Chapitre 11

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Le sergent Johnson avait eu une idée. Il avait réfléchi toute la nuit durant pour trouver le moyen de mettre en lumière la taupe de son équipe, bien que l'idée que cette dernière ne puisse exister ne l'enchantait guère. Puisqu'il n'avait aucune suspicion sur aucun de ses collègues, le vieil homme n'avait pas d'autre choix que celui de tendre un petit piège assez complexe. Il n'en était pas spécialement fier non plus puisqu'il lui faudrait mentir à ses amis, mais peu importait, il leur expliquerait pourquoi plus tard; ses camarades comprendront. Johnson souffla un bon coup, écartant le stress qui lui montait à la gorge. Il n'était pas serein; tant pis, il ferait avec. Se détendant malgré tout comme il le pouvait, Johnson commença minutieusement à préparer sa petite mise en scène, ne laissant aucun détail au hasard. Tout devait être parfait, il ne devait surtout pas laisser le moindre indice quant à son implication dans ce coup monté.

« Garcia ? Johnson à l'appareil. J'ai trouvé du nouveau sur l'affaire des enlèvements, tu peux me rejoindre ? Je t'envoie l'adresse. Ah et ne dis rien aux autres pour l'instant, j'aimerais ton avis d'abord. »

Tapotant rapidement sur le clavier de son téléphone, le sergent soupira. La culpabilité lui montait déjà au nez mais il devait passer outre, c'était pour la bonne cause après tout. Il n'avait plus qu'à espérer que le tout se déroulerait sans encombre, ce qui était moins garanti. Le sergent ne jouait pas contre n'importe quels adversaires, oh ça non. Il risquait de se mettre à dos le FBI en personne, et ce n'était pas des personnes auxquelles on souhaitait se frotter, pour rien au monde. Tout devait être parfait s'il ne voulait pas se créer de problèmes, ne laisser aucune preuve pouvant l'incriminer. Vérifiant une dernière fois les lieux, Johnson attendit patiemment l'arrivée de son premier collègue. La journée allait être longue.

« Sergent ! »

Au loin, un homme s'approchait de là où se tenait depuis de longues minutes déjà le vieux ranger. Ses joues rosies et son front humide étaient signes qu'il avait probablement dû courir pour faire au plus vite, ne souhaitant pas faire attendre son supérieur. Le caporal Garcia était un homme de taille moyenne, sur la trentaine. Son visage, entouré par de courts cheveux bruns, paraissait plutôt fermé; c'était probablement dû au fait qu'il voulait rester le plus sérieux possible durant ses heures de travail. Il était le premier que le sergent avait appelé car c'était celui en qui Johnson avait le plus confiance. Des années durant, malgré l'air strict et le caractère inflexible de Garcia, lui et Johnson avaient résolu des affaires plus compliquées les unes que les autres, s'étaient retrouvés dans de terribles situations, et plus d'une fois confrontés à des murs immenses. Mais envers et contre tous, ils avaient surmonté ensemble toutes les épreuves que le destin avait pu placer sur leur route, relevés tous les défis qu'ils avaient croisés en se confiant l'un l'autre leur vie sans aucune hésitation. Alors si le traitre venait à être un tel ami, le sergent aurait très probablement énormément de mal à accuser le coup. Mais malgré le mal que cela lui faisait de soupçonner son plus proche camarade, il devait être sûr de pouvoir continuer à lui faire confiance comme il l'avait toujours fait, se prouver à lui même qu'il avait eu raison d'offrir à Garcia toute son amitié et son respect. Au fond de lui, Johnson priait pour que le caporal soit innocent, et pour que cette histoire de taupe ne soit pas véridique.

« Garcia. Approche, c'est ici. »

Le sergent pointa du doigt l'immense poubelle blanche qui reposait contre un immeuble fait de briques rouges. La rue mal éclairée dans laquelle les deux hommes se trouvaient donnait à l'atmosphère une certaine pression, et le décor portant banal n'inspirait pas grande confiance. Garcia se plaça à côté de son supérieur pour mieux observer ce dont ce dernier parlait, et pouvoir en émettre les conclusions que cela impliquait. Mais en arrivant devant la poubelle, le caporal se figea net.

« Est-ce que c'est...
- Oui. Les vêtements du premier disparu. »

En vérité, ce n'étaient pas réellement les vêtements de la première victime. Ils n'étaient rien de plus qu'un tee-shirt rouge et un jean bleu que le sergent avait trouvé dans une quelconque friperie, puis à qui il avait donné un air d'avoir vécu les pires tortures, pour enfin finir dans une vulgaire poubelle au coin d'une ruelle un peu sombre. Bien sûr, les analyses de sang révèleront que le sang présent sur les vêtements n'était même pas humain, venant simplement d'un porc destiné à l'abattage, mais peu importait, il n'aurait normalement de toute façon pas à attendre jusque là pour expliquer la réelle situation à son collègue.

« Comment les avez-vous trouvés ?
- Un signalement anonyme ce matin.
- Donc quelqu'un est peut-être au courant de quelque chose. »

Garcia réfléchissait aux possibilités. Il s'était approché des vêtements et avait observé le contenant de la poubelle, sans un mot. On pouvait voir à ses sourcils froncés et ses yeux perçants l'état de grande concentration dans laquelle il se trouvait, ce qui raviva la culpabilité du sergent, qui savait très bien que tout cela n'était qu'une simple mise en scène.

« Le corps n'est pas ici, serait-il toujours vivant ? Vu l'état de ses vêtements, ce serait difficile à croire, mais dans ce cas pourquoi ne pas jeter le corps en même temps ? »

Le caporal était vif, en quelques minutes seulement il avait compris la particularité de la scène. Malgré tout Johnson comptait sur le fait que les rangers n'étaient pas des enquêteurs, simplement des soldats spécialisés dans le sauvetage, pour qu'aucun de ses compagnons ne comprennent la vérité derrière ces bouts de tissu. Son plan tombait à l'eau si cela venait à arriver, alors il ne fallait surtout pas que ce soit le cas.

« Garcia. Tu peux y aller maintenant, j'aimerais appeler les autres.
- Pourquoi ne pas le faire maintenant ?
- Je voudrais profiter de cette situation pour voir si aucun de vous n'est rouillé, depuis le temps qu’on n’avait pas eu d'avancée.
- Je vois, une sorte de test en fait.
- C'est ça.
- Si je l'ai passé, vous penserez à augmenter ma paie sergent ! »

Sur ces mots Garcia quitta les lieux, laissant Johnson amusé par les paroles de son subordonné. Il patienta un instant avant de se rendre dans une autre ruelle, quelques dizaines de mètres plus loin. Là se trouvait une poubelle similaire, avec à l'intérieur, les mêmes vêtements qu'il avait présenté au caporal. Le plan du sergent était assez simple : donner des localisations à peine différentes à chacun de ses collègues, et celle où arriverait le FBI lui montrerait l'identité de la taupe. Puisque les fédéraux ne se méfiaient pas le moins du monde de Johnson, ce plan, malgré sa simplicité, avait de grandes chances de fonctionner. Cela s'expliquait par le fait que tout ce que le FBI avait constamment fait en arrivant sur des scènes découvertes par l'équipe de rangers était simplement récupérer les preuves puis partir, jamais ils n'avaient inspecté les alentours ou interrogés les habitants du quartier. Le sergent avait toujours trouvé ça étrange, mais dans ce cas-là, cela l'arrangeait fortement. Il avait certes pris soin de n'être vu par personne en installant les vêtements, mais si les fédéraux inspectaient les alentours, ils auraient probablement trouvés les autres scènes et Johnson aurait eu à s'expliquer. Alors le sergent n'avait plus qu'à espérer que cette fois encore, le FBI se contente de récupérer les preuves présentes et rien d'autre. Soufflant un bon coup, le ranger se prépara à appeler sa collègue suivante, la caporale Ross. C'était une femme énergique et enthousiaste, mais aussi la plus endurante de toute leur équipe. Lors de leurs patrouilles dans le désert, elle était toujours celle qui menait la marche, jamais fatiguée malgré les heures passées sous la chaleur. Elle était comme le pilier de leur petite escouade, toujours à porter les autres vers le haut. Ross était quelqu'un sur qui on pouvait compter dans n'importe quelles situations, elle était compétente et droite, en plus d'être une oreille attentive. La perdre serait vraiment un grand poids pour tous les rangers, cela ne faisait aucun doute. Une fois qu'elle était arrivée, le sergent lui expliqua les circonstances comme pour Garcia, et tout comme lui elle y réfléchit un instant avant de poser quelques questions, d'observer un peu mieux les lieux puis de conclure qu'il valait probablement mieux en parler aux autorités compétentes plutôt que garder la scène secrète, n'ayant de toute façon aucune compétence d'enquêteurs dans leurs rangs. Ces paroles mirent le doute un instant au sergent, comprenant que Ross voulait prévenir le FBI. Cependant il se dit que si Ross était réellement la taupe, elle ne lui aurait probablement pas proposé d'appeler les fédéraux, elle l'aurait tout simplement fait quelques instants plus tard, sans le consulter au préalable. Ou du moins, c'est ce qu'il espérait. Puis, une fois Ross repartie, Johnson appela un collègue suivant et ainsi de suite, et ce jusqu'au caporal-chef Thomas. À peine le sergent lui avait envoyé l'adresse que les fédéraux s'étaient présentés sur les lieux, deux voitures d'hommes en uniforme avaient débarqué, prenant d'assaut la petite ruelle et invitant Jonhson à quitter les lieux. Quelques instants plus tard le caporal-chef s'était présenté, la bouche en cœur, feignant d'être indigné par la présence du FBI qui les empêchait de travailler. Le sergent se retenait de jurer. Il se sentait trahi, il était fou de rage qu'un homme qu'il considérait comme un ami pouvait en fait être celui qui, depuis le début, leur mettait des bâtons dans les roues. Comment pouvait-il être si faux ? Comment pouvait-il faire semblant de compatir, semblant de faire partie de leur équipe depuis si longtemps ? Thomas était pourtant un homme qui avait traversé beaucoup d'épreuves, et qui avait une morale plus forte que tout, à laquelle il ne dérogeait jamais. Alors pourquoi, pourquoi lui ? Johnson ne put s'empêcher de serrer le poing et grincer des dents, ce qu'heureusement le caporal-chef ne prit que pour la frustration de s'être fait, une fois de plus, volé ses preuves. Pendant ce temps les fédéraux avaient encerclé la poubelle bleue contenant les vêtements que le sergent avait placés là quelques heures plus tôt. Un légiste avait déjà commencé à observer les preuves, murmurant quelques mots à l'officier du FBI en charge de l'enquête, celui-là même qui, un jour plus tôt, avait refusé de parler aux parents de Lucy. Une fois terminé, les fédéraux avaient vidés les lieux et étaient repartis rapidement, ne laissant que Johnson et Thomas, les bras ballants. Seul l'officier était resté, l'air grave dans son costume sombre, observant le sergent. Il s'approcha d'un pas lourd, puis arrivé à son niveau, il posa sa main sur l'épaule de Johnson.

« Sergent, vous avez fait du bon boulot jusque-là, n'est-ce pas ? Quelques affaires résolues, sauvé des civils, protégé la ville... vous avez eu une bonne carrière. Avec un si bon travail, ce serait dommage de ne pas atteindre la retraite, ne trouvez-vous pas ? »

Les yeux de l'officier, cachés derrière de petites lunettes noires se firent sombres, et l'air autour des deux hommes se compressait au maximum, créant une tension palpable.

« Si je peux vous donner un conseil sergent, vous devriez éviter de vous mêler des affaires du FBI si vous voulez une fin de carrière tranquille. »

Sur ces mots l'officier disparu, n'accordant pas même un regard en arrière à Jonhson, qui n'avait censé de trembler tout le long de leur échange. Ils savaient. Ils avaient compris que tout cela n'était qu'une mise en scène, que les vêtements n'étaient pas réellement ceux de la première victime. Comment l'avaient-ils deviné si tôt ? Était-ce le légiste qui avait reconnu le sang ? Ou bien avaient-ils des informations qui contredisaient cette scène ? Ou peut-être était-ce les deux ? Mais surtout, qu'allait-il se passer maintenant pour Jonhson ? Allaient-ils utiliser cette mise en scène contre lui pour le faire taire ? Ou bien lui feraient-ils du chantage ? Non, du calme. Le ranger savait qu'à un moment où un autre, le FBI allait se rendre compte de la fausseté de la scène. Il savait qu'ils viendraient récupérer les preuves et qu'après quelques analyses, ils verraient le sang de porc. C'est pourquoi Johnson avait au préalable pris des dispositions, afin de ne laisser aucune preuve utilisable contre lui dans cette mise en scène. Oui, tout irait bien. Le sergent avait simplement été déstabilisé par le fait d'avoir été découvert si tôt, mais malgré tout, les fédéraux ne trouveraient rien contre lui, il en avait fait sa priorité. Johnson souffla un bon coup pour évacuer tout le stress qu'il avait emmagasiné durant cette journée. Il se dit que ce n'était plus de son âge tout ça, et se promit un moment de détente en rentrant chez lui ce soir.

« Aidez-moi !! S'il vous plaît, aidez-moi ! »

Surpris, Johnson et Thomas se retournèrent rapidement vers la source des cris, pour voir une femme affolée courir vers les deux rangers. Ses vêtements tombaient en lambeaux et ses longs cheveux noirs étaient sales et emmêlés, comme si elle n'avait pas pu les laver depuis plusieurs mois. Ses yeux bruns étaient emplis de larmes et son visage crasseux traduisait une grande panique, comme si elle venait de voir quelque chose de terrible. Johnson essaya de la calmer mais c'était peine perdue, la femme était dans un état second. Tout ce qu'elle put dire furent ces quelques mots :

« Mon frère, mon frère ils ont pris mon frère ! »

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