Chapitre 17
De retour dans la chambre d'hôtel de la famille de Lucy, Johnson exposait ses nouvelles pistes aux proches de la disparue. Il expliqua d'abord le fait qu'il avait enfin démasqué la taupe de son service, racontant son petit stratagème, puis il enchaîna sur la femme qu'il venait de rencontrer. Il retraça le gros de leur conversation; la disparition de son frère ainsi que celle d'autres SDF, sans oublier bien sûr la réaction de Thomas face à tout cela. Les proches de Lucy avaient écouté le sergent avec une grande attention, ne l'interrompant pas la moindre fois. Eli était rassuré d'avoir eu raison quant à la possible présence d'un informateur parmi les rangers, bien qu'il aurait préféré avoir tort. Les parents de Lucy quant à eux grincèrent des dents en apprenant la présence d'un homme ne souhaitant visiblement pas retrouver leur fille aux côtés de Johnson. Ou du moins, d'un homme ne souhaitant pas aider dans l'enquête. Ils ne comprenaient pas pourquoi un homme pareil était devenu ranger, car leur principale mission était tout de même aider les autres. Mais, malgré tout, ils faisaient entièrement confiance au sergent. Si ce dernier pensait qu'il réussirait à retrouver leur fille en dépit de cette situation, alors soit. Ils n'avaient de toute façon d'autre choix que celui d'attendre. À présent, Johnson avait terminé ses explications. Après un court silence, les proches de Lucy s'autorisèrent à poser quelques questions, désireux de faire lumière sur tous les éléments de cette enquête.
« Donc si je comprends bien, commença le père de Lucy, vous pensez qu'il y a un lien entre la disparition des SDF et la disparition de notre fille ?
- Tout à fait. En mon sens, l'attitude de Thomas était bien trop suspecte pour être une simple coïncidence.
- Ouais, il a raison. Continua Prince. Si ce type était vraiment quelqu'un de bien, alors sa réaction cache forcément quelque chose. »
Tous acquiescèrent sur ce point. Il était impossible de changer aussi radicalement sans une bonne raison, et Thomas n'en faisait pas l'exception. Alors même s'il avait bel et bien changé, ce qui était peu probable vu la frustration de ce dernier quant au fait d'ignorer la femme ayant besoin d'aide, il y aurait forcément une explication quelque part, et très probablement une explication liée au FBI. Par ailleurs, les raisons qui poussaient les fédéraux à entraver l'enquête en cours étaient toujours un grand mystère. Johnson était curieux d'entendre quelques explications, il avait bien ses hypothèses, cependant pour l'instant il préférait se concentrer entièrement sur les disparus. S'il n'y était pas obligé avant, le sergent ne confronterait les fédéraux qu'une fois qu'il aurait ramené toutes ces personnes chez elles, c'était pour lui ce qu'il y avait de plus important. Mais malheureusement, il était encore loin d'avoir retrouvé les disparus, il n'avait pas la moindre piste quant à l'endroit où ils pouvaient être, et rien qui n'indiquait s'ils étaient toujours en vie.
« Si même les SDF ont disparu, alors ça veut dire qu'il y a bien plus de famille en deuil que ce que l'on pensait... la mère de Lucy murmura, les yeux tristes.
- Malheureusement oui. Confirma Johnson. J'ignore encore combien de personnes pourraient avoir disparu. Je comptais interroger un maximum de sans domicile aujourd'hui, mais ça risque de me prendre beaucoup de temps. J'aimerais pouvoir discuter avec Thomas avant, et j'ai encore quelques affaires à régler au poste, alors je ne sais pas quand est-ce que j'aurai terminé.
- Mais si vous êtes aussi occupé, pourquoi est-ce qu'on ne le ferait pas, nous ? »
Tous se retournèrent vers Samantha qui venait de poser cette question inattendue. Les proches de Lucy étaient surpris, mais pas opposés à cette idée. Après tout, ils n'avaient pas grand-chose à faire ici, et demander des informations aux autres n'était pas mission exclusive aux forces de l'ordre. Et puis, qui plus est, à eux cinq ils iraient certainement bien plus vite que Johnson seul. S'ils pouvaient soulager le ranger de ce point, alors ce serait une bonne chose, et l'enquête avancerait plus rapidement. Johnson sembla par ailleurs partager ce raisonnement puisqu'il accepta l'aide proposée sans attendre.
« Je n'y avais pas pensé mais c'est une très bonne idée. J'avais rendez-vous avec la femme que j'ai mentionnée plus tôt cet après-midi. Je pensais lui demander de l'aide, mais peut-être qu'elle pourrait vous guider dans ce cas.
- Vous voudriez qu'on aille la rencontrer à votre place ? répondit le père de Lucy.
- Non, je vous accompagnerai. Il vaut mieux qu'il y ait quelqu'un qu'elle connaisse un minimum parmi tous ces gens. »
Les parents de Lucy hochèrent la tête, notant les informations du sergent quant à l'heure et l'endroit du rendez-vous. Ils étaient ravis de pouvoir aider, de pouvoir se sentir enfin utiles pour leur fille. Ils se jurèrent de faire le maximum jusqu'au bout pour la revoir le plus rapidement possible. Si l'heure était au soulagement du côté des parents, ce n'était pas le cas pour Eli, qui avait une expression s'assombrissant au fil des secondes, accompagnant ses réflexions.
« Sergent, Eli prit la parole, peu sûr de lui, j'y réfléchis depuis un moment déjà et j'aimerais vous poser la question. Est-ce que vous pensez que le FBI serait en fait les personnes ayant enlevé le petit frère de la femme dont vous nous parlez ? »
Johnson resta silencieux un instant, décontenancé par la question d'Eli. Cependant, il reprit rapidement son sérieux avant de répondre au jeune homme sur un ton grave.
« Je l'ignore, mais c'est une hypothèse que j'ai en tête oui. Pour l'instant, rien ne me dit que l'attitude de Thomas n'était pas personnelle, même si j'en doute. Si elle était personnelle, alors le FBI n'a rien à voir dans cette histoire et toutes ces suppositions de lien entre nos deux affaires tombent à l'eau. D'ailleurs, rien n'indique que les deux ne soient réellement liées, malgré les éléments concordants. Peut-être n'est-ce qu'une coïncidence de voir les fédéraux gêner deux enquêtes, je n'ai absolument aucune preuve d'un quelconque lien. Mais pour l'instant, supposons qu'il existe. Si c'est bel et bien son implication avec les fédéraux qui a poussé Thomas à agir de la sorte, alors pour moi cela ne veut dire que deux choses : soit le FBI est coupable de cet enlèvement, soit ils couvrent les coupables. Et maintenant, si je devais lier ces informations avec l'affaire qui nous intéresse... »
Johnson marqua une pause, observant toutes les personnes autour de lui, suspendues à ses lèvres.
« Je dirai que c'est la même personne qui a commis tous ces enlèvements.
- Quoi ? Mais non, ça n'a aucun sens ! C'est une tempête qui nous a séparés de Lucy ! Il n'y avait personne d'autre dans le désert ! Cela ne pouvait pas être l'œuvre d'un humain ! s'exclama Sam.
- Sauf si quelqu'un a profité de la tempête pour nous séparer. »
Eli, pensif, avait répondu à Samantha d'une voix à peine audible, attestant de son état. Johnson quant à lui souffla un bon coup, reprenant la parole pour appuyer les dires du blond.
« Le fait que le nombre de disparus dans le désert ait autant augmenté sans lien direct avec une augmentation du nombre de tempêtes est très suspect. Bien sûr, nous n'avons réussi à trouver aucune preuve, cependant la théorie criminelle a été évoquée plus d'une fois lors de nos réunions.
- Réfléchis-y Sam, continua Eli, si le FBI est impliqué dans toutes ces disparitions, alors ça expliquerait pourquoi ils ne veulent surtout pas que les rangers ne trouvent quoi que ce soit.
- Ouais, et ça semblerait bizarre qu'un type normal arrive à berner la police aussi longtemps tout en continuant d'enlever d'autres personnes. Ajouta Prince. »
Samantha, face aux arguments de ses amis, était forcée d'admettre qu'il était peut-être possible que le FBI ne soit sincèrement impliqué. Le fait qu'une telle organisation puisse peut-être être la cause de la disparition de Lucy l'effraya. Si une puissance pareille était contre sa retrouvaille, auraient-ils à eux seuls le pouvoir d'y arriver ? Sam ne voulait pas en douter, mais pourtant quelque chose au fond d'elle n'était plus sûr de rien. La voix tremblante, la brune chercha des explications, les yeux au bord des larmes.
« Mais... pourquoi... pourquoi ils feraient ça ?
- C'est justement ce que j'aimerais découvrir en interrogeant Thomas. répondit Johnson. Je connais cet homme depuis des dizaines d'années, je sais qu'il a bon fond. Alors croyez-moi, il n'aurait pas fait ça sans une bonne raison. Je suis persuadé qu'il a une explication à fournir, et je compte bien l'entendre. »
Un profond silence s'installa dans la pièce, le temps aux occupants de traiter toutes les nouvelles informations amenées par cette discussion. Ainsi, tous digérèrent le fait qu'il y avait bel et bien une possibilité pour que le FBI soit responsable de la disparition de Lucy. Même si cette implication expliquerait effectivement pourquoi ils avaient refusé de donner la moindre information aux parents de la rousse, cela paraissait tellement insensé. Le FBI, ces personnes qui avaient juré de protéger les citoyens jusqu'au bout, celles-là mêmes qui avaient tant fait pour leur pays. C'était incompréhensible; cela paraissait beaucoup trop gros. Pour l'instant, rien de plus que l'intuition de Johnson ne prouvait que le FBI était réellement impliqué, alors il ne fallait pas tirer de conclusions hâtives. Peut-être que tout cela n'était qu'un énorme malentendu et qu'en réalité, les deux affaires n'avaient rien à voir. Peut-être que les raisons des fédéraux pour toujours faire disparaître les preuves étaient bel et bien justifiées autrement. Pour l'instant, il fallait attendre les confirmations de Thomas pour se prononcer sur toute cette histoire. Mais malheureusement, le père de Lucy n'était pas de cet avis, voulant d'ors et déjà protester contre les fédéraux. Cependant, sa compagne le calma rapidement. Elle était consciente que cela ne ferait qu'entraver l'enquête pour retrouver leur fille, c'est pourquoi elle raisonna son mari presque immédiatement. Les deux amants étaient complémentaires; l'un était explosif et avait tendance à ne pas réfléchir avant d'agir, tandis que l'autre, plus posé, prenait le temps d'analyser la situation. On ne pouvait pas nier que Lucy était leur fille, elle avait récupéré un peu des deux caractères, la rendant parfois explosive et parfois plus réfléchie.
Une fois la réunion entre Johnson et les proches de la rousse terminée, le sergent se dirigea vers le poste des rangers pour une journée de travail classique. Il n'était parti qu'avec un unique objectif en tête : isoler Thomas. Il aurait pu le prendre à partie devant les autres rangers puisque tous étaient concernés par cette enquête, cependant il avait peur que cela ne braque le caporal-chef et que ce dernier ne dise plus un mot. C'est pourquoi il attendit patiemment une opportunité de pouvoir lui parler seul à seul, sans trop éveiller les soupçons de ses collègues. Fort heureusement, cette opportunité se présenta assez rapidement puisque les deux rangers avaient choisi le même petit restaurant pour manger lors de leur pause du midi. En se voyant l'un l'autre, ils s'étaient tout naturellement proposé de manger ensemble, ayant l'habitude de le faire régulièrement. La table qu'ils avaient choisie était plutôt reculée, dans un angle de la pièce où peu de personnes se trouvaient. Johnson avait volontairement indiqué cette table, ne souhaitant pas être dérangé ou écouté pendant qu'il interrogerait Thomas. Une fois installés, les deux rangers avaient commandé auprès du serveur leur plat et étaient à présent en attente de leur préparation. Thomas se servit un verre d'eau fraîche tandis que Johnson se dit qu'il était temps pour lui de passer à l'offensive. Inspirant un bon coup pour se donner du courage, il décida de jouer carte sur table avec son vieil ami.
« Écoute Thomas, je sais que tu bosses avec le FBI. »
Le caporal-chef se crispa instantanément, reposant son verre d'eau sans quitter Johnson des yeux. Il toussota un instant, surpris par l'affirmation de Johnson, mais il reprit rapidement son sérieux, se voyant de nouveau imperturbable.
« Pas besoin de nier, je sais très bien que c'est vrai. »
Johnson continua, avec pour seule réponse le silence de Thomas. Il avait décidé de ne pas être coopératif, cependant il écoutait le sergent malgré tout, et c'était déjà un bon début.
« Je ne vais pas te demander leurs objectifs ou les raisons qui les poussent à entraver mes enquêtes, je sais que tu es un homme loyal et que tu ne diras rien. Cependant... »
Johnson marqua une pause, voulant voir si son ami montrait quelques signes de remords, ou s'il se sentait déchiré comme le sergent l'était.
« Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu les aides à faire disparaître des preuves ? Pourquoi ne veux-tu pas qu'on retrouve les disparus ? Et les familles alors, tu y as pensé ? Est-ce que tu as vu la détresse dans les yeux des parents ? Comment un homme aussi droit que toi peut-il faire une chose pareille ? »
Thomas avait baissé la tête, si bien que Johnson ne voyait plus son visage. Le sergent voulait avoir des explications, il était autant en colère que déçu, mais une partie en lui continuait à y croire, à croire en son ami. Cependant le caporal-chef resta silencieux, ne prononçant pas un mot face aux accusations de Johnson. Ce manque de réaction provoqua toute sorte d'émotions en Johnson, qui ne savait plus quoi penser.
« Explique moi Thomas, je t'en supplie. J'aimerais tellement pouvoir continuer à te faire confiance, on était une super équipe toi et moi. Je ne veux pas croire que tu sois devenu ce que tu détestais, tu étais un homme de principes... »
Toujours ce même silence qui répondit au sergent. Il ne savait plus quoi dire pour faire réagir son camarade, et le voir comme ça le peinait énormément. Thomas semblait hermétique au moindre mot, et Johnson finit par se dire que peut-être son ami d'autrefois n'existait tout simplement plus. Avec un regard triste, il posa ses yeux sur Thomas une dernière fois avant de quitter la table, sans un mot. Cette fois c'était terminé, Johnson avait perdu un ami aussi simplement que cela, sans la moindre parole.
« Attends ! »
Johnson se figea net, venant de passer le pas de la porte. Il était soulagé d'entendre enfin la voix de Thomas, mais toujours déçu par le comportement de son ami. Il espérait obtenir des explications cette fois-ci, car autrement il ne lui pardonnerait pas.
« Ils m'ont dit que c'était pour le bien du pays. Ils ont dit que même si ça paraissait ignoble, ils avaient besoin de ces personnes pour aider notre nation. Que c'était un projet secret d'une importance capitale. »
Le sergent se retourna vivement, surpris par les mots de Thomas. Il l'invita à continuer à l'intérieur, là où ils seraient plus tranquilles. Le caporal-chef acquiesça, reprenant sa place à table avant de continuer ses explications.
« Je ne sais pas grand-chose. Un jour ils sont venus me voir, ils m'ont dit que le pays traversait une crise sans pareille. Au début je n'y croyais pas, difficile de penser que quelque chose de terrible se produit quand tout va bien à la surface. Et puis, ils m'ont montré. J'ai vu des choses horribles Johnson, ils étaient tous morts, et leur corps... »
Thomas frissonna, ce souvenir était encore ancré en lui. On pouvait voir qu'il était source de terreur chez lui, et qu'il ne souhaitait pas se le remémorer.
« Alors j'ai accepté de les aider. Je ne sais rien d'autre. Ils ont dit que c'était pour le bien du pays, et je les ai crus. Mais maintenant c'est devenu trop difficile, je n'arrive plus à faire comme si de rien n'était, depuis la SDF d'hier...
- La SDF !! »
Johnson se leva précipitamment, manquant de faire tomber sa chaise.
« J'ai oublié notre rendez-vous, ils doivent être en train de m'attendre !
- Quoi, vous aviez rendez-vous ?
- Oui, suis-moi Thomas ! »
Sous le coup de la précipitation, Johnson n'avait même pas pu répondre au caporal-chef. Cependant les deux n'avaient plus besoin de mots pour comprendre qu'ils s'étaient pardonnés, refaire équipe comme avant était amplement suffisant. Bien sûr, ils en rediscuteraient plus tard, mais pour l'instant ils couraient ensemble vers le lieu de rendez-vous que Johnson avait donné aux proches de Lucy. Après une longue course épuisante, les deux étaient finalement arrivés essoufflés, avec vingt bonnes minutes de retard. Johnson observa les alentours du parc, repérant la famille de la disparue. Il s'approcha rapidement d'eux, mais remarqua vite que quelqu'un manquait à l'appel.
« Sergent, cette femme dont vous nous aviez parlé... elle n'est jamais arrivée. »
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