Chapitre 6
Une heure. Une heure que Lucy restait debout face à l'immensité qui se tenait devant elle. Elle n'arrivait pas à se décider à entrer dans la ville, comme si quelque chose en elle lui suppliait de ne pas le faire. Elle tournait en rond devant ce qui lui semblait être l'entrée de cet endroit qu'elle avait toujours du mal à considérer comme réel, incapable de faire le moindre pas à l'intérieur. Ce n'était pas normal de trouver une telle ville dans le désert, n'importe qui aurait pu en dire autant. Était-ce un peuple dont elle n'avait pas connaissance qui avait construit cet endroit ? Vu la taille de la ville, elle aurait dû être connue des rangers au moins, pourtant malgré toutes les recherches que la jeune femme avait fait avant de venir, elle n'a jamais trouvé la moindre mention d'un tel lieu. Ou peut-être était-ce une tentative échouée de construire une nouvelle ville ? Mais si c'étaient le cas, il y aurait probablement eu des informations dessus, non ? Alors qu'est-ce que cela pouvait-il signifier ? Et qu'est-ce qui pouvait expliquer ce désagréable pressentiment qu'elle avait en observant les bâtiments en ruine face à elle ? L'endroit semblait abandonné depuis de longues années, elle ne vit pas la moindre personne dans l'enceinte de ces murs, bien que sa vision soit amoindrie par tous les décombres. Et pourtant parmi ce débarras, il y avait certaines structures qui semblaient très modernes à la rousse, comme si elles n'avaient été posées là il n'y a que quelques jours. Ce fut notamment le cas de ces grandes tours de métal noires corbeau qui entouraient la ville fantôme. Elles étaient flambant neuves, ce qui contrastait énormément avec l'aspect désertique du reste de la ville, qui semblait par ailleurs étrangement trop sombre pour se trouver au milieu du désert, comme si les rayons du soleil évitaient l'endroit. A quoi pouvaient servir ces étranges tours ? Simplement un aspect esthétique ? Mais pourquoi diable vouloir enjoliver une ruine ? Cela devait probablement être autre chose, mais comment savoir quoi. Toutes ces questions en suspens n'aidaient pas Lucy à se décider d'entrer. Pourtant elle n'aurait bientôt plus d'autre choix, car la soif qu'elle ressentait depuis hier commençait sincèrement à la faire vaciller. Qui plus est, elle ne pouvait cacher sa nature curieuse, et bien que de cet endroit semble émaner une sombre aura, cette curiosité qu'elle éprouvait l'encourageait à passer le pas. Et puis, si elle restait dans cette ville, les secours auraient plus de facilité à la repérer, n'est-ce pas ? Après tout, quoi de plus visible qu'une masse sombre entourée d'énormes piliers en plein milieu d'un désert ? Et quand bien même si l'endroit était dangereux, elle n'aurait qu'à en sortir et continuer sa route, rien de plus simple. Oui, la jeune femme pouvait tout à fait entrer, chercher un peu d'eau et repartir aussi tôt si ce sentiment d'insécurité ne se décidait pas à la quitter, rien ne l'obligeait à élire domicile là-bas. Alors, Lucy retrouva un timide sourire et s'avança vers l'entrée de la ville fantomatique, toujours sur ses gardes. Étrangement, une part en elle était comme heureuse de vivre tout cela, comme si elle avait été à la recherche d'un tel frisson toute sa vie. Mais malheureusement, cette part n'était pas assez grande pour que la jeune femme ne baisse totalement sa garde et apprécie simplement le moment, en profitant pour répondre à sa soif de curiosité. Car contrairement à ses airs de rebelle sous ses yeux vifs et ses cheveux coupés à ras, la jolie rousse était plutôt du genre craintive, jamais d'ordinaire elle ne se serait dirigée dans ce genre d'endroit. Ou du moins, c'est ce qu'elle aurait pensé. Mais forcé d'admettre qu'elle avait presque envie d'entrer dans ce lieu peu rassurant, une sensation étrange l'envahissait, comme si quelque chose lui disait qu'elle devait le faire. Cette part en elle combattait avec la crainte que tout le monde aurait pu ressentir à sa place, cette peur de finir blessé ou pire, de mourir. Mais face à une situation exceptionnelle, elle devait prendre des mesures exceptionnelles. C'est pourquoi la jeune femme fît taire cette part craintive d'elle et pénétra à pas lents dans l'enceinte des murs sombres. En réalité, plus rien ne pouvait réellement être appelé "mur". Quelques pierres jonchaient certes le sol, mais n'importe qui aurait pu les enjamber sans problème, c'était à peine si elles formaient un tas de plus de vingt centimètres. De ce fait, la ville semblait étrangement libre d'accès, on aurait dit pouvoir y entrer ou en sortir de tous les côtés. Après s'être donc décidée à pénétrer les lieux, Lucy se dirigea vers une grande arche menaçant de s'écrouler à tout instant et qui semblait avoir autrefois servit d'entrée. Malheureusement, la vue depuis cette structure n'était pas beaucoup mieux qu'ailleurs; toujours impossible de voir autre chose que les quelques décombres obstruant le champ de vision de la jeune femme. Tant pis, elle irait quand même. En passant le seuil de cette ancienne porte d'entrée, Lucy sentit un désagréable picotement dans son cou, sur lequel elle s'empressa de faire claquer sa main.
« Stupides moustiques.»
Murmura-t-elle, en espérant ne pas être tombée sur LE moustique portant ne sait-on quelle maladie. Avec la chance qu'elle avait eu depuis le début de son expédition, elle n'était plus bien sûre, sa bonne étoile semblait l'avoir quittée. Heureusement qu'elle avait encore avec elle la trousse à pharmacie dans le cas échéant, ce n'était pas énorme, mais cela l'aiderait probablement. Maintenant la rousse avait autre chose en tête qu'une simple piqure de moustique, elle avait avant tout besoin de trouver un point d'eau. Observant précautionneusement les alentours, Lucy se décida à avancer vers son objectif, bien que sa localisation et même son existence lui était encore inconnues. L'aspect de la ville était similaire avec ce que la jeune femme avait vu de l'extérieur; des bâtiments en ruine, certains plus que d'autres, et une obscurité inexpliquée. Heureusement pour la rousse, il ne faisait pas sombre au point où cela en devenait difficile de se déplacer, mais il restait tout de même bien étrange que l'obscurité semblait grandir à chaque pas. Ce phénomène renforçait par ailleurs l'aspect presque labyrinthique de la cité, qui semblait décidément bien plus grande qu'imaginée. Les pierres tombées au sol formaient des petits chemins qui partaient dans tous les sens, et les bâtiments encore debout semblaient cacher ce qu'il pouvait se trouver encore un peu plus loin. Par peur de s'enfoncer trop profondément dans cet étrange endroit et de finir par se perdre, Lucy avait décidé de commencer par explorer la périphérie de la ville, là où elle pourrait encore apercevoir le désert. Le fait de garder un œil constant sur sa porte de sortie la rassurait grandement, et la jeune femme marcha d'un pas plus assuré. Au fil de son avancée, et malgré ses attentes, aucun changement distinctif dans le décor ne s'aperçût. La rousse avait bien reconnu quelques restes de routes ou de maisons, mais rien qui ne sorte de l'ordinaire ou dont elle pourrait se servir; simplement des décombres ou morceaux de mur tenant à peine debout. Si elle devait deviner, Lucy dirait qu'elle se trouvait probablement dans un ancien quartier résidentiel, bien qu'aujourd'hui plus angoissant que familial. En continuant son chemin dans l'espoir de quitter les ruines d'anciennes résidences, Lucy se redit compte d'une chose : elle avait l'impression que les bâtiments à sa gauche, plus profondément ancrés dans la ville, étaient mieux conservés que ceux de la périphérie. Peut-être était-ce dû au sable du désert qui avait eu un effet de corrosion sur les bâtisses, ou bien ces dernières avait simplement fait barrage au vent pour celles se trouvant plus loin. Dans l'idée de confirmer ou non sa théorie, la jeune femme entreprit de continuer de longer le bord du désert, cherchant une quelconque maison toujours debout. Au bout d'une petite demi-heure de marche cependant elle s'arrêta, forcée de constater que les bâtiments toujours plus ou moins debout ne se trouvaient bel et bien qu'au cœur de l'endroit. Cela signifiait que si point d'eau il y avait, il serait probablement plus ancré au centre de la ville où Lucy aurait aimé éviter de se rendre, mais certainement le seul endroit où elle pourrait espérer trouver une fontaine ou ne sait-on quelle source d'eau. La jeune femme soupira. Maintenant qu'elle était entrée, elle se dit qu'elle ferait mieux de chercher jusqu'au bout, quitte à se payer une petite frayeur. Mieux valait ça que mourir déshydratée après tout. Et puis, rien ne lui disait que les lieux étaient réellement dangereux comme elle le pensait; jusqu'ici la jeune femme n'avait rien croisé d'étrange ou d'alarmant. Peut-être qu'elle ne s'inquiétait pour rien, et que cet endroit était simplement une ancienne ville tout ce qu'il y avait de plus normal. Mais malgré tout, l'envie de la rousse de s'enfoncer aléatoirement dans ce lieu était quasi inexistante, Lucy n'avait plus la moindre fibre d'aventurière courageuse en elle. Elle était curieuse certes, mais pas inconsciente non plus. Elle avait eu une drôle de sensation tout du long de ses pas, comme un mal-être, une impression d'être surveillée. La jeune femme avait la désagréable impression que la source de ce malaise se trouvait au centre de la ville, ce qui la rendait plus timide quant au fait de s'y diriger. Où était donc passé le courage dont elle avait fait preuve il a quelques minutes ? Claquant ses mains contre ses joues, la jeune femme se reprit rapidement en main. Oui elle avait peur, mais elle n'allait pas se laisser mourir pour autant, ça il en était hors de question. À présent il était temps d'avancer sans se poser de question, et non pas de rester planter là, à ruminer sur son inquiétude. Alors, la tête haute et le regard décidé, Lucy reprit sa course, changeant sa direction pour le centre de la ville. Mais malheureusement, les bonnes résolutions que la jeune femme venait de prendre ne durèrent qu'un maigre temps. La rousse eut à peine le temps de faire un pas qu'elle entendit des bruits se rapprocher très rapidement de l'endroit où elle se trouvait. Observant les alentours, la jeune femme tenta de trouver un bout de mur ou n'importe quels autres décombres où se cacher avant que ces bruits de pas qui semblaient être dans une course effrénée ne l'atteignent. Elle observa à droite, puis à gauche, et encore à droite, mais elle ne vit rien qui ne saurait la cacher convenablement. Autour d'elle ne se trouvaient que des petits tas de pierres qui ne lui laissaient que trop peu d'espace pour s'y cacher, et se coucher contre le sol lui aurait valu un grand handicap s'il s'avérait que la chose se rapprochant était agressive. Alors Lucy abandonna l'idée de se cacher. Elle respira un bon coup et se tint prête pour la rencontre maintenant inévitable. La jeune femme n'était peut-être pas la meilleure combattante qu'il soit, mais si conflit il devait y avoir, elle se défendrait jusqu'au bout. Ce n'était pas énorme, mais depuis 3 ans déjà elle pratiquait régulièrement la boxe française dans un petit club non loin de son université, et bien qu'elle ait encore des progrès à faire, la rousse n'était pas la plus mauvaise. Et puis après tout, peut-être qu'elle s'inquiétait simplement pour rien, et qu'en fait ce n'était qu'un animal inoffensif qui passait par là. Au son des pas qui lui semblaient bien proches, Lucy se dit qu'elle serait de toute façon très vite fixée. Et la confirmation de ses craintes n'attendit pas : une seconde plus tard un homme sauta maladroitement par dessus quelques pierres pour venir dépasser la jeune femme surprise sans poser un regard vers elle. Cet homme étrange semblait hypnotisé par sa course folle, alignant difficilement une jambe après l'autre, comme à bout de force. Quelques mètres plus loin cependant il s'arrêta pour se retourner vers Lucy, toujours immobile face à la surprise de voir un être humain ici.
« Vous n'auriez jamais dû entrer ici ! »
L'homme annonça de sa voix tremblante, le regard comme effrayé. Dans ses pupilles tellement dilatées qu'on aurait dit noires, on pouvait lire du regret, de la peur et du désespoir. Il avait le regard d'un homme ayant vécu toutes les horreurs qu'un être humain pouvait vivre, le teint morne et les joues creusées. Pourtant derrière ce visage meurtri, on pouvait deviner une personnalité chaleureuse, il avait les traits de ces personnes qui passaient leur temps à sourire au monde, et les légères rides au coin des yeux de l'étranger en témoignaient. Alors comment un tel être humain avait pu devenir si misérable ? Si pathétique ? Il semblait blessé sur tout le corps, crasse et sang séché se mélangeant sur les lambeaux qui lui servaient de vêtements. On pouvait le voir trembler de tout son corps, et il observait constamment les alentours, comme sur le qui-vive. Une fois qu'il fut sûr que la jeune femme face à lui eu bien entendu ses mots, il reparti aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permettait, manquant de trébucher plus d'une fois.
« Cette fois ci je m'en vais, je quitte cet enfer ! »
Et sur ces mots il traversa le dernier rempart de la ville, enjambant le petit mur de pierre qui le représentait. Libre, il était enfin libre. Mais pas de la façon dont Lucy s'attendait. À peine l'homme eut le temps de poser un pied dans le sable qu'il s'y écroula de tout son long, inerte. Un petit bruit strident avait retenti avant que du sang s'écoulait à flot de sa nuque, qui semblait avoir été comme arrachée par un étrange mystère. Cette vision d'horreur provoqua une immense nausée à la jeune femme qui n'avait pas bougé d'un centimètre depuis l'apparition de l'homme qui gisait à quelques mètres d'elle. Elle était incapable de réagir, simplement secouée par l'effroi auquel elle venait d'assister. Mort, l'homme était mort.
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