Hikikomori — Chapitre 8
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Hiki est debout au milieu de sa chambre. Il fait des étirements et repense à hier.
Comment a-t-il pu finir ainsi ? Il n'arrive pas à sortir cette question de sa tête. Mais il n'arrive pas à recomposer le puzzle de ses souvenirs. Mais un même mot revient. Elle. Ce mot l'avait fait tomber de la fenêtre, mais il ignore à quoi elle correspond.
Il pense que c'est la raison de sa vie de Hikikomori, mais il a beau faire les froncils ça ne revient pas. Puis une profonde sensation de dégoût le saisit aux tripes et une courte nausée lui fait perdre l'équilibre. Elle, qui que ce fut, n'a pas dû lui plaire.
Mais ce n'est pas pour ça qu'il s'étire. Il s'échauffe pour son expédition. Car il sait qu'il va de nouveau quitter sa chambre aujourd'hui et il en a déjà la bave aux lèvres.
Son lui du passé l'a prévenu. « La mission steak et la mission douche approchent ! » Et il pense que c'est aujourd'hui, non, il en est sûr. Ses parents ne sont pas là — le cas contraire aurait été compliqué à gérer — les conditions sont idéales. Une notification apparaît sur son ordi.
« J'espère que la mission douche t'a plu !
— Non, elle ne m'a pas plu connard...
— Aujourd'hui tu vas manger quelque chose de plus consistant que ces pâtes cartonnées. Va cuire un steak (et mange-le).
— (Et mange-le) ? Bien sûr que je vais le manger qu'est-ce que tu crois ! »
Il est habillé, étiré, chignon attaché — il ressemble à une fille mais il est prêt. Il a retracé dans son esprit le chemin jusqu'à la cuisine comme s'il voyageait à travers tout un pays, alors qu'il n'a qu'une dizaine de marches à descendre. Son cœur bat, mais pour une fois il sait que c'est d'excitation et non de stress.
Avant de sortir de sa chambre, il jette un coup d'œil au mur de déchets bleu qu'il a construit au jour quatre. Et aux bouteilles disposées en quille dont le nombre n'a fait qu'augmenter. Il devra jeter tout ça (un jour).
Il sort de sa chambre puis descend les escaliers. Il s'arrête un instant et repense à maman. Il a l'impression qu'elle est encore dans son dos à l'embrasser de toutes ses forces. Ses yeux se mettent à briller et il récupère le large sourire d'hier. Puis il se tourne vers la gauche, il voit la cuisine.
Son premier réflexe. Il ouvre le frigo. Il cherche les steaks. C'est dans ce genre de moment qu'il n'y en a pas. Mais ils sont bien là — beaucoup trop même. L'avant du frigo est barricadé par un mur de viandes. Impossible d'en voir l'intérieur. À croire que papa s'attend à une apocalypse...
Quelque chose attire son regard. Hiki se retourne. Les plaques ont changé, ce sont des plaques à induction. Il déglutit. Il ne sait pas comment elles fonctionnent mais il va devoir apprendre — son steak en dépend.
Il retire un des nombreux steaks de la barricade viandée, ouvre tous les placards pour trouver les maudits sel et poivre et prend un sac de frites dans le congélateur. Il est déjà éreinté. Les pâtes cartonnées ont beau être dégueulasses, elles ont l'avantage de ne prendre aucun effort pour être préparées.
Hiki ouvre à nouveau tous les placards en quête d'une poêle, il attrape la planche à découper derrière l'évier et il actionne le premier bouton qu'il voit sur les plaques chauffantes. Il y a marqué « on/off, » il ne peut pas se tromper. Il assaisonne son steak et huile sa poêle. Puis après quelques minutes la plaque devient rouge, la poêle chaude et son estomac gargouille. Il pose son steak sur la poêle et celui-ci se met à crépiter. La bave réapparaît sur ses lèvres.
« Okay, jusqu'ici c'est tout bon... »
Il refait le tour de tous les placards pour trouver une assiette et des couverts. Puis il se retourne.
Le steak est noir.
« Oy, oy, oy... J'ai tourné le dos 30 secondes... »
Ce n'est pas exact. Il y a beaucoup de placards dans cette (maudite) cuisine, il serait temps d'installer des vitres transparentes pour faciliter la recherche. Il jette le steak à la poubelle et en cuit... vingt autres. C'est le nombre de steaks qu'il a cramé avant de comprendre comment régler la plaque à induction.
Hiki est rincé, il est là depuis plus d'une heure et il a oublié de cuire les frites. « Je comprends pourquoi papa mange dehors... » Il a dû hériter des talents de son père pour la cuisine... mais même les steaks lui résistent.
Après dix longues minutes, il dépose des frites couleurs charbon à côté de son steak. Il s'assoit à table. Mais avant qu'il puisse prendre une délicieuse bouchée, quelqu'un frappe à la porte. Hiki se fige. Il n'entend pas de bruits de clés, ce n'est ni maman ni papa. Alors qui ? Ça l'effraie encore plus. Est-ce que c'est el...
« C'est le facteur ! J'ai un colis pour... eh... c'est quoi ça ? Le Boss de la Maison ? »
Ça doit être pour papa. Mais ce n'est pas son problème. Le facteur repassera demain et avec un peu de chance maman sera là pour le réceptionner. La mission du jour était bien assez compliquée comme ça et il n'a toujours rien mangé de la vingt-et-unième génération du steak qu'il a cuit.
« Il n'y a personne ? » Le facteur se met à tousser. « Ça pue le cramé, ici !!
— Oh merde...
— Tout va bien à l'intérieur ?!
— Oh merde, putain... »
Maintenant qu'il est inquiet, le facteur ne va pas partir. Ses coups sur la porte en témoignent. Hiki tient sa tête des deux mains et fait les gros yeux à son steak. Il veut trucider ce facteur. Puis il se lève et renifle. Il a passé une heure dedans, il ne sent plus l'odeur mais c'est vrai que ça doit sentir mauvais. Peut-être comme le début d'un feu. Et s'il n'y a personne dans la maison, le facteur a raison de s'affoler.
« Le monde est sans pitié putain... Laissez-moi y aller à mon rythme... » Mais le facteur est presque sur le point de casser la porte pour vérifier l'état des lieux lui-même. Il doit faire quelque chose.
« Putain... les facteurs sont motivés de nos jours... » Il se demande si le facteur n'est pas un ancien pompier. N'importe qui d'autre aurait passé sa route.
Il sait qu'il faut plus de personnes comme ça — des personnes qui n'ont pas peur de se sacrifier pour les autres — mais si elles pouvaient ne pas croiser son chemin quand il veut manger ça l'arrangerait. Même si c'est grâce à ça qu'il... qu'il... Qu'il quoi ? Il se lève de sa chaise, nauséeux, et déambule jusqu'à la porte. Sa tête tourne. Trop de fumée dans l'air. Il n'a allumé ni la hotte ni ouvert la fenêtre.
« Quelle erreur putain... » Il pose sa main sur la porte, le facteur l'entend et le voit à travers la vitre floutée.
« Monsieur vous allez bien ?!
— Je...
— Monsieur dois-je appeler les pompiers ?!
— J'ai dit...
— Monsieur ouvrez la porte ! Une telle odeur n'est pas normale !! »
Des larmes commencent à monter. Ils n'arrivent pas à prononcer deux mots et l'autre con ne lui facilite pas la tâche. Mais il se dit que c'est juste ses yeux qui commencent à piquer à cause de la fumée. Une bonne excuse pour sauver la face.
Sérieux. Comment n'a-t-il pas vu toute cette fumée ? Mais il le sait, une fois dedans on cesse d'y prêter attention.
« Mons... »
Hiki frappe la porte. Le facteur se tait. Hiki prend une grande respiration (d'air pollué).
« Je... JE... Je vais bien ! Je faisais la cuisine, c'est tout... »
Le facteur soulève sa casquette et s'essuie le front.
« Dieu merci ! J'ai cru qu'il vous arrivait malheur. Quoi que c'est malheureux d'en arriver là en cuisinant... Vous savez mes parents sont pompiers et j'ai beaucoup été éduqué à ce sujet. Une cuisine peut vite prendre feu si on ne fait pas attention. »
— Mais il la ferme jamais lui... » dit-il à voix basse.
— Mais je parle trop désolé, on me le dit tout le temps. "Ton job est juste de déposer les colis, pas de taper la discute avec les gens, remets-toi au boulot !" J'imite bien mon patron, hein ! Mais ne restez pas derrière la porte, de l'air frais vous fera le plus grand bien et comment allez-vous récupérer votre colis sinon ! »
Hiki sursaute. Adresser la parole à cet inconnu était un effort dépassant de loin ses limites de Hikikomori. Il est fatigué, il a faim mais tout de suite il veut juste aller se blottir dans sa couverture. Et ce taré veut qu'il ouvre la porte ?
« Lai... Laissez-le devant... la... porte...
— Que je le laisse devant la porte ? »
Le facteur cherche s'il y a quelque chose à signer dans sa profonde sacoche en bandoulière. Hiki se demande la même chose et joint les mains en signe de prière et serre les dents. Il a encore de nombreuses missions à faire avant d'ouvrir la porte d'entrée — il n'est pas prêt du tout. Hiki se met à tousser. Une fois le facteur parti il va courir allumer la hotte.
« Monsieur vous avez de la chance ! Je ne sais pas pourquoi vous ne voulez pas ouvrir la porte mais je n'ai rien à vous faire signer. J'ai le droit de déposer le colis à l'entrée si c'est ce que vous voulez.
— Je... je le veux.
— On dirait un mariage c'est magnifique. Vous savez ma sœur s'est mariée l'autre jour et...
— Merci... au... revoir...
— Je parle trop désolé ! Oh merde ! Il est déjà cette heure-ci, je suis toujours pas parti en pause, j'y vais ! Bonne journée monsieur !
Hiki court allumer la hotte. Il est essoufflé, ses yeux le piquent et... Oui, c'est bien ça.
Son repas est froid.
« Putain... »
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