Partie 4
La nomade, trouvant la tente vide à son réveil, découvrit Ekaterina roulée en boule contre son dromadaire.
"Bien dormi ?"
Elle avait lancé la question, encore une fois, comme si elle s'était attendue à la trouver là. Cela fit sourire la jeune femme. Elle s'étira en baillant. Ses yeux encore embués cherchaient la petite. Elle se releva d'un bond, secouant la tête à gauche et à droite, ignorant les douleurs dans son dos raide. Aucune trace de la petite. Elle posa ses paumes à l'endroit où elle se tenait quelques heures plus tôt : il n'y avait pas même de creux dans le sable, là où elle l'avait vue s'installer. C'était à devenir folle. Elle frappa du poing sur le sol et lança, pour elle-même :
"Mais qu'est-ce qui m'arrive ?"
Un peu de sable que la nomade secouait de ses tentures parvint jusqu'à elle et se perdit dans ses cheveux. Elle pliait le camp. La nomade prit soin de ne pas commenter l'agitation de la jeune femme quand elle se décida à venir l'aider. Elles rangèrent les tissus en silence et empaquetèrent leurs affaires - celles d'Ekaterina se limitaient à son foulard rigide de sel et de sueur. Après avoir laissé s'écouler assez de temps pour penser, la nomade se remit à chanter. Le rangement se fit alors plus joyeux et la jeune femme se laissa une nouvelle fois emporter par l'alégresse de son acolyte. La fillette reviendrait bientôt, peut-être, et alors elle la suivrait pour savoir d'où elle venait. Elle laissa ses peurs, ses doutes, ses interrogations là où, plus tôt, se tenait une tente ; puis elle suivit la nomade et son dromadaire dans les entrailles brûlantes du désert.
Tandis qu'elle marchait, elle tenta de comprendre dans quelle direction elles allaient, et de quelle direction elles venaient. Est-ce que la petite les suivait ? En jetant un regard derrière, elle vit que leurs traces de pas s'effaçaient bien vite. Il n'y en avait pas d'autres. Si on le lui avait demandé, elle aurait bien été incapable de retrouver l'endroit où la tente était plantée la veille. Elle croyait, enfant, que le sens du vent nous emmenait toujours dans la bonne direction. La nomade suivait-elle le vent ? Ou bien le Soleil ? Il lui semblait impossible de se fier à un objet qu'on ne pouvait pas regarder. Il devait y avoir une manière logique - plus logique que le vent ou le soleil - de se repérer dans le désert, puisque la nomade le faisait.
"Comment tu sais où tu vas ? demanda Ekaterina.
- Je ne sais pas. Mais j'y vais."
Le sourire de la nomade lui faisait plisser les yeux si fort qu'il ne restait que deux minuscules fentes parmi les plis de sa peau. Elle continua :
"Je t'ai dit que nous irions chercher du lait, je tiens ma promesse."
L'estomac de la jeune fille réagit en grognant. Elle pressa le pas pour se retrouver à côté de la nomade :
"Mais, où ?
- Je ne sais pas où, mais si c'est sur notre chemin : on finira bien par tomber dessus.
- Ça pourrait prendre des semaines ! défendit-elle.
- C'est vrai.
- On mourra de faim avant !
- Regarde moi, souffla la nomade en s'arrêtant pour planter ses yeux lumineux dans ceux de la jeune femme, ai-je l'air d'avoir eu faim, ne serait-ce qu'un jour ?"
Ekaterina resta bouche bée. Les jupes ocres de la nomade entouraient un ventre bien rempli, et son aura sereine trahissait que sa vie avait été un voyage paisible, aussi tumultueuses que furent les eaux sur lesquelles elle avait navigué. La nomade reprit sa route en riant, comme à son habitude, laissant voler autour d'elle de longs cheveux argentés. D'une main, la jeune femme rajusta le turban indigo que la nomade lui avait donné de bon coeur, et trotina pour la rejoindre.
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