Après leur mariage, Sélène et Adrien Leriche avaient réorganisé toute leur vie. Le syndicaliste professionnel, désormais à la retraite, se consacra uniquement à la vie de leur quartier. Il organisait des rencontres entre des retraités, des étudiants et les jeunes désœuvrés qui tenaient les murs du 18ème. C’était lui aussi qui veillait à la bonne organisation des fêtes de voisinage. Des réunions à l’issue desquelles, immanquablement, se tenaient des débats passionnés sur la vie locale. Pour ces activités, Adrien avait réussi à obtenir une salle de la mairie.

Avec enthousiasme, Sélène participait aux engagements d’Adrien. Mais sa nouvelle passion, elle l’exerçait auprès des enfants. Elle ne manquait jamais une sortie scolaire, toujours volontaire pour aider à encadrer les élèves. C’était quand même étrange de sa part, elle qui s’était toujours méfiée de la marmaille. Elle avait bien pensé s’inscrire pour passer le BAFA, mais elle s’était prudemment ravisée. Elle ne se voyait pas en stage parmi des jeunes d’une vingtaine d’années !

La vie du couple s’écoulait gentiment. Sélène et Adrien se sentaient bien entourés. Leur existence se déroulait agréablement, villa Léandre. Néanmoins, le temps filait trop vite. Adrien vieillissait sans s’en rendre compte. Le grand syndicaliste roux, au fil du temps, s’était tassé, ses rares cheveux devenus blancs s’allongeaient autour de son crâne et lui donnaient l’air d’un vieux sage. Pour parfaire le tableau, il avait décidé de laisser pousser sa barbe. Drôle d’idée… Il avait fini par ressembler à l’autoportrait de Léonard de Vinci. Sélène, qui n’avait rien à voir avec la Joconde, après la mort de Gaspard, avait vite retrouvé la santé et bien-sûr, sa beauté. Beauté qu’elle avait soigneusement entretenue. Peut-être grâce à son second mari... Quelque part Adrien était un artiste. Il fallait qu’il l’aime sa Sélène, pour la rendre aussi belle, passé quatre-vingts ans !

Mais il fallait bien aussi, quelque chose pour noircir ce tableau presque trop parfait. Non seulement la vie de notre couple, mais aussi la vie des Parisiens et pour faire large, la vie de tout le monde, commença à changer. Ça se passa au début du printemps deux-mille-vingt, ça commença même, à la fin de l’hiver… D’abord, on ne vit rien venir, le changement ne se fit pas trop brutalement. Juste quelques insectes butineurs un peu précoces, des jonquilles qui sortirent de terre un peu trop tôt, des migrateurs qui rentrèrent d’Afrique en avance… Une douceur inhabituelle s’installa sur le pays… Et puis la grande sécheresse commença. Et puis… la chaleur augmenta, inexorablement. Et puis…

Le niveau des cours d’eau diminua rapidement. À la fin de l’été, les rivières se trouvaient en partie asséchées et, en amont, par endroits on pouvait traverser la Seine à pied. La catastrophe climatique maintes fois annoncée se déroulait en direct, sous les yeux ébahis des Français. La centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine dut être stoppée, celle-ci ne pouvait plus être suffisamment refroidie, le débit du fleuve étant devenu trop faible. Les égouts parisiens, ne recevant plus assez d’eau, s’asséchèrent également. La vie des surfaces devint rapidement très compliquée.

Adrien avait posé un thermomètre, dans le petit jardinet, sur le pas de leur porte. Exposé au soleil, il afficha 55° à 13 heures, un premier mai ! Notre couple dut se résigner à se calfeutrer pour ne pas périr d’insolation. Pour économiser l’électricité qui commençait à manquer, le gouvernement interdit brutalement l’utilisation des climatisations individuelles. Non seulement dans les logements privés, mais aussi dans les lieux publics et les bureaux. Il n’y avait plus guère que dans les hôpitaux et dans les morgues, où on pouvait trouver un peu de fraîcheur. Les gens tombaient comme des mouches.

Sélène n’allumait son ordinateur qu’une heure par jour, ou plutôt par nuit. Ce dernier dégageant trop de chaleur, il était impératif de limiter son usage. Mais la retraitée avait une bonne raison de mettre en route son appareil. Elle guettait l’arrivée d’un nouveau mail sur sa messagerie personnelle. Le cinquième que sa sœur devait lui transmettre.

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