Dès leur arrivée au pied du puits, ils installèrent le matériel technique de façon à ce que le professeur, enfin… Billou, puisse travailler à son aise. Ce dernier orienta un objectif vers la sortie du puits. Par chance, l’issue était parfaitement visible. Puis il raccorda le dispositif optique à un écran cathodique et le tout à son ordinateur personnel. Celui-ci pesant plus de quinze kilos, on avait préféré le laisser sur le chariot. C’était un engin largement dépassé, récupéré auprès des scientifiques de la communauté ; comme il fonctionnait encore, personne n’avait jugé utile de le mettre au rebut.

L’écran de Billou s’alluma et un disque bleu s’afficha sur une moitié de l’écran, l’autre moitié étant occupée par des chiffres verts sur fond noir. Il s’agissait des paramètres de l’analyse spectrale. Le professeur effectua une mise au point précise des lentilles, dès que l’image fut parfaitement nette, les détails de l’azur apparurent à l’écran. Tranchant à peine avec le bleu très pur du ciel, on put distinguer un léger voile nuageux d’altitude, on vit passer un vol d’oiseaux, impossibles à identifier, peut-être des étourneaux…

Le physicien enregistra les données observées dans la mémoire de son vieux Mac, puis avec l’aide de ses amis, il remballa son matériel. Néanmoins, le travail n’était pas terminé. Il restait encore à effectuer les mêmes relevés à partir d’un des puits répertoriés précédemment. Ainsi, il pourrait tranquillement comparer les résultats au laboratoire. Le groupe se mit en route, atteignit rapidement le puits suivant qui n’était qu’à quelques centaines de mètres. En levant la tête, ils purent apercevoir un peu de ciel… Il était radicalement différent : jaunâtre, de lourds nuages sans pluie, couleur de plomb, roulaient sur leurs têtes, poussés par un vent probablement brûlant. Gaspard se dit, le nez en l’air : « Ça, c’est le ciel des surfaces ! »

Sur le chemin du retour, la petite troupe spéculait bruyamment sur la cause des différences entre les deux atmosphères extérieures. Pour Gaspard, il s’agissait de deux univers parallèles, pour Marcel, d’un autre espace-temps, pour Luna, d’une déformation gravitationnelle, pour sa sœur, c’était probablement dû à un petit tourbillon sableux, très localisé… Billou, en bon scientifique, restait sur sa réserve. Il préférait étudier ses données, au calme dans son labo.

Les quatre explorateurs progressaient dans les galeries, éblouissant de leurs faisceaux, des assemblées de chauve-souris en pleine méditation. Derrière ses ouailles, Marcel fermait la marche. Il considérait avec fierté ses filles et leurs compagnons, il était heureux de les voir cheminer avec insouciance dans la pénombre ! Il regardait avec bienveillance ses gendres, Billou le physicien, un garçon gentil et passionné, un peu lunaire, à ses côtés, blond comme les blés, Gaspard, le dépassant de plus d’une tête, reconnaissable de loin à sa tignasse hirsute, un jeune homme sur qui on pouvait compter... Luna et Sélène, semblables, toutes les deux en baskets, jeans et polo marin, marchant du même pas en se tenant par la main ; bien que jeune d’apparence, soudain Marcel se sentit l’âme d’un vrai patriarche…

Sitôt rentré de sa sortie-étude, Billou se mit au travail. Il avait emmagasiné assez de données pour comprendre ce qu’il se passait là-haut. Il invita ses collègues chercheurs, Gaspard, Marcel, les filles, Félix et Mireille, sans oublier BMV, à le rejoindre dans la salle de conférence :

— J’ai organisé cette réunion afin de partager avec vous le résultat de nos analyses… Nous avons constaté que la première sortie étudiée, débouchait sur une atmosphère très pure. Je vous passe les détails, mais les examens confirment que l’air y est constitué de 78 % d’azote, de 20 % d’oxygène et le reste, de gaz divers, de vapeur d’eau, de quelques poussières en suspension, etc. Donc sa composition est normale, c’est un air parfaitement respirable. La température était de 26° au moment des relevés. À contrario, le second puits débouche bien sur le monde des surfaces. Nous avons trouvé un taux d’azote de 78 %, mais un taux d’oxygène de 18 %, donc légèrement inférieur à la normale, nous avons relevé des taux alarmants de dioxyde de carbone, de soufre, de métaux lourds, et de polluants dus à l’activité humaine… L’air est saturé de sable saharien, apporté par les vents chauds. La température enregistrée était de 46°, à dix heures trente. Ce qui est bien trop élevé pour un mois de mai… Nous avons mis en évidence un déficit alarmant du taux d’humidité : moins de 2 % au sol.

Il y eut un petit conciliabule entre le physicien et ses pairs, puis le conférencier reprit la parole :

— En conclusion : l’étude du premier puits confirme qu’il mène vers un univers différent, soit dans le temps, soit dans l’espace ou… dans les deux. Nous tenons tous les détails de cette étude à votre disposition. Merci de votre attention.

Quand la conférence fut terminée, chacun commenta les révélations du professeur. Pour Marcel, Luna et Gaspard, il était nécessaire de grimper en haut du puits afin d’aller voir ce qu’il se passait à l’extérieur. Félix, lui était d’avis d’aller en surface rechercher l’endroit où pourrait se trouver la sortie : « Il devait bien y avoir quelque chose, une faille, un vieux puits ou quelque chose comme ça », pensait-il. Sélène lui donna raison. Selon elle, c’était un moyen simple et moins risqué de chercher un accès. BMV trouva cette idée illogique, car pour lui, il ne pouvait y avoir de trace visible de cette sortie dans la dimension des surfaces. Mireille semblait se désintéresser du débat : surgi d’on ne sait où, un petit chat noir accaparait toute son attention.

Bill Hawkins avait reporté l’emplacement du puits à l’extérieur. Il se situait au numéro vingt-neuf du boulevard Haussmann, dans le neuvième arrondissement. Quelqu’un devait se rendre sur place… Bernard-Marie connaissait très bien l’endroit. Évidemment, c’était le siège de sa banque ! Accompagné de Sélène, il irait sur les lieux mener l’enquête.

Sans rien dire à personne, Marcel et Gaspard entreprirent d’aller escalader la cheminée vers le ciel bleu. L’ancien égoutier se lança dans l’ascension, pendant que le père des jumelles l’attendait en bas, au cas où il aurait besoin d’aide. Gaspard empoigna vigoureusement les premiers échelons scellés dans la pierre du conduit ; sans être gêné par la rouille qui râpait la peau de ses mains, barreau après barreau, il grimpa allègrement une bonne vingtaine de mètres. Il fit une petite pause, puis continua sa progression. Levant la tête, il s’étonna de constater que la sortie lui semblait encore aussi éloignée que s’il était resté au sol…

A suivre.

***