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Enfin, Svalta avait fini par lâcher le morceau. Nos clans luttaient en secret depuis des années pour la même chose. Mais de quels clans parlait-elle ? Je n’avais jamais entendu parler de lapins engagés auprès de la diaspora des lycaons ou des rats de la basse-ville, si tant est qu’on ait pu les considérer comme mon “clan”. Qui donc étaient ces alliés mystérieux pour lesquels le moment de vérité semblait proche ? J’étais dépassé par les événements, ballotté d’espoir en désillusion. Pourtant, une chose me réchauffait le coeur : Svalta était de nouveau avec moi, à mes côtés, le même vent nous ébouriffait le poil, la même pluie nous cinglait le museau. On s’enfonçait ensemble dans cet immonde bourbier. S’il me fallait briller un jour, ou une nuit, ce moment était sans doute venu.


Les deux gangs se faisaient face, leurs champions alignés en demi-lune au centre du cimetière. Les ombres des monuments mortuaires, allongées par un rayon de soleil sauvage échappé de nuages rouge sang, joignaient leurs silhouettes fantomatiques à la représentation. Quel beau final, songea avec ironie Mortimer, à genoux dans la terre meuble, une pelle plantée devant lui.

— Tu vois, murmura la hyène qui le tenait à la pointe de son pistolet, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses.

Elle lui darda un coup de pied dans les côtes en lui désignant l’outil. Mortimer se releva et commença à creuser sa tombe.

En face, Renzo était enfin sorti de son palanquin, Perle tenue en laisse par un de ses lieutenants. Du côté des hyènes, Syl était accompagnée d’une dizaine de sbires, dont le sombre Tello Sumstrat, qui observait la scène avec une étrange délectation. Gorno, à genoux devant le sorcier, avait le museau tourné vers le sol, de fins ruisselets de sang dégouttant de sa truffe tuméfiée. Svalta, à qui les hyènes avaient épargné la brutalité, se tenait droite et digne, les mains attachées dans le dos par une lanière de cuir.

Syl Barry ouvrit les hostilités par un échange de politesses aussi doucereuses qu’hypocrites. Renzo répliqua avec le talent oratoire qui le caractérisait, répondant à chaque saillie par une pique délicate, souvent juste en dessous de la ceinture. Les négociations s’annonçaient longues et tendues, largement le temps de creuser une bonne tombe, pensa Mortimer. Contre la petite Perle, Renzo réclamait le retrait des hyènes du quartier des docks. Un camouflet qui signerait le recul de la zone d’influence des hyènes du secteur fluvial. Si les deux gangs ne parvenaient à aucun accord, une nouvelle guerre risquait d’ensanglanter Héliocanis. Mais Mortimer s’en moquait. Au moindre signe de pagaille, il profiterait de sa connaissance du terrain pour s’éclipser.

Le soleil plongea sous l’horizon. Alors, coupant une contre-offre de Syl Barry, Gorno se redressa et hurla :

— Bande de cingléééééés ! Vous allez tous crever ! Et pas dans un an, pas dans un mois, pas demain ! Non ! Dans quelques minuuuuutes !

Syl se contenta de rire, délivrant une autorisation d’hilarité générale, tandis qu’un coup de gourdin ramenait l’impudent au silence.

— Il n’a peut-être pas tort, gronda Svalta, ce qui doucha le sourire de Syl Barry et calma, de ce fait, la vague de rires forcés qui l’accompagnait.

Profitant de l’attention générale, Svalta éleva la voix et se tourna vers Sumstrat.

— Quelqu’un s’est arrangé pour que nous soyons tous réunis ici, ce soir.

Loin de s’émouvoir, Tello Sumstrat se contenta d’une messe-basse à l’oreille de Syl Barry, qui secoua la tête. Mortimer vit le sorcier faire un signe de la main aux gardes qui entouraient Svalta.

— Renzo ! hurla Syl Barry. Si tu tiens à ta conille, renvoie-moi Perle !

Le rat secoua la tête avec un rictus.

— Dans ce cas, ajouta la cheffe des hyènes, tu ne verras aucun inconvénient à ce qu’on la cuisine un peu ? Il paraît qu’elle travaille pour les Républicains. Tu héberges des taupes chez toi, maintenant ? Tu as viré démocrate ?

Une salve de rires goguenards éclata.

— Votre sorcier, se défendit la lapine en sentant le danger, s’est arrangé pour invoquer un…

Un coup de poing l’envoya rouler au sol, le museau en sang. Mortimer cessa de creuser, serrant les mains contre le manche de sa bêche.

— Continue, tête de chacal ! hurla le garde dans son dos, en lui chatouillant le postérieur d’un coup du plat de son sabre.

Mortimer leva les yeux au ciel. De sombres nuées se regroupaient au-dessus de leurs têtes. Les coups s’étaient mis à pleuvoir sur la pauvre Svalta, prostrée, les mains toujours liées dans son dos. Un spectacle effrayant.

— Dépecez-la, gronda Syl Barry, à la plus grande joie du sorcier. Qu’on voit ce qu’elle cache sous sa jolie toison blanche.

Les gardes la saisirent et la tirèrent, à moitié inerte, jusqu’à une croix de pierre.

— Regarde bien, Gorno ! lança Syl Barry. Regarde ce qui t’attend, dès que j’en aurai fini avec elle.

Mortimer fouilla au fond de sa poche. Ses doigts rencontrèrent la petite pierre noire, le cœur de l’amulette. Aussitôt, une voix résonna dans sa tête. Une voix qu’il reconnaissait pour l’avoir déjà entendue la veille, juste avant d’atteindre la sortie du cimetière avec sa cargaison. Jette ce caillou, Morty, et laisse-toi aller. Regroupant toute sa volonté, il sortit la pierre, la plaça sur sa langue et l’avala. Comme ça, il était sûr de la retrouver… s’il survivait. Malin, Mortimer. Là où elle est, elle ne servira plus jamais à rien. Tu me régales. Au lieu de lutter contre l’esprit qui s’éveillait en lui, il s’y abandonna.

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