OBJECTIF SEDUCTION

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Je marchais le long de la plage, l'océan  ourlait de blanc son rivage. En ce matin saturé d’iode , les mouettes criaillaient en suivant un bateau de pêche, leurs cris parvenaient jusqu’à moi tant que le bateau n’avait pas contourné la presqu’île et l’instant d’après la mer devenait huile, même le ressac des vagues s’était atténué. Sous la plante de mes pieds, la chaleur s’éparpillait, je me rechaussais pour entrer dans le bar dont l’odeur du bon café me rappelait que je n’avais rien dans le ventre depuis l’aube.

Mon errance m’avait amené à sa terrasse que j’évitais soigneusement, la foule ne m’attirait pas, et une fois sa porte franchie je m’installais confortablement sur une banquette au coloris fanés qui lui donnait un air vieillot mais cela m’allait et ne tranchait pas avec sa décoration surannée. A ma droite la baie vitrée ouverte m’amenait des effluves de l’air marin et le soleil me chauffait la nuque, réveillant mes souvenirs du lieu. C’est ici que je l’ai rencontré, une première fois puis toutes les autres, d’un premier salut timide avait suivi des conversations passionnées, refaisant le monde jusqu’à ce que le gérant nous indique qu’il fermait en hissant ses tabourets sur le zinc. Nous n’avions pas vu le temps passer et ce jour il me proposait de continuer nos joutes verbales chez lui. Je ne savais même pas son nom, ni ce qu’il faisait dans la vie, je n’avais de lui que ses traits, ses mimiques, son oeil brillant quand je m’enflammais sur les injustices de ce monde et qu’il se faisait l’avocat du diable; un léger sourire au bord des lèvres comme une incitation à continuer, une mèche de cheveu blond lui tombant dans les yeux quand ses hochements de tête m’encourageaient à exprimer toute ma rage contenue de ne pouvoir agir.

Chez lui, après avoir traversé la moitié de la ville, c’était une charmante maison adossée à des arbres qui formaient autour d’elle un écrin de verdure, nous avions franchi la prairie qui s’étalait devant, et c’est là qu’il m’avait pris la main : «Il y a des trous que tu ne peux pas voir» m’a t-il dit, contournant le rez de chaussée «-Ce sont mes locataires qui habitent le bas, moi c’est là-haut, s’arrêtant en bas d’une volée de marches en bois blanc qui menaient à une porte rouge vif tranchant et détonant avec le bardage de la maison aussi claire que les marches.

J’hésitais encore à monter: «Après tout je ne savais rien de lui!» Sa main dans mon dos me fis frissonner délicieusement et je n’hésitais plus à franchir le seuil quand il a ouvert la porte, les deux grandes portes-fenêtres à droite amenaient du soleil jusqu’au milieu de la pièce. Au fond mon regard était irrésistiblement attiré par la vue! il n’y avait plus de murs! que des vitres coulissantes encadrées par le vert des arbres et au milieu des arbres une ouverture sur l’océan! la percée dans la forêt offrait une vue imprenable sur un bleu presque marine. Tout à coup, je sentis son souffle sur ma nuque et ses mains sur mes épaules. Je sursautais et sa voix pourtant familière arriva jusqu’à moi: «Déshabilles-toi!» sur un ton qui m’était complètement inconnu, je le qualifiais de péremptoire avec un brin de sensualité, je ne pouvais qu’obéir, qu’allait-il me faire? où et surtout avec qui étais-je? Je jetais un regard dans la pièce puissamment éclairée par le soleil et m’exécutais, j’aperçus un grand lit aux draps blancs, défait. J’ôtais mon sweat puis mon chemisier lentement et il l’attrapait pour le ranger sur une chaise. Un à un je m’effeuillais, lentement, les yeux baissés, comme humiliée par ce qu’il me faisait faire, il n’y avait pas un bruit, juste nos deux souffles, le mien plus accéléré, le sien suspendu à chaque parcelle de ma peau découverte. Quand je fus nue, sans que je puisse identifier d’où venait sa voix, il m’ordonna: «Assieds toi sur le lit, lèves tes bras et mets tes mains sur tes épaules dans ton dos!» J’étais si déconcertée que telle une automate je faisais ce qu’il me demandait. Il ne me venait même pas à l’esprit de refuser, le soleil arrivait sur ma peau et me jetait dans un état langoureux, j’aurais aimé m’allonger et m’offrir à lui mais ce qu’il me demandait éveillait ma curiosité , il avait fini sur un «Ne te retournes pas!» si voluptueux, si sensuel que j’avais occulté tout désir de désobéir. Je l’entendais par contre, faire du bruit, aller,venir, derrière moi, impatient poussant des soupirs à chaque pas, il était rapide, précis sur le plancher en bois, et je l’entendais farfouiller, qui était-il? un peintre? j’avais subrepticement aperçu un chevalet et une toile vierge adossée. Allait-il faire une huile de moi, et je reconnaitrais mon corps partout où il exposerait? la pièce n’avait pourtant aucune odeur de peinture révélant une quelconque activité de ce style. Je faisais des tas de suppositions quand un bruit légèrement familier me remontait en mémoire «Clic!» et «Clic!» puis «Clac!» un objectif s’ouvrant et se refermant me mit sur la piste: «Photographe, il est photographe!». Clic! et puis clac encore, plus bas, de là où je me situais, sur le côté, prête, tout prêt sentant son souffle au creux de mes reins. Il me bouleversait les sens et j’étais toujours immobile, guettant sur ma peau le passage de sa respiration, mais toujours le déclic, puis encore , jusqu’à ce qu’il me dise enfin de m’allonger d’une voix blanche, douce à la fois, de m’allonger afin que le soleil touche mon dos.

Pas que le soleil! sur le bout de mon petit orteil, je sentis un effleurement, tout doucement il a commencé à me caresser le pied et remontait le long de la jambe, comme pour apprécier son galbe il montait et se reprenait à descendre, puis remontait plus vite le haut de la cuisse passée, il s’attardait sur ma hanche, presque trop longtemps, je me mordais les lèvres m’empêchant de crier mon désir. Sa caresse sur mon bras me donnait la chair de poule et quand il arriva au creux de mon cou, je poussais un doux gémissement, j’espérais qu’il ne m’ait pas entendu, le déclic de l’appareil continuait, à l’acmé de mon désir une langueur imprévisible m’envahit, je me mettais presque en boule, la chaleur du soleil toujours dans le dos, et lui...inexorablement je m’endormais avec pour espoir d’être réveillée sous ses doigts...

Et c’est sous l’odeur du pop corn grillé que je me réveillais! j’étais maintenant habillée, et tout en haut de la grande roue, elle dominait la ville et sur l’océan reflétait mille et une lumière de la fête, et sans plus me poser de questions j’avalais un à un les

délicieuses graines de maïs chaudes, contrastant avec une brise marine chargée d’embruns et je profitais de la splendide vue, à mes côtés mon inconnu continuait «clic!,clic!» sur la ville éclairée.

De ci de là s’étalaient sous nos pieds des stands d’où par moments des taches vertes apparaissaient, en silence je me promettais quand la roue serait redescendue de trouver ce qui faisait cette couleur verte si parfaite sur fond rouge, ce que je ne manquais pas de découvrir: des peluches! toutes alignées sur des étagères ,accompagnées de superbes marionnettes, leur unique oeil me dévisageant, cauchemar d’un film à la mode! mais une merveilleuse odeur me chatouillait les narines... Des senteurs de pâtisserie, du gâteau au chocolat! des friandises! miam! miam! je fermais les yeux et me laissait guider, non loin des notes d’une orgue de barbarie arrivaient jusqu’à nous. D’un pas rapide j’avais franchi les quelques mètres de l’odeur qui m’affolait les sens, je me découvrais une faim énorme: «Donnez-moi une glace au chocolat à trois boules! et des muffins et des cones tous chauds! s’il vous plaît! le vendeur souriant et d’un air entendu me tendit le tout dans un tonitruant «Et voilà ma p’tite dame!» je plantais mes dents dans le gâteau encore chaud et à la recherche de contraste, tout de suite après dans la glace, je dévorais le tout littéralement. Une fois repue,le bruit familier redevint plus fort, envahissant «CLIC! et CLIC!et RE CLIC!»

je me réveillais à ce son. Le soleil était bas et sans éclat se couchait sur l’océan, le ciel d’un rouge sang se mêlait aux sombres noirs des arbres, je m’étirais et d’un bond me relevais du lit , je distinguais des ombres inquiétantes dans la pièce, prestement je m’habillais et dévalais les escaliers désormais sombres, je m’arrêtais en bas et levant les yeux, le découvrais, le corps auréolé du dernier rayon, se découpant telle une ombre chinoise sur la porte rouge. Dans son regard je lus la promesse que nous nous retrouverions.


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