La flèche bleue
Journal d’expédition de Yann Le Louarn
12 janvier 2018 – 10ème jour à bord de l’Astrolabe
J’ai toujours été un homme des bois, je n’ai pas le pied marin. Voilà plusieurs jours que je suis malade, coincé dans ma cabine. La mer est agitée et mon estomac a du mal à le supporter.
C’est dans ces moments que l’on repense à ce qui nous a mené ici. À des milliers de kilomètres de toute terre habitée.
Il suffit d’un rien pour que votre vie prenne un tournant décisif.
Un détail, un évènement, une rencontre…
Enfant je parcourais les bois autour de chez moi en quête de mystères. Nourri de contes, de légendes, de romans fantastiques et de bande-dessinées, dans la forêt je traquais korrigans et lutins, elfes et gobelins.
Ce matin-là, j’étais parti aux aurores. Une petite brume couvrait les champs alentours et l’air était vif en ce début de printemps. J’attrapai mon sac à dos et la fidèle épée en bois que mon grand-père m’avait fabriqué, persuadé qu’elle me serait utile si je devais croiser un dragon. Avant même que mes parents ne se lèvent, j’avais remonté le chemin d’exploitation en face de la maison et franchi la barrière qui séparait, selon moi, le monde des humains et celui des bois.
J’empruntai une sente à peine visible, la piste régulière d’un animal, m’enfonçant ainsi dans le sous-bois. L’atmosphère matinale avait ce goût de mystère. Des bruissements dans les feuilles, des sons précipités. Les bois regorgeaient d’une vie invisible à mes yeux. J’avais pourtant l’impression de me sentir observé, de voir des silhouettes fugitives à l’angle de ma vision… Mais jamais je ne voyais clairement les habitants forestiers, si ce n’est, de temps à autre, un écureuil ou un oiseau se défiler.
Je suivi la piste entre les roches moussues et les troncs couchés, puis entrepris de descendre le bois en pente menant auprès de la rivière. Petit à petit le son de l’eau ricochant entre les pierres se fit de plus en plus présent, jusqu’à couvrir celui de mes propres pas. Je finis par rejoindre le sentier longeant la berge. Avant de le traverser, je fis bien attention qu’aucun randonneur ou pêcheur ne soit sur ce dernier. Je ne voulais pas être vu. Cela faisait partie du jeu. Lorsque j’étais dans les bois, je me plaisais à croire que je faisais partie, au moins un temps, de cet univers forestier. La rencontre avec quelqu’un de mon espèce m’aurait ramené dans cette réalité… Et je ne voulais pas gâcher ce moment.
Arrivé au bord de l’eau, je posais mon sac au pied d’une souche sur laquelle je m’installai pour grignoter quelques biscuits. Je me laissais imprégner par les lieux, le brouhaha de l’eau, l’odeur de la mousse, … Et c’est là que je le vis. Ce fut bref. Un éclair azuré, une flèche bleue filant au-dessus de la rivière.
Je n’avais pas eu le temps de voir ce que c’était mais j’étais persuadé d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais : un membre du peuple fée. De retour chez moi, je feuilletais avidement mes livres sur le sujet pour trouver ce que cela pouvait être. Rien. Pas une référence à un être bleu.
Ce n’est que quelques jours plus tard que je compris. Mon père avait laissé sur mon bureau un livre flambant neuf intitulé « les oiseaux d’Europe » avec un marque page. Quand je l’ouvris, je découvris mon lutin azuré, un oiseau magnifique au plumage bleu : le martin pêcheur.
Loin de réfréner mes ardeurs, je lus attentivement le paragraphe concernant l’oiseau dans l’espoir de découvrir ses mœurs souhaitant ainsi pouvoir un jour le revoir. Ce que je fis. De nombreuses fois. Et ce que j’entreprends encore de faire pour lui et le reste des oiseaux de ce livre qui m’accompagne toujours… Et qui a remplacé, depuis quelques années maintenant, ma fidèle épée en bois…
Il est là, à mes côtés. Il ne me sera que peu utile dans l’hémisphère sud mais c’est un symbole. Le point de départ d’une passion. Passion devenue un métier, une raison d’être.
Je crois qu’il est temps pour moi d’essayer de rejoindre le reste de l’équipe, bientôt je regretterai le confort relatif du bateau…
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