Le lendemain, il fut réveillé par la lumière. Quelqu’un venait d’ouvrir les rideaux de sa chambre. Il se frotta les yeux et s’assit dans son lit, puis identifia celle qui lui rendait cette visite matinale.

« Astrée ? Que fais-tu ici ?

- Tu as dormi tard, sourit-elle, il est déjà neuf heures.

- Il est encore tôt, se plaignit-il, ce n’est pas parce que tu te lèves à des heures indues que les autres doivent faire de même. Sais-tu depuis combien de temps je n’ai pas dormi dans un lit ?

- Aucune idée. Mais peu m’importe.

- C’est ça, ta vengeance parce que j’ai refusé ?

- Peut-être.

- C’est petit. »

Elle ne dissimula pas son amusement et reprit :

« Je me suis dit que tu aurais peut-être changé d’avis, après tout la nuit porte conseil.

- Mauvais calcul. Et ce n’est pas en m’agaçant que tu obtiendras gain de cause. »

Elle haussa les épaules. Il soupira.

Elle vint s’assoir au bord du lit. Il remarqua que pour une fois, elle s’était tressé les cheveux. Elle portait une robe assortie aux joyaux de sa bague, qui était d’ailleurs le seul joyau qu’elle avait choisi de mettre.

« Je n’abandonnerai pas, affirma-t-elle, et je suis sûre que je trouverai un moyen de te faire accepter.

- Mais bien sûr. s’amusa-t-il.

- Si je décidais de partir seule, poursuivit-elle, me laisserais-tu aller au-devant de multiples dangers sans aucun secours ?

- Premièrement, c’est du chantage, et ça ne fonctionne pas sur moi. Deuxièmement, je sais que tu serais capable de le faire, mais mon expérience me permet de te dire que tu n’irais pas bien loin. »

Elle réfléchit un instant avant de tenter à nouveau :

« Tu le ferais contre rémunération ?

- Non.

- Ou en échange d’une récompense quelconque ?

- Non plus. Je ne suis pas un enfant qu’on peut corrompre avec des cadeaux, Astrée. »

Il ne savait pas s’il devait sourire devant la situation, ou au contraire céder à l’exaspération. Elle attaqua de nouveau :

« Si tu revenais en Occident, tu aurais l’occasion de continuer ton voyage, et ainsi revoir les frères. Je suis sûre qu’ils seraient ravis de savoir ce que tu es devenu.

- Bien tenté, mais retourner sur les lieux de mon enfance ne fait pas partie de mes plans. Et puis franchement, tu me vois me présenter au monastère après tout ce que j’ai fait ? Imagine la réaction des moines, qui m’ont élevé dans la religion et la vertu, s’ils constataient que je vis à l’encontre de tous les principes moraux qu’ils m’ont enseignés !

- Ce serait amusant.

- Pas vraiment.

- Mais dis-moi, insinua-t-elle, aurais-tu peur de leur jugement ?

- Absolument pas. Je m’assume très bien, mais je ne veux pas m’attacher au passé. Et tu t’y prends très mal pour me faire changer d’avis.

- Compris, répondit-elle avec entrain, je vais réviser ma stratégie ! L’argument du dépaysement fonctionne-t-il ?

- Pas à propos de cette région du monde.

- Et si je te promets simplement ma gratitude éternelle ? plaisanta-t-elle.

- Ce n’est pas ainsi que tu me convaincras.

- Alors je vais juste essayer de te persuader. »

Elle fit alors quelque chose de totalement inattendu. Elle l’embrassa. Complètement pris au dépourvu, il ne parvint pas à réagir. Un torrent de sensations se déversa en lui. Il ne savait plus ce qu’il éprouvait, mais il était certain d’une chose : il se sentait terriblement bien. Quand Astrée s’écarta finalement de lui, il demeura un instant silencieux, comme sonné par ce qui venait de se passer. Puis il demanda :

« Je peux savoir pourquoi tu as fait ça ?

- Rien que sur le principe, je devrais refuser de te répondre. s’amusa-t-elle. Mais comme je suis gentille, je vais te le dire. Tu t’y prends de cette façon quand tu veux obtenir ce que tu veux d’une femme, alors je voulais essayer de voir si la réciproque fonctionnait. »

Il voulut répondre, mais ne trouva rien à dire. Il était encore stupéfait. Et en un sens, elle n’avait pas tout à fait tort. Il sentait qu’il allait regretter cet instant de douceur.

« Toi alors, tu me surprendras toujours. » dit-il.