Règle #15
Règle #15 : si vous étiez votre personnage, dans cette situation précise, que ressentiriez-vous ? Soyez honnêtes. Cela vous permettra d’apporter de la crédibilité à des situations incroyables.
« […] on peut en apprendre beaucoup de la suspension volontaire de l’incrédulité. Et indirectement, que l’on peut a priori se faire pardonner par le public quelques erreurs de logique interne. Tant que la scène reste honnête, émotionnellement parlant. »
Un petit rappel ici du fonctionnement élémentaire de la relation auteur/lecteur. Qu’est-ce donc que cette fameuse « suspension volontaire de mon incrédulité » ? C’est le contrat tacite que l’auteur passe avec le lecteur : « je vais te raconter une histoire, tout est faux, mais je vais faire en sorte que tout paraisse vrai », et de l’autre côté « je vais lire ton histoire, je sais que tout est faux, mais je t’accorde le droit de me mentir tant que tu le fais bien, au point que je vais accepter de croire tout ce que tu me racontes ». Pour peu que vous enfreigniez cette règle, vous perdrez votre lecteur, qui se sentira trahi, floué. La cohérence, dans une histoire, est donc un point essentiel du maintien de ce contrat. Or, maintenir une cohérence intradiégétique (interne à l’histoire) n’est pas toujours chose aisée. On peut être amené à en faire un peu trop, ou à oublier la personnalité d’un personnage pour lui faire dire ou accomplir des choses qui iront à l’encontre de sa nature profonde. Ce genre d’erreur peut être acceptée du lecteur, tant qu’elle sonne juste et participe à l’émotion recherchée. C’est pourquoi, dans les situations qui peuvent paraître incroyables, difficiles à rendre crédibles, se mettre à la place du personnage, avec sincérité, permet d’atténuer certains effets de rejets.
« La participation émotionnelle force le public à atténuer son seuil habituel d’incrédulité. Et à ouvrir ainsi son esprit à des choses incroyables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle toutes les formes de narration s’écartant du plus strict réalisme fonctionnent. »
Cela ne veut pas dire qu’on peut faire prendre des vessies pour des lanternes au lecteur. Les scènes aussi doivent être « honnêtes » et avoir une raison rationnelle (du point de vue de l’histoire) d’exister.
Toute la difficulté ici, c’est de réussir à se mettre à la place d’un personnage. Car, de fait, les personnages de vos histoires ne sont PAS comme vous, sinon ils se ressembleraient tous et lasseraient très vite votre public.
« Créer un personnage veut dire façonner de toutes pièces une personnalité savamment réfléchie, un modèle d’une personne qui n’existe pas. Il est plus profitable d’imaginer les réactions d’un personnage face à une situation, en ce qu’elles diffèrent des vôtres. Ce qui peut potentiellement correspondre à des mécanismes psychologiques à l’opposé des vôtres. Et tout cela, même si ces réactions contredisent la notion d’empathie. »
Il s’agit donc de réfléchir aux situations du point de vue des protagonistes, en faisant fi de votre vision personnelle. Bugaj donne l’exemple d’un personnage de soldat qui aime les animaux mais qui, lors d’une mission, se trouve confronté à un chien de garde ennemi. Si vous suivez votre propre empathie, vous risquez de faire en sorte que ce soldat contourne le chien, l’endorme ou trouve une méthode farfelue pour s’en débarrasser sans lui nuire. Alors que la réaction la plus sincère et aussi la plus touchante, c’est que dans cette situation à travers laquelle s’affrontent plusieurs considérations psychologiques très fortes (son amour des animaux, de sa patrie, le sentiment de son devoir, sa peur de mourir ou de voir ses camarades se faire tuer par sa faute, échouer dans sa mission), en soldat professionnel, il va abattre le chien de garde, parce que c’est ce qu’il y a de plus évident et de plus efficace. Se mettre à la place de ce soldat est très difficile, mais si on le fait avec honnêteté, en taisant ce que notre conscience nous dicterait, on peut trouver une réponse crédible. Bien sûr, ici intervient le droit à l’erreur mentionné plus haut : comme c’est une situation de tension émotionnelle, le lecteur sera plus enclin à pardonner un choix moins cohérent, tant que l’émotion est préservée.
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