Il attendait dans une splendide antichambre décorée dans des tons rouges et noirs. Tout dans cette pièce indiquait, ou plutôt clamait, l’opulence du propriétaire des lieux. Les meubles étaient faits d’ébène sculpté, des coussins de velours carmin repiqué d’or avaient été déposés sur toutes les banquettes, des tentures sombres couvraient les murs, et les dorures des objets décoratifs renvoyaient l’éclat des flammes dansant dans un âtre ouvragé. Il se tenait debout, à peu près au centre de la pièce, ne désirant pas spécialement s’assoir, partant du principe que son hôte ne tarderait pas trop à se montrer. Tout en regardant distraitement le décor qui l’environnait, il se laissait aller à des réflexions sur l’homme qui avait demandé sa présence en ces lieux. Enfin, on aurait presque pu dire qu’il l’avait sommé de se rendre ici. Mais les affaires étant ce qu’elles sont, le jeune homme avait répondu à cette convocation.

Ce noble se met vraiment bien. Quelle ambiance ! Et quelle idée de faire un feu par ce temps. Je me demande s’il fait patienter tous ses invités dans cette salle. Quoique, je ne suis pas sûr que ma présence soit requise avec agrément ici. Enfin, le déplaisir est réciproque.

La porte s’ouvrit et le noble fit son entrée. Il s’avança d’un pas pressé vers le jeune homme, s’arrêta à quelque distance de lui, et demanda sans plus de cérémonie :

« Alors ?

- Quoi, alors ? éluda son interlocuteur.

- Où en êtes-vous avec la fille ? »

Il a l’air de sacrément mauvaise humeur, observa l’invité, et sa brusquerie attise mon envie de jouer avec lui.

« Cette jeune demoiselle, commença posément le voyageur, se prénomme Ishtar, et je dois reconnaître qu’elle est fort jolie.

- Cela, je le sais, mais qu’avez-vous appris de concret ?

- Doucement, s’amusa le jeune homme, laissez-moi installer mon prélude. C’est toujours ainsi que je procède, une approche en douceur, puis entrer dans le vif du sujet.

- Et justement, insista le noble, où en êtes-vous avec elle ? »

L’étranger soupira pour se donner l’air vaguement agacé.

« Au début. » lâcha-t-il.

L’autre homme ne dissimula pas son insatisfaction.

« Cela fait déjà une semaine que vous y êtes, il serait temps de progresser.

- J’aimerai vous y voir, à essayer de créer des occasions avec quelqu’un qui ne sort jamais.

- Et votre réputation ?

- Je réitère, vous n’avez pas l’habitude des femmes. »

Un court silence suivit ces répliques échangées à un rythme soutenu. Le jeune homme ajouta plus bas pour lui-même :

« D’ailleurs je suis sûr que j’arriverai à séduire votre femme avant vous.

- Que dites-vous ? demanda le noble.

- Ne vous faites pas de soucis, ce n’est qu’une question de temps. De toute façon je ne compte pas m’attarder dans cette ville. »

Ouf, pensa-t-il, il n’a pas entendu.

« Et à présent, si vous voulez bien m’excuser, je vais quitter votre demeure.

- Quelle obligation vous appelle, si je puis me permettre ?

- Un rendez-vous avec Ishtar, justement. »

Il s’inclina légèrement et s’en alla. Alors qu’ils se séparaient, les deux hommes pensèrent exactement la même chose :

Mais pour qui se prend-t-il ?