Les Belles Personnes - Daludée
Lorsque le cerveau de Dick s’était plus ou moins reconnecté à ses sens, il avait eu conscience d’être bringuebalé le long d’un couloir aux relents de désinfectant en un curieux mouvement déséquilibré. Son bras droit était tiré au-dessus de son épaule, et passé autour d'un cou étonnamment fin au regard dut fait qu'il soutenait le poids du détective sans aucune difficulté. Tandis que sa main gauche pendait le long de son flanc, et allait, au gré des soubresauts que leur mode de progression occasionnait, frapper une masse molle, humide, et grommelante, apparemment connectée au soutien qui maintenait son dos avec la délicatesse d’une pince de force. Le couloir s’achevait sur une porte, maintenue ouverte par des calles, sur laquelle une petite plaque indiquait sobrement « Morgue – salle de confirmation ».
Sans ménagement, l’elfe et le nain qui le soutenaient – quelque part, quelque chose en Dick émit un « ah ! » triomphant et à l’accent définitivement américain, en comprenant pourquoi le chemin avait été aussi houleux – l’avaient installé sur une des longues tables de métal qui peuplaient le lieu. Ou plus précisément, le nain l’avait fait basculer, et l’elfe s’était assuré qu’il tombait dans la direction générale de la table. Le reste de la chronologie était plus ou moins floue. Le nain avait déposé son feutre à côté de lui. Puis lui et l’elfe était revenu et le jour s’était levé. Ou la lune. Ou l’orage. Ou ils étaient partis. Entre-temps, quelqu’un avait déposé une petite étiquette rouge sur sa main, porteuse de la mention « Diagnostique infirmé – ne pas ouvrir », et une lumière beaucoup trop violente pour provenir de la lune passait par la petite fenêtre grillagée suspendue si haut sur le mur que Dick eût l’impression qu’elle avait été envoyée en punition, et n’était pas autorisée à redescendre tant qu’elle n’avait pas décidé de présenter des excuses en bonne et due forme.
Un peu plus tard, après que Dick ait finalement réussi à trouver la position assise, et la fiole de mauvais whiskey cachée dans la poche intérieure de son trench, les deux policiers étaient finalement revenus. Daludée – un acronyme pour Danse sous la Lune de l’Eté, Dick le découvrirait plus tard, en triant ses affaires - et Ironhelm. A l’époque, Ironhelm n’était qu’un personnage secondaire dans une saga nordico-fantaisiste et ne parlait pas. Cétait donc Daludée qui avait fait à Dick les honneurs de Oncupponatime.
Il lui avait présentées les rues, les allées, les couloirs aériens. Il lui avait parlé des anciens arrivants, des nouveaux, du manque de structures pour les accueillir. Des vagues de changement qui se propageaient toujours du centre vers l’extérieur de la ville, sauf quand ce n’était pas le cas. Il l’avait averti pour les nuits d’orage, les quartiers en boucles temporelles, et les quinze pleines lunes par mois. Il l’avait même aidé à dégotter son appartement dans un petit immeuble tirée d’une fiction des années trente, dont les briques apparentes et le plafond craquelé suscitaient en Dick un profond sentiment d’appartenance. Et plus important que tout, l’avait accompagné au Centre d’Information et d’Enregistrement pour l’aider à négocier sa mise à l’épreuve.
« Tu comprends, avait-il expliqué de sa voix aux accents potentiellement dévastateur dans une réunion des addicts anonymes, tandis qu’ils attendaient leur tour, assis sur des sièges de bois apparemment designés pour des rampants, Oncupponatime est une société. Elle aime l’ordre. Mais il n’y a pas que les héros qui arrivent ici. Les anti-héros comme toi aussi. Et les criminels. Et si chacun s’en tenait à ce pourquoi il a été créé et qu’on pouvait aller frapper chez les voleurs le lundi matin pour récupérer l’argent qu’ils ont volé le dimanche, les choses serait très simples.
Sauf qu’en fonction des époques, il y a parfois plus de criminels, ou l’ordre devient criminel, ou les personnes qui arrivent respectent bien l’ordre, juste pas le même que le nôtre. Pas forcément un code pire, ou problématique, mais juste différent. Et en plus de ça, les gens changent. Tu verras. En fonction des histoires. Tu peux très bien t’endormir criminel endurci un soir et te réveiller victime incomprise le lendemain. Ou avoir une description suffisamment vague pour t’affranchir de ce que ton créateur avait prévu à la base. Regarde Ironhelm. De ce que j’ai compris de ses explications, son auteur l’a mis du mauvais côté de l’histoire, si tant est qu’il y ait eu un bon côté, cela dit, l’ambiguïté morale avait le vent en poupe, à l’époque. Un méchant secondaire parmi d’autres. Mais il a réussi à dépasser cet archétype, et d’ici quelques années, il fera un excellent inspecteur. J’espère jusque que d’ici-là, on aura réussi à lui greffer une voix, parce que crois-moi, les nains sont singulièrement ineptes quand il s’agit de s’exprimer en langue des signes.
Tout cela pour dire que Oncuponatime aime l’ordre, oui, mais elle aime aussi les secondes chances. Alors quand un personnage arrive avec un archétype, disons, contestable, il reçoit un temps de mise à l’épreuve. Histoire de voir s’il n’a pas envie de se réorienter. Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, il y a un aspirant maître du monde de ma connaissance qui a trouvé sa voix : il a ouvert une boutique de coiffure. Apparemment, il préfère laver les cheveux plutôt que les cerveaux. Et ca convient très bien à tout le monde. Ici, la chance sourit à ceux qui savent s’adapter.
« And si le criminel ne se réforme pas at the end of la mise à l’épreuve ? », se souvenait d’avoir demandé Dick.
« Dans ces cas là, soit il opère dans un champ qui n’est pas saturé, et on lui donne une licence. Il y en a des tas. Génies maléfiques, créatures démoniaques, perceurs ou euses de coffre-fort, vengeur ou euses sanguinaire. Soit on le met sur liste d’attente. Soit il finit avec les irrécupérables. »
« Candidat HH42GG, guichet 3. Candidat HH42GG, guichet 3 », avait alors annoncé une voix fatiguée, coupant court à la question de Dick.
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