LA SORTIE (1/2)
Marcel faisait le pied de grue en bas du puits, depuis environ vingt minutes. Inquiet de ne pas voir redescendre Gaspard, il accueillit les arrivants avec soulagement. La présence de Sélène faisant diversion, son anxiété diminua sensiblement. La jeune femme demanda :
— Y a longtemps qu’il est là-haut ?
— Plus d’un quart d’heure. Répondit Marcel.
— C’est si haut que ça ? Pourtant, on dirait pas, vu d’ici… Quoi, trente mètres ?
— C’est bien ce qui m’inquiète. Il fait du sur place, je pense… J’ignore pourquoi.
— Je vais aller voir ce qu’y se passe ! Annonça Sélène.
— Non, reste avec ton père, j’y vais ! S’écria Bernard-Marie en l’attrapant par la taille alors qu’elle empoignait le premier échelon.
Marcel l’attrapa par le fond de son pantalon :
— J’aime mieux y aller moi-même, dit-il en tirant l’écrivain jusqu’au sol.
— Non papa ! S’écria Sélène, C’est moi qui monte. Surveille plutôt le Nanard… Je veux pas qu’il grimpe derrière moi ! Puis elle se lança dans l’ascension.
La jeune aventurière, mètre après mètre, se rapprochait de Gaspard. La tête levée vers l’orifice du puits, en contre-jour, elle pouvait discerner la forme imprécise du garçon. Il était proche de la sortie. Dix mètres au pire… Elle le héla :
— Gaspard ! Ça va ? T’es coincé ?
— Ben oui, je grimpe, je grimpe, mais j’avance plus ! J’ai l’impression d’être victime d’un sortilège ! Je commence à fatiguer…
— Laisse tomber, sinon… On va redescendre !
— C’est rageant, on est presque à la sortie.
— On avisera en bas. On a le temps de trouver une solution, préconisa Sélène.
— OK, on redescend, on verra plus tard. Ils se laissèrent tomber et se posèrent sans heurt, juste aux pieds de Marcel et BMV.
De retour dans leur communauté, les explorateurs tinrent un débriefing en compagnie de Billou. Ce fut ce dernier qui apporta un début d’explication au phénomène :
— Le puits débouche vraisemblablement dans un autre espace-temps, supposa le physicien, les souterrains, de par leur structure physique, n’ont pas la possibilité de pénétrer dans ce nouveau continuum… Plus Gaspard se rapprochait de la sortie, plus il se heurtait à des distorsions spatio-temporelles qui le repoussaient, comme se repousseraient des aimants, aux polarités inversées… Dans ces conditions, difficile de progresser.
— Sinon Gaspard, intervint Félix, en haut, t’as vu quelque chose d’intéressant ?
Son fils lui répondit du mieux qu’il put :
— Non papa, je n’ai rien vu d’autre que du ciel et quelques nuages… Rien de plus que ce qu’on avait vu avec les appareils de Billou… Par contre, j’ai pu entendre quelques sons, inaudibles d’en bas…
— Ah oui ? Explique-nous Gaspard ! Interrogea Luna, intéressée.
— J’ai discerné des voix, assez lointaines… J’ai pas compris un mot, mais ce que je peux dire… C’était comme des bruits d’enfants qui s’amusent… En criant et en riant… Voilà… Y a des gens là-haut…
— J’aimerais bien aller voir ça de plus près… Dit Luna, l’air un peu rêveur.
— On y retourne demain, je vais essayer de forcer le passage. Tant pis si j’échoue ! S’enhardit Gaspard.
— On ira ensemble… Répliqua sa compagne.
Sélène, Billou, Marcel et BMV ne les suivraient pas. Ils se dépêchèrent de rentrer à la maison, sachant que le lendemain matin, leurs élèves les attendraient devant la salle de classe. Marcel, quant à lui, avait une idée en tête. Il ne dévoila pas immédiatement ses pensées et repartit chez lui, l’air totalement absorbé. Il se trompa même de chemin et se retrouva de nouveau devant chez Sélène et Billou. Avant qu’ils ne le remettent sur la bonne voie, il leur confia :
— Les enfants, je doute que Gaspard et Luna réussissent à traverser le passage. Je pense qu’ils vont échouer…
— Alors il faut leur déconseiller de s’obstiner dans cette aventure… Répondit Billou.
— C’est perdu d’avance. Je les connais… Ils vont y aller et renonceront une fois qu’ils se seront bien épuisés… Écoutez-moi… J’ai eu une idée… Comme je suis déjà passé par la dimension de l’oubli, sur place, je me suis aperçu qu’on pouvait prendre différents chemins vers une infinité de continuums…
— Tu crois qu’on y trouverait un raccourci papa ? coupa Sélène.
— Oui, c’est exactement ça… Sauf qu’il nous sera difficile de trouver la voie qui mène à la dimension que l’on a observée. On risquerait de se perdre… Nous n’aurons pas de route balisée, juste des sensations diffuses… Des formules, des fantasmagories… Mais bon, si on doit se perdre, au moins, on se perdra ensemble !
— Il faut en parler aux autres, recommanda Sélène, est-ce qu’ils seront d’accord pour te suivre ? Luna ne quittera pas Gaspard, tu le sais bien. Et moi… Ça m’embête d’abandonner les petits. Qui est-ce qui va s’occuper d’eux ? Et Félix ? Et Mireille ?
— Les parents de Gaspard viendront avec nous bien sûr ! Réfléchis bien ma chérie. Tu finiras quand même par descendre dans l’oubli, un jour ou l’autre… Qu’en penses-tu Billou ?
— Je pense que votre idée est séduisante, Marcel. Quoiqu'un peu risquée... De toutes façons, moi, j'accompagnerai Sélène, quoiqu’elle décide et où qu’elle aille.
— Eh bien, comme cela, c’est clair, Conclut Marcel, heureux du soutien de Billou. Retrouvons-nous ici, demain soir. Nous exposerons le projet aux autres, dès leur retour.
Le lendemain matin, Luna et Gaspard, se préparaient pour aller escalader le puits. La jeune exploratrice, surexcitée, pressait son amoureux d’accélérer la mise en route. Ce dernier retardait le départ pour une bonne raison : il tenait absolument à emporter un objet qu’il avait prévu de lui offrir. Cet objet, c’était cette petite tour Eiffel, qu’on avait déposée sur sa poitrine, peu avant qu’on le portât en terre. Avec bonheur, il avait retrouvé ce petit fétiche nickelé au fond de sa poche, le jour où Luna était venue le chercher, à Saint-Jean les poules. Enfin, après un bon quart d’heure de prospection, il le retrouva ; ils se mirent en route et Luna cessa de s’impatienter.
Ayant parcouru à peine une centaine de mètres la jeune femme s’inquiéta :
— Dis Gaspard… ?
— Oui ma chérie…
— Tu crois pas qu’on aurait dû prévenir les autres de notre excursion ?
— Tu as raison, on va mettre un mot sur la porte. Mais bon, on fait l’aller-retour, si on peut traverser, on reviendra les chercher.
A suivre.
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