...

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[…] Le soleil s’est couché à présent, et je les sens qui approchent. Elles sont restées terrées au fond de la cave durant toute la journée, mais la Lune, pourtant encore à peine visible dans les cieux sombres, les appelle. [...] Depuis cinq minutes environ, je les entends lui répondre ; des murmures et d’étranges mélopées montent des tréfonds de la bâtisse.

[...]

Je voudrais fuir, mais mon corps refuse obstinément d’exécuter le moindre mouvement dicté par mon cerveau. Je suis comme cloué à ce fauteuil, dans cette pièce qui deviendra mon tombeau, incapable de faire autre chose que d’écrire ces ultimes lignes à la faveur de la faible lueur dispensée par la bougie qui, à l’instar des battements de mon cœur, s’éteindra bientôt.

[…]

Par la fenêtre, j’aperçois désormais le rond parfait de l’astre de la nuit. [...] Il y a eu des grattements dans l’escalier, d’autres chuchotis également. [...]

Depuis quelques secondes, je les vois s’allonger à la périphérie de ma vision. Elles se tendent, se distendent, dansent et se contorsionnent sur les murs tachés au crépi inégal. Une main fuligineuse et squelettique s’est frayé un passage jusqu’à [...]

Au moment où ces derniers mots avaient frappé ma rétine, il m’avait presque semblé entendre le hurlement poussé par mon oncle ; comme si ce cri de pur effroi avait été inscrit entre les lignes à l’aide d’encre invisible, et qu’en lisant, je l’avais libéré de sa prison de papier.

Mes doigts tremblants avaient alors laissé échapper le courrier qui avait décrit quelques arabesques avant de se poser doucement sur le plancher poussiéreux. Il me semblait que la frayeur ressentie par mon oncle dégoulinait littéralement de la missive gisant à terre et que je n’avais pu me résoudre à ramasser.

~oOo~

Lorsque j’arrivai sur les lieux, seul le silence, ainsi qu’une drôle d’impression m’accueillirent. La police — que j’étais allé voir afin de récupérer les clefs de la maison — avait eu beau me certifier que la disparition de mon oncle n’était qu’une mise en scène dans le but de faire vendre son nouveau livre, je ne pouvais me résoudre à le croire. Et même s’il ne lui était pas réellement arrivé ce qui était couché sur le papier, quelque chose s’était passé ici ; une chose qui restait ancrée dans l’atmosphère de la maison, comme crucifiée aux murs par une souffrance invisible et indicible.

C’était cependant dans le bureau — l’endroit où mon oncle avait écrit avoir passé ses derniers instants — que l’impression était la plus forte. La pièce avait beau être déserte, quelque chose de malsain s’y était arrêté. Et peut-être s’y trouvait-elle encore…

Las des conjectures stériles que j’échafaudais depuis mon départ précipité de la veille, je les repoussais d’un geste mental avant de m’asseoir dans le fauteuil trônant devant le grand bureau en bois.

Sur le plateau au vernis éraflé gisait un tas de feuilles volantes que je rassemblai avant de tomber sur trois carnets peu épais recouverts de cuir brun. Je saisis celui sur le dessus et lus en diagonale ce qui s’y trouvait.

Il s’agissait apparemment d’une sorte de compte-rendu de fouilles entreprises par mon oncle et son petit groupe d’amis — et confrères — dans le désert de Kars’t.

J’allais refermer le carnet lorsqu’un dessin au fusain accrocha mon regard.

Je m’attardai un instant sur l’esquisse avant de laisser mes yeux glisser sur les pattes de mouche tracées Charles.

Désert de Kars’t, jeudi 7 août 19…

Mes amis et moi-même venons de remonter une sorte de boîte de la chambre funéraire. Cette dernière revêt sous le soleil différentes teintes allant du vert iridescent au violet le plus sombre [...]

Après une étude plus rigoureuse, il apparaît que la « boîte », taillée dans une matière inconnue, semble s’éveiller sous la Lune. Totalement noire lorsque vient l’obscurité, frappée par les rayons argentés, sa surface semble encore se modifier ; apparaissent alors d’étranges symboles qui changent à chaque fois qu’elle est exposée. […]

Afin de nous rendre compte des changements, nous avons tenté l’expérience plusieurs fois en la cachant sous une couverture ; ainsi privée de lumière, elle se pare d’un noir profond étrangement miroitant. De nouveau découverte, les étranges pictogrammes qui la recouvrent se modifient : ils « glissent » sur la surface afin de former un nouveau « texte » scindé en « paragraphes » plus ou moins longs.

*

Désert de Kars’t, dimanche 10 août 19…

Ce dimanche signe la fin de notre expédition. Vu nos moyens, nous n’avons malheureusement pas la possibilité de demeurer plus longtemps sur place.

[…] D’un commun accord, nous avons décidé que nous garderions la boîte chacun notre tour afin de pouvoir percer son secret. […]

*

Leth, mardi 12 août 19…

[…] Après un dernier signe de la main et la promesse de nous retrouver la semaine suivante autour d’un verre, chacun a réintégré son logis.

Edward a tenu à se charger de la boîte en premier, certain qu’il est de pouvoir déchiffrer avant nous les étranges symboles qui ornent sa surface […]

*

Leth, mardi 19 août 19...

Comme nous nous l’étions promis, Phillip et moi-même nous sommes retrouvés ce matin au « Destrier sauvage ». Nous avons attendu Edward, mais il n’est jamais arrivé.

Pensant qu’il voulait garder le trésor un peu plus longtemps pour lui seul, nous avons fait le chemin qui nous sépare de chez lui.

Cependant, à notre arrivée, il n’y avait personne sur les lieux.

Sachant qu’Edward laissait toujours la porte de derrière ouverte, nous sommes entrés pour récupérer la boîte.

Elle était sagement posée sur son bureau, semblant attendre que quelqu’un d’autre en prenne possession.

*

Leth, vendredi 22 août 19…

J’ai essayé de joindre Edward ces deux derniers jours, mais personne n’a répondu. Je mentirais si je prétendais ne pas être légèrement inquiet ; normalement, la seule chose qui fait bouger mon ami de chez lui sont nos fouilles annuelles [...]

Je viens de recevoir des nouvelles de Phillip, lui aussi a bien sûr tenté d’entrer en contact avec Edward. Toutefois, ses tentatives sont restées vaines.

*

Leth, mardi 26 août 19…

Voilà deux heures que je suis attablé au « Destrier sauvage », et ni Phillip ni bien sûr Edward n’a montré le bout de son nez.

[…]

J’ai soudain peur que quelque chose de grave soit arrivé : sur le bureau de Phillip, j’ai retrouvé une feuille de papier sur laquelle il semble qu’il ait tenté d’écrire quelque chose sans toutefois pouvoir y parvenir — la cause en étant sûrement son encrier renversé.

La seule lettre à peine marquée ressemble à un « A », mais sa forme est si approximative qu’il m’est impossible de me prononcer.

*

Leth, jeudi 28 août 19…

Voilà deux jours que j’essaie sans succès de joindre mes amis. Pire encore, personne ne semble les avoir aperçus en ville. Même Mylie, la jeune sœur de Phillip, est sans nouvelles de lui depuis notre retour du désert […]

*

Leth, vendredi 29 août 19…

Malgré les somnifères ingérés avant d’aller me coucher, je me suis éveillé en pleine nuit. Et, sur le mur juste en face de mon lit, il m’a semblé voir quelque chose se déplacer avec aisance.

Une aura étrange, qui n’existait pas lorsque je me suis allongé, flottait dans la pièce.

[…]

Soudain effrayé, je me suis levé avant de rejoindre mon bureau où j’ai cru voir la boîte se refermer doucement. Je sais que les cachets peuvent me donner des hallucinations, c’est déjà arrivé par le passé. Seulement, je serais prêt à jurer que, cette fois, il n’en était rien.

Je crois que je suis en train de devenir fou ! Cet après-midi, j’ai enfermé la boîte à double tour dans un placard à la cave ; est-ce là le comportement d’un homme doué de toute sa raison ? Ou celui d’un homme dont cette dernière s’égare ? Je n’ose même y songer, cependant, je suis terrifié à l’idée que mes visions soient seulement le pâle reflet de la réalité et de ce qu’elle me réserve…

*

Leth, lundi 1er septembre 19…

Je me suis encore éveillé en pleine nuit et je les ai vues. Je les ai observées entre mes paupières mi-closes, ces choses fuligineuses dans le ventre desquelles brille faiblement une orbe violacée.

Elles viennent pour me prendre, comme elles ont pris Edward et Phillip. Je le sens au plus profond de mes entrailles. Mes amis sont morts, et c’est mon tour à présent !

[…]

Je vais attendre le jour et j’irai rapporter cette maudite boîte où nous l’avons trouvée. Je pense que c’est la seule solution qui m’est désormais offerte. Que Dieu, s’il existe, prie pour mon âme !

[…]

Nous avons dérangé quelque chose qui dormait depuis des siècles dans ce tombeau. Dès que je m’endors, des noms qui me sont inconnus flottent dans mes rêves : Shazt’Shaggua, K’thugg’Naath, Blaät-Tagokh ; la trinité Chtonienne. J’ai assisté à la naissance des trois Dieux, à leur accession au pouvoir et à leur déchéance. J’ai également été témoin du massacre lorsqu’ils ont été tués et scellés dans la boîte qui n’est autre que leur tombeau !

Il est à présent près de huit heures, et je viens d’essayer de retourner dans ma chambre afin de prendre un peu de repos avant le long voyage qui m’attend. Cependant, mon corps semble engourdi, le moindre mouvement est devenu presque impossible. Seules mes mains et ma tête fonctionnent encore de façon normale.

Cette entrée était la dernière de l’ultime carnet. Mon oncle et ses amis avaient-ils réellement trouvé cette boîte ? Et cette histoire, était-elle réelle ?

Il me fallait en avoir le cœur net.

Prenant mon courage à deux mains, je saisis la lampe à huile que je venais d’allumer, — la nuit venant à grands pas — puis descendis à la cave.

L’impression que j’avais eue en arrivant dans le bureau était ici plus présente que n’importe où ailleurs.

Je cherchai du regard le placard dont mon oncle avait parlé dans son carnet puis m’y dirigeai.

Les mains tremblantes, le cœur cognant dans ma poitrine à la façon d’un tambour possédé, j’introduisis la clef laissée en évidence sur une table à côté du meuble et ouvris le placé.

À l’intérieur, je ne trouvai que le vide où seule subsistait une petite flaque de matière noire étrangement miroitante.

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