La sanction
La porte de sa chambre. Une représentation évocatrice de cette pièce se révèle dans mon esprit comme celle d'une étuve, un endroit clos et propice à élever la température. Un endroit où s’expose la forte probabilité d’un air saturé de son odeur corporelle, entremêlée aux différents effluves artificiels avec lesquels il se lave et se parfume.
Le silence est retombé depuis sa question finement détournée en un dilemme, à savoir : l’esquive ou la franchise.
Un sentiment de panique serpente mon poignet agrippé solidement à l’ouverture de la porte, comme un effroyable tentacule, il ascensionne jusqu’à ma gorge pour s’y enrouler. Ma témérité m’avertit que s'il y a bien un lieu où je ne pourrais me sentir à l'aise pour l’affronter, c'est bien celui-ci. Surtout si l'élément principal de l'équation posté juste derrière moi s’invite également à l'intérieur.
Je me tourne lentement sans relâcher ma prise, et lentement, m’apparaît la vision de mon biker. Can se tient droit, sa position flirte avec la ligne invisible du minimum requis pour mon espace vital. Assez loin pour me reluquer entièrement, mais assez proche pour lancer mon cœur sur un circuit de course. Sa tête légèrement sur le côté, son corps semble avoir été cimenté. Pas comme mes doigts pris de tremblotements ou mes pieds démontrant les premiers signes d’une anxiété, non. Lui reste parfaitement immobile. Ses yeux ne dévoilent ni impatience ni contentement. Pourtant, il m’est éprouvant de soutenir l’énergie pénétrante qu’ils emploient à m’examiner.
C'est exactement ce regard suggestif dont je lui faisais référence ! Aux aguets, prêt à bondir si je lui en donnais le signal.
Subitement, une évidence me saute aux yeux. Elle ne se limite pas à sauter, elle m’éclate à la figure...
Jusqu’ici, je me suis auto-persuadée que Can avait l’ascendant sur moi. Il contrôle ses apparitions, s’approprie ma confusion, provoque mes faux-pas. Aussi de micros arrêt du cœur. Cependant... il m’a échappé une observation importante. Chacune de ses réactions repose sur les miennes. Son corps ne fait que répondre au mien. Il s’est glissé avec adresse dans les différentes brèches verbales et physiques ouvertes par ma seule initiative.
Si généralement, l’homme ou le cavalier est le meneur, à ce pas de deux, je suis celle qui amorce la direction de ses actions.
Toujours face à lui, j'actionne la poignée, ouvre la porte en grand dans mon dos d’un geste prononcé, sans convier ma curiosité à s’y inviter. Puis je porte doucement mon nouveau statut de chargée des opérations à franchir la ligne invisible, le contraignant à baisser les yeux s’il souhaite continuer à lire ce qu’il se trame dans les miens. À présent certaine de mon choix, je nous accorde sa révélation par cette phrase :
— Merci pour les pâtes, pour... m’avoir indiqué où se situait la pièce qui me soucie. Bonne nuit, Can Özkan... murmuré-je du bout des lèvres.
Dans un modeste éclat de rire vaincu, il abaisse le menton. Soufflé de nouveau par ma réplique, je note le tourment de sa lèvre inférieure par la meurtrissure de ses dents. Un tic de langage que ma mémoire n'a pas oublié de remarquer lorsqu'il est dérouté.
Moralement perturbée par les assauts émotionnels s’accumulant, je ne suis aucunement disposée à tenir une discussion sur le sujet. Je passe aux toilettes puis appelle à couper mon cerveau et faire obstacle au souhait de Can quant à jouer franc-jeu avec les quelques heures de sommeil qui me restent à prendre sur cette nuit déconcertante.
Cette soirée vient suffisamment de prendre un tournant pour la suite de mon séjour.
*
* *
Une lueur cherche à s'infiltrer sous mes paupières. J’étire tour à tour, bras et jambes. Mon esprit embrumé essaye de trier ce qui appartient au domaine du rêve et celui de la réalité. Des flashs percent mon crâne. J'ouvre brusquement les yeux ! Les rayons du soleil baignent le séjour de lumière et c’est un paramètre notable sur la progression avancée de la journée. Je dois prendre mon poste à onze heures et demie ! Quelle heure peut-il bien être ? Oh Seigneur ! Plus de batterie sur mon portable ! Je saute dans mes baskets, replie la couverture et passe mon sac par-dessus mon épaule, prête à prendre le prochain transport en commun. Le silence qui m'accompagne dans cette maison ne me confie aucun indice sur la présence ou non de mon hôte. J'hésite un instant à laisser un mot à Can, quand une idée survient. Je fouille mon sac et en sors le billet pour la soirée blanche remporté hier soir. Je le dépose sur la table basse et griffonne un message sur un bout de papier :
« Pour ton mentorat aux fléchettes. Merci pour l'hospitalité. Arizona »
À peu de choses près, j’ai repris les termes utilisés lorsqu'il m'avait laissé le billet de concert sur le comptoir.
En petites foulées, j'arrive à un arrêt et monte dans un bus quelques minutes plus tard. Au moment où il démarre, mon regard crochète à travers la vitre un remarquable joggeur sur le retour de sa course à pied. Un sentiment désagréable embarrasse mon estomac. La culpabilité de me savoir partie comme une voleuse. Honteuse, je cramponne plus fort la barre de fer verticale et oriente minablement mes yeux sur mes chaussures. Je m’efforce de me répéter que ce que Can semblait tenir dans l'une de ses mains ne s'apparentait pas à un sachet de viennoiseries, qu’il n’avait pas la moindre intention à me ramener à manger, que mon départ lui sera aussi insignifiant que le retour du couple Jennifer Lopez avec Ben Affleck, jusqu’à y croire. Je n'ai plus qu'à espérer qu'il aime porter le blanc et les fêtes sur la plage...
Un passager m'apprend qu'il va être dix heures. Juste le temps de rentrer me changer, récupérer un chargeur et réfléchir à un monologue d'excuses en béton armé pour mon patron. La douche devra attendre. Je pénètre en trombe dans mon foyer d'accueil, grimpe deux à deux les marches menant à l’étage, fais voler mon sac quelque part sur le parquet, suivi par mes chaussures. J'ouvre l’armoire, jette sur mon lit les premiers vêtements présents sous mes doigts. Un passage rapide dans la salle de bain, la récupération de mon chargeur et je déboule chemin inverse l'escalier.
— Arizona ?
La voix douce de Karen stoppe ma course sur le palier du hall d’entrée. Où que j’aille, je n’ai pas d’autre choix que me confondre en excuses.
— Oh Karen, je suis affreusement désolée, j'ai vraiment déconné hier soir ! Je partais justement me plier en six pour me faire pardonner auprès de ton mari, débité-je à toute allure. Mais je te garantis que ce soir, dès que je rentre, tu ne touches à rien et je m'occupe de tout ! À partir de maintenant, je ne serai pas seulement l'employée d'Ibrahim, je serai aussi commis pour les tâches de la maison. Je veux que vous puissiez compter sur moi, que vous sachiez à quel point je suis consciente de l'importance de mon engagement auprès de vous.
— Ne te mets pas plus en retard, on discutera à ton retour. Voici ton repas pour ta pause déjeuné. J'ai aussi un message à te transmettre et une question à te poser.
Aucune déception ne déforme ses traits, la bienveillance de cette femme est surnaturelle. Elle me tend un sachet contenant mon en-cas et reprend la parole :
— Can m'a envoyé un texto. Il te conseille de t’arrêter acheter cette marque de cigarillos avant de te rendre au Bebek. Ce sont les préférés d'Ibrahim, me sourit-elle alors qu'elle me tend maintenant un post-it avec toutes les informations inscrites.
Oh toi, l’espèce de dieu gréco-turc, laisse-moi me sentir coupable ! À croire que sa beauté extérieure n'a d'égale que celle intérieure.
— Elly est aussi passée un peu plus tôt ce matin, elle s'inquiétait de ne pas avoir de tes nouvelles. Je me suis permis de la rassurer, omettant les détails sur ta soirée de travail. J’ai pensé que tu voudrais lui raconter toi-même. Néanmoins, je l’ai informé de ton absence en raison d’une hospitalité nocturne chez Can. Et c'est là qu'elle m'a rétorqué et je cite : « Oh putain de BORDEL DE MERDE !!! Nom de Di... d'un perroquet sans plume ! ». Ensuite, elle s'est mise à sautiller partout sous le porche alors voilà ma question ; je me demandais si je devrais être au courant de quelque chose ? Tu peux me parler, tu sais. Can est comme mon fils...
Oh la... Cette conversation emprunte un sentier menant tout droit à une pente vertigineuse. Je ne me risque pas à m'engager dans cette voie et bifurque sur les mots « retard », « désolée », « une autre fois peut-être... » puis décampe en quatrième vitesse !
Sortie du quartier, je hèle un taxi et lui indique l'adresse sur le post-it. Sur le trajet, je repasse les derniers événements en mémoire et gamberge sur plusieurs points. Le premier consiste à rattraper le fiasco d'hier soir, je supporterai docilement la colère d'Ibrahim, mais pas sa déception. Le deuxième concerne Elly dont j'ai ignoré l'existence depuis jeudi, dernière fois où je l'ai eu au téléphone. Son imagination a dû fabuler toute sorte de scénarios dès sa connaissance de ma nuit chez mon biker et quelque chose me dit qu'au démarrage de mon téléphone, je vais avoir droit à un concert de notifications... Le dernier point me rappelle que je suis à la moitié de mon séjour. Cette réalité démontre à quelle vitesse les jours peuvent défiler. En si peu de temps, des coïncidences ont acheminé à des imprévus qui se sont révélé être de véritables occasions. Je pense à cette fameuse fête à laquelle j'ai terminé couverte de vomis, le genre de soirée que je croyais réelles uniquement dans les séries américaines et ne revivrais, à coup sûr, jamais en France. Mon baptême de moto, mon premier concert, manger dans un restaurant de la haute gastronomie, gagner à un concours de fléchettes. Mais aussi et surtout, d'avoir dormi chez l'homme le plus incroyable, admirable, incomparable et tout ce qui finit en -able, qui m'ait été donné de rencontrer. Bien que j'essaye de camoufler mes premiers émois devant le principal concerné, il a des années d’avance sur l’analyse du comportement. Et s'il décèle un jour, plus qu'un simple trouble envers sa personne, j'ai bien peur de me heurter à son embarras et à sa contrainte de m'expliquer la différence entre l’attirance et les sentiments.
C'est une vraie course contre la montre qui s’opère en ce moment même. Après s'être arrêté au buraliste, le conducteur a pour ordre d'accélérer mon ascension en direction de ma pénitence. Le taxi stationné devant le Bebek, je paye le chauffeur et ne tergiverse pas une seconde de plus pour aller racheter mon honneur. En assumant mon erreur, je mets la raison au présent et le tort au passé.
Mon patron ne relève aucune attention sur mon entrée, il la consacre à un fournisseur à l’heure, qui n’a probablement ni découché, ni picolé sur ses heures de services. Pour autant, je sais qu’il a détecté ma présence. Il a l’instinct surnaturel d’un Homme à qui rien échappe. Pas même ma démarche du condamné alors que je longe le couloir vers mon vestiaire. Je m’efface à l’intérieur, revêts ma tenue de travail, charge mon téléphone, et unis mes prochaines excuses à mon courage. À l’heure du pardon, Ibrahim termine d'encaisser un couple. Son coup d’œil de biais me concède son feu vert pour un temps de parole. Sa posture est droite, son visage reflète un air grave, mais son sourire est serein. Je dirai même qu’à mesure où je m’approche et que mon cœur ralenti, ses lèvres se réjouissent de ma mine torturée, implorant la pitié comme celle si triste d’un chien suscitant chez quiconque un sentiment d’empathie. J’encercle son cou de mes bras et tente de transmettre mes remords dans une longue accolade.
— J’avais préparé un super speech, mais ton silence me fout les jetons. Avant de déclamer ton sermon, sache que je compte révérer ce tablier et en être digne jusqu'à obtenir de nouveau ton mérite, lui soufflé-je à l'oreille, d’une voix que j’espère attendrissante.
L'ébauche d'un vrai sourire germe au coin de sa bouche et sans répondre à mon geste, il réplique :
— On abordera le sujet après ton service, tu fais la fermeture avec moi aujourd'hui.
Mon enthousiasme se fane aussi sec. La fermeture... Autrement dit, mon patron me condamne à des travaux d’intérêts généraux.
Je trime comme une dératée ! J’ai la fièvre dans le corps et crois très fermement que chaque nouveau point de côté coopère à purger ma peine. Il n'est déjà pas loin de quinze heures, j'ai disqualifié ma pause et mon estomac revendique sa part de ration journalière, d'autant que j'ai décliné à deux fois les recommandations de mon patron quant à me restaurer. Mais ma rédemption n’attend pas ! Le seul moment auquel je m’accorde, c’est celui où personne ne peut aller pour moi. Avant d’écourter ce répit salvateur, j’en profite pour rallumer mon téléphone. Dix-huit notifications, toutes d'Elly, pas une seule de Can.
Dans la soirée, ma faim s’en prend violemment aux morceaux de fruits durant la préparation des cocktails. Aux alentours de vingt heures trente, je me hasarde à boire du café alors que tout en moi l’aime en horreur ! Cette épreuve a plutôt l'air de satisfaire Ibrahim qui lève sa bière de loin à ma santé. Puis qui déboule en trombe, poings sur les hanches et le pied frappant le sol d’un tempo contrarié ?
— Je te laisse exactement cinq secondes pour m'expliquer comment as-tu pu esquiver le fait de me mettre au courant que ton joli petit cul a passé sa nuit chez Can ?
— Chut ! Ne parle pas aussi fort ! Je te raconterai, mais tu tombes vraiment au plus mal.
— Quatre secondes, Sawyer.
— Elly, je te jure que j'allais t'en parler ! Le timing ne s’y prêtait pas, c’est tout.
— Bien, puisque les mots ne veulent pas sortir de ta bouche, laisse-moi appeler Can, lâche-t-elle sournoise, portable à la main. Ah bah non, regarde, le voilà qui entre ! Il sera peut-être plus bavard que toi... Salut, Can ! Bien dormi ?
Quelle traîtresse doublée d'une vraie connasse ! Je contourne le bar et lui plaque la main sur sa bouche ingrate. Can s’est avancé à ma droite, paré d’un sourire qui en dit long sur ce à quoi mon amie peut faire allusion.
— J'ai bien dormi, Elly. Et toi Arizona ? La nuit fut-elle propice à de quelconques souvenirs dont tu voudrais me faire part ? me provoque-t-il en s'accoudant au comptoir.
Ont-ils tous décidé de se liguer contre moi ?
— La nuit fut courte et propice à la réflexion pour mon absolution auprès de ton oncle, attesté-je.
Cette fois, je tourne les talons et entraîne Elly dans mon sillage jusqu'à la réserve. De là, je lui raconte tous les épisodes manquants du hashtags #AriCan. Cette névrosée des hormones est surexcitée par ma narration ! Je lui donne pour avertissement qu’aucun sous-entendu ne doit sortir de sa bouche, tant qu'elle s’attardera dans ce bar. Elle nous dispense finalement de sa présence à la fermeture, au bras du dernier client. Je m'affale sur l'une des chaises, mon torchon sale sur les genoux et la main sur le ventre.
— Va t'allonger dans le vestiaire, préconise mon patron.
— Et te laisser tout nettoyer, faire la caisse ? Hors de question !
— Est-ce que tu refuses un ordre ?
Il hausse un sourcil.
— J'obéis à mon contrat.
— Mise à part boire tout notre café et te gaver d'ananas, tu as mangé un vrai repas aujourd'hui ?
— Négatif ! Mais je mangerais bien le sandwich de votre charmante épouse. Oh ! Attends, j'ai une surprise pour toi !
Lorsque je reviens du vestiaire, mon petit cadeau au creux des mains, un frisson échauffe mon épiderme. Il y a du revirement dans l’air. Pas tellement joyeux, mais pas non plus le chant funeste de mon enterrement. Le regard des deux hommes a changé. J'ai le sentiment de tomber dans une embuscade. Sur mes gardes, j’exécute l’injonction silencieuse du levé de menton d’Ibrahim, à savoir m’asseoir sur le tabouret à côté de Can.
— Je peux savoir ce qu'il se passe ? demandé-je suspicieuse.
— Tu te souviens t’avoir dit qu'il serait préférable que tu dormes à la maison car il te réserverait un réveil dont tu te souviendrais... Eh bien est venu le moment, m’avise l’Aventurier d’un clin d’œil.
Je pensais avoir fait mes preuves après m’être désossée toute la journée. Je m’aperçois que je suis toujours aussi naïve. Que mon patron me parait plus grand, plus costaud, plus intimidant que jamais. Si je m’attends à une douloureuse morale, l’apparition d’une bouteille d’un alcool menaçant me promet bien pire.
— Je vais te raconter une histoire, Arizona. Il y a de ça une dizaine d’années, l’homme à tes côtés et sa bande de copains de l’époque ont été surpris dans ce bar à se rincer sur le compte du Bebek. C’était mal et ça méritait une leçon. Tu es d’accord avec ça, n’est-ce pas ?
— Ou..Oui... parviens-je à formuler.
Il ne semble pas en colère, mais à son ton en demi-teinte, je peux aisément sentir un mauvais coup arriver.
— Je ne suis pas contre que vous buviez de l'alcool, mais dans la famille il y a des règles. La première : jamais plus d'un verre pendant le service sauf mon autorisation. La deuxième est que boire est une chose, mais encore faut-il la faire bien.
Mon intuition se vérifie lorsqu’un verre de shooter baigné d’un alcool pur se place devant moi. Et devant chacun d'eux.
— Puisque tu as voulu jouer les grandes, il me semble important de t'enseigner l'art de s'abreuver chez les Özkan.
1Je me pose la question du but de la manœuvre : me punir d’une frappe fatale, comme un bon coup de pelle derrière la tête ou me brûler les organes, un à un, d’une souffrance atroce. J'attrape mon sandwich et l'entame avant que ma sentence ne soit prononcée. J'observe Ibrahim se mettre du sel sur le dessus de sa main, entre le creux de son pouce et celui de l'index. Il lèche le tout, mort dans une tranche de citron et vide le contenu de son verre. Pas une seule grimace ne déforme son espièglerie. Can l'imite, tout aussi confiant. C’est comme s’ils se descendaient une gorgée d’eau de source contribuant au bon fonctionnement du corps humain. Mon biker se tourne ensuite vers moi. Je donne un nouveau croc dans mon repas aussitôt répète-t-il l'opération de déposer du sel sur sa main.
— Passe ta langue.
Je me rappelle à pratiquer la respiration parce que...
Can. Me demande. De lécher. Sa main...
Le baromètre de ma pression indique que l'air continue à se vider de mes poumons. Ce n'est pas chose insurmontable, mais ma courte expérience auprès de Can Özkan m'a appris que l'inverse est souvent envisageable. Luttant contre mes émotions, j'avance mon visage et lape savoureusement sa peau si généreusement offerte. Après quoi, il glisse une tranche de citron entre mes dents. Je n'ai pas le temps de protester mon dégoût que Can s’approche, lisse mes cheveux à hauteur de ma nuque et déverse le contenu du petit verre entre mes lèvres.
J’essaye de ne pas cracher du feu. De ne pas prendre feu sous son regard assombrit.
— Bienvenue dans la famille, kızım¹ !
Si cette leçon est ignoble, les mots d’Ibrahim éteignent les flammes dans ma gorge. Sa souveraineté peut être certain qu’avec cette anesthésie locale et cette humiliation publique, son avertissement a bien été entendu !
— C’était vraiment utile ce rite de passage au... quarantième degré ? je lis sur l'étiquette.
Ibrahim ne répond rien, mais rit de bon cœur. Il a l’air enchanté et retrouver sa joie de vivre me gonfle la poitrine. Je lui offre les cigarillos qu’il s'empresse d'aller s'allumer sous le bourdonnement de son rire persistant.
— Tu ne dis rien ? Pas de commentaires ? m'adressé-je à Can.
— Pas de commentaires. Mais une annonce à te faire...
Je pivote mon profil et lui soumet mon interrogation muette d’un jeu de regard.
— Tu passes une fois de plus la nuit chez moi.
Plait-il ?
— Ne sois pas si surprise, Championne. Toi et moi, on a un deal. Demain, c'est ton jour de repos, tu me le consacreras pour la séance photo. Tu as peut-être oublié, mais pas moi. Je peux même te rappeler que la condition était de ne pas te chambrer.
— Tout faux, c'était de ne pas me regarder comme si tu voulais m'embrasser.
Oh bazar ! Son sourire est sans équivoque, il a feinté ! A prêché le faux pour savoir le vrai ! Je pince mes lèvres et ferme les yeux très forts.
— Maintenant que tu as payé ta dette et recouvrer la mémoire, il est temps d’aller réveiller Lust.
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¹ « kızım » signifie « ma fille » en turc.
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