Barry nous met la patte dessus.
— Sauf que moi, j’ai un plan pour m’en sortir, enfin, j’avais… jusqu’à maintenant.
— Je sais, je vous ai épiés cette nuit, toi et ta coneja. C’est moi qui l’ai convaincue de foutre le camp d’ici avant ton retour. Ils ne vous auraient pas laissés en vie, ni l’un ni l’autre. Tant qu’on a Perle, on peut s’en tirer.
— On a Perle ?
Mortimer fronça les sourcils et jeta un œil à l’étage inférieur. Un des deux lascars était étendu au sol, mort ou assommé, l’autre rampait vers la sortie.
— Je m’inclus dans l’équipe, fit-il en rechargeant son pistolet. Je m’appelle Gorno Valdez, spadassin de neuvième rang. Vous aurez besoin de moi, vu le couple de lapereaux que vous formez.
Voyant que Mortimer dédaignait ses munitions, il approcha du bord de la plateforme et braqua le pistolet vers l’écurie. La décharge fut suivie d’un râle de douleur.
— Où est Svalta ? demanda Mortimer en dispersant la fumée qui s’accumulait entre les poutres.
— La fouine lui a trouvé une autre planque. Ta copine n’a pas voulu que je les accompagne. Elle a dit que Raval viendrait nous chercher une fois qu’elle aurait l’assurance que les lieux convenaient. Sacrée gonzesse… je me demande ce qu’une duchesse fout avec un raté comme toi.
— Une duchesse ?
Ce genre de terme faisait généralement référence à l’ancienne dynastie des loups, depuis longtemps refoulée hors des murs de la ville. Svalta avait certes le phrasé aristocratique et une allure digne, mais elle n’était qu’une lapine exilée dans une ville étrangère.
— Allons, Morty, entre nous, tu n’as pas compris son petit jeu, avec son histoire de poussière de lune ?
Mortimer glissa le long de l’échelle et récupéra une rapière sur le corps de la hyène.
— C’est juste une droguée, trancha-t-il. Si tu comptes la revoir, tu te fous une griffe dans l’œil, amigo.
— Tsss. Tu lui fourgues une came sans même savoir ce qu’elle en fait.
Mortimer se moquait de ce que Svalta faisait de sa poudre, mais la remarque de Valdez alluma une bougie dans un coin de son cerveau, pour plus tard.
Dehors, un groupe de miséreux, drogués et autres petits malfrats, alerté par les coups de feu, s’attroupait autour du corps de Mitch. Mortimer les chassa d’un moulinet et se pencha sur le colosse. La balle avait frappé sous la clavicule et traversé le cœur en éclatant les côtes. Un tir expert. Le monstre n’avait pas souffert. Mortimer récupéra sa besace, en quête de la prime qu’il avait négociée. Elle contenait trois bourses pansues. Au poids, chacune devait contenir une centaine d’écus. C’était moins de la moitié de ce qui avait été convenu, mais ça suffirait à lui offrir un redémarrage loin d’Héliocanis. À présent, peu lui importait le sort de Svalta, de Perle ou de Gorno Valdez. Il devait juste atteindre la rivière sans se faire prendre, trouver un passeur, et filer.
— Il y a moins que prévu ? ironisa Gorno depuis la fenêtre.
La hyène descendit par la corde et atterrit derrière Mortimer, qui sentit bientôt la gueule d’un pistolet lui taquiner les côtes.
— C’est pas grave, je prends quand-même, ajouta Gorno.
Le lycaon grogna.
— Et tout le beau discours sur le même camp, le destin partagé, tout ça, tu as oublié, amigo ?
— À la réflexion, je me contenterai du pognon. Inutile de s’enferrer dans des plans grandiloquents, je suis une hyène humble et pragmatique.
Si c’était le cas, la vie de Mortimer allait lui échapper d’un instant à l’autre, peut-être même avant que les bourses, qu’il venait de lâcher, ne touchent le sol.
Misant sur la surprise, il virevolta en décrivant un arc avec sa rapière. La hyène avait anticipé, et le chien de fusil claqua contre le bassinet dans une gerbe d’étincelles. Mortimer ressentit une violente déchirure au-dessus de la hanche, mais la balle ne fit que l’effleurer. Sa lame fendit l’air en sifflant, obligeant Gorno à rouler en arrière avec un jappement de douleur, un morceau d’oreille en moins. Le combat se rééquilibrait. Sauf que, à ce jeu, Mortimer avait peu de chance face à un professionnel. Le pelage de Gorno se couvrait de sang depuis l’estafilade qui barrait son front. Il s’en était fallu de peu que Mortimer lui décalotte le crâne. Le lycaon jeta un œil aux bourses étalées par terre. L’une d’entre elles, entrouverte, dégueulait de pièces d’or sur les pavés. Il avisa alors les groupes de drogués qui resserraient leur cercle autour d’eux, attirés par les écus comme des mouches par une charogne. Conscient du danger, il se pencha pour attraper l’un des sacs, mais une douleur fulgurante lui vrilla le flanc. Avant qu’il ait pu se redresser, il fut renversé par la meute qui arrivait dans son dos.
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