Pimpolar

3 minutes de lecture

Quelques lambeaux de nuit s’accrochent encore aux basses branches du sous-bois. Avec délicatesse, la lueur du matin estompe un clair de lune pâlot. Depuis des heures Ernest claudique dans la pénombre le long d’une sente à peine visible. Il n’a plus la moindre idée de la direction à suivre, il espère juste ne pas avoir trop tourné en rond. À chaque fois que sa jambe gauche touche le sol, il retient un gémissement. La douleur a depuis longtemps dépassé la limite du supportable et seule une coriace volonté a réussi à l’amener aussi loin. Mais l’épuisement gagne, l’envie de s’allonger dans l’herbe moussue se fait de plus en plus tentante. Rester là, les yeux fermés, goûter à un repos réparateur, définitif.

Juste au moment où il va abandonner, la rumeur d’une voiture roulant à vive allure accompagnée d’une lueur de phares entre les arbres lui redonnent espoir. S’appuyant aux branches basses pour ne pas tomber, il avance encore de quelques mètres et découvre une route départementale, la fin de cette maudite forêt.

Il lève les yeux. De l’autre côté de l’asphalte s’étend une zone industrielle. Dans la brume matinale, les bâtiments en tôles colorées prennent l’allure de cubes éparpillés par un enfant capricieux. Ernest traverse la chaussée en boitillant sans croiser le moindre véhicule. Comme un naufragé attiré par la lueur d’un phare, il se dirige vers le seul hangar éclairé de la zone. Péniblement il arrive jusqu’au mur du bâtiment, glisse jusqu’à la fenêtre éclairée et, serrant les lèvres pour ne pas hurler de douleur, jette un coup d'œil à travers les carreaux. Un homme, de dos, découpe d’un geste sûr d’épaisses rames de papiers sur un massicot électrique. Rassuré par la tranquillité de la scène, Ernest longe le bâtiment et clopine jusqu’au hall d’entrée. Sur le parking, dans l’ombre, stationnent deux voitures. Au fronton, un panneau annonce « Imprimerie John-Law de Lauriston ». Avant de pousser la porte d’entrée, de la poche de son blouson il sort son Whalter P38 et en arme le chien.

***

Mal réveillée, Aglaé tente de déposer le plus discrètement possible son bol vide dans l’évier. D’humeur badine, la cuillère accroche le col du robinet, fait un magnifique salto arrière et termine avec fracas sa chute sur quelques assiettes du jour d’avant. Dans la chambre du petit appartement Doudou grogne :

- Hmmmm, c’est déjà l’heure ?

- Non, reste au lit. Aujourd’hui j’ai inventaire.

- Ouainf, et pour rimer avec inventaire, faut un bruit de tonnerre ?!

- Oh, mais t’es poète, ce matin, mon Doudou ! répondit-elle en venant lui claquer un bisou sur les lèvres. Allez, je file, à ce soir.

Roulant tranquillement dans les petites rues désertes, Aglaé lève les yeux vers le ciel rosissant. La journée va être belle, dommage qu’elle n’en verra rien, coincée dans l’entrepôt à comptabiliser ramettes de papier et cartouches d’encre. Philosophe, elle allume la radio et se laisse bercer par un petit reggae roots à souhait. Juste comme elle entre dans la zone industrielle, la musique s’arrête au beau milieu du morceau, remplacée par le jingle du journal d’informations.

« …, flash spéciaaaal ! On vient d’apprendre qu’un vol avec effraction a été commis cette nuit dans une bijouterie de Plouëldhek. Alerté par un bruit suspect, le bijoutier s’est levé, a récupéré une arme de poing et est allé voir de quoi il retournait. Il est tombé nez à nez avec un cambrioleur qui, surpris, a tiré dans sa direction. Le bijoutier, très remonté, a riposté et s’est fait descendre. Le cambrioleur, à priori blessé, s’est enfui à pied à travers la forêt de Bouconne… La gendarmerie conseille aux habitants de la région de rester chez eux, l’individu est dangereux… Bleng, Bling, Blang ! »

- Mazette !

Concentrée sur le flash d’info, Aglaé s’est garée sur sa place habituelle et, sans même s’en rendre compte, a éteint les phares et serré le frein à main. Hébétée, elle éteint la radio et reste assise sur son siège, se donnant quelques secondes pour digérer la nouvelle. Au moment d’ouvrir la portière, du coin de l’œil, elle capte un mouvement à la lisière de la forêt. Dans la lumière blafarde, un gars sort du sous-bois, regarde à droite, à gauche et traverse la route en boitant.

***

John-Law termine sa découpe, rassemble le travail d’une partie de la nuit et jette un regard rapide sur la pendule. Il ne lui reste plus beaucoup de temps, Aglaé va bientôt arriver. Avec dextérité il démonte un panneau dans la double paroi d’un mur. Il vaut mieux que toute la production de l’imprimerie n’apparaisse pas dans l’inventaire en préparation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Pepi To ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0