Invité
« Je ne sais comment vous remercier. dit le père. Je vous dois beaucoup, vous avez sauvé ma fille.
- Je ne vous dirais pas que c’était naturel de le faire, sourit le jeune homme, mais je ne pouvais pas la laisser ainsi. »
Tous deux discutaient depuis un moment déjà dans le salon. Le père avait demandé plusieurs fois à celui qui avait sauvé sa fille dans quelles circonstances cela s’était passé, le faisant revenir sur chaque détail, cherchant à comprendre pourquoi et comment. Le voyageur avait donc repris de nombreuses fois son récit, ne dissimulant pour une fois aucun détail. Cela aurait d’ailleurs pu se révéler risqué, car la façon dont le chef des sbires s’était adressé à lui paraissait fort suspecte. C’était surtout le ‘‘À ton avis ?’’ qui avait attiré l’attention du père d’Ishtar. Quand il avait demandé au jeune homme ce que cela pouvait bien signifier, son invité s’en était sorti comme il avait pu. Il s’était justifié en arguant que rares étaient ceux ignorant le litige opposant son interlocuteur à la corporation, ce pourquoi son adversaire était parti du principe que même un étranger se douterait que le noble était le commanditaire.
« Comment puis-je vous témoigner ma gratitude ? reprit le père.
- La savoir en sécurité avec vous me suffit. » répondit le voyageur.
Exceptionnellement, il n’avait pas vraiment menti. En fait, il se sentait un peu gêné.
Serait-ce ce que l’on ressent lorsqu’on a une conscience ? se demanda-t-il avec humour.
« À ce propos, ajouta-t-il, comment se sent-elle ?
- Elle est encore un peu en état de choc, mais va mieux qu’hier tout de même. Pour l’instant, elle se repose dans sa chambre.
- Pouvez-vous lui transmettre mes salutations ?
- Ne comptez-vous pas rester plus longtemps ?
- Pas vraiment…
- Cette ville est devenue dangereuse pour vous ? questionna le père.
- C’est en effet l’une des raisons de mon départ. avoua le voyageur. Mais il y a aussi l’habitude. Je ne sais pas si je serais resté plus longtemps, même sans cet… événement.
- Je vois. »
Fidèle à sa façon d’être, le père n’avait pas montré ses sentiments.
« Sur ce, conclut le jeune homme, je pense que je vais cesser d’abuser de votre hospitalité.
- Je vais appeler un domestique pour vous raccompagner. »
L’homme se leva, se rendit à un meuble où était posée une clochette et l’agita. Quelques instants plus tard, un serviteur entra. L’invité prit congé de son hôte et suivit l’employé de maison jusqu’à l’entrée de la demeure. Alors qu’il s’apprêtait à sortir, il entendit des pas précipités.
« Sem ! »
Il se retourna. La jeune fille le rejoignit, légèrement essoufflée. Elle était encore un peu pâle, mais paraissait en meilleure santé que la veille. Elle portait une longue robe blanche et avait couvert ses épaules d’un châle bleu roi. Quelques mèches s’échappaient de sa tresse brune vraisemblablement nouée à la hâte.
« Ishtar, je croyais que tu te reposais.
- Ma suivante m’a avertie que tu t’en allais. Comptais-tu vraiment me quitter sans me dire au revoir ? lui reprocha-t-elle.
- Je ne voulais pas te déranger, tu avais tant besoin de récupérer après hier.
- Et tu pensais que partir sans un mot allait m’aider à me rétablir ?
- Ne m’en tiens pas rigueur, s’il te plaît, je croyais bien faire. »
Un temps passa.
« Tu vas me manquer… reprit-elle tristement. Promets-moi de ne pas m’oublier.
- Je te le promets. »
Elle avait l’air si sérieuse qu’il n’avait pas eu le cœur d’éluder. Cependant, il n’aurait pu dire si ses propres mots étaient sincères.
« J’imagine que d’autres affaires t’attendent, soupira-t-elle, alors je ne vais pas te retenir plus longtemps. J’espère que nous nous reverrons, mais même si ce n’est pas le cas, je te souhaite de poursuivre tes voyages sans souci.
- Porte-toi bien. répondit-il simplement.
- Ne prends pas trop de risques. » sourit-elle.
Le serviteur ouvrit la porte, et le voyageur quitta la maison. Une fois dans la rue, il réfléchit à sa prochaine destination et pensa :
Il est temps de commencer une nouvelle aventure !
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