ÇA CHAUFFE !
Alertée par un grésillement inhabituel émis par son vieil ordinateur, Sélène s’approcha de la machine et constata aussitôt la présence du message de Luna sur l’écran. Elle resta un moment suspendue à la lecture de celui-ci. Elle se demandait si elle était encore victime d’une plaisanterie de mauvais goût de la part d’un pirate informatique. C’était la deuxième fois qu’on se faisait passer pour sa défunte sœur. Elle appela Adrien à la rescousse :
— Adrien ! Viens voir !
Celui-ci, alarmé par l’appel angoissé de Sélène, accourut séance tenante.
— Regarde ce qu’il y a sur mon moniteur ! Encore un message… Soi-disant de Luna !
Adrien lut et relut attentivement le texte que Luna et Gaspard avaient si soigneusement rédigé :
— Ça alors… En plus, c’est vraiment mal écrit, c’est visiblement une tentative de piratage.
—Qu’est-ce que je peux faire ? S’inquiéta la retraitée.
À côté d’eux, Luna, impuissante, trépignait d’impatience. « Fais ce qu’on te demande à l’écran, bon sang ! » S’écria-t-elle intérieurement.
Adrien, tout d’abord effectua une capture d’écran qu’il enregistra. Puis, il jugea qu’on pouvait répondre au message sans trop de risques, c’était le seul moyen d’en savoir plus. Il tapa sur le clavier : « Qui êtes-vous et que voulez-vous ? Qu’est-ce que c’est cette histoire d’espace-temps ? Laissez-nous votre réponse demain, après vingt heures ». Puis il appuya sur « envoi ». Ouf ! Derrière lui, Luna se rassura, bien que ça s’annonçait compliqué, ils pourraient continuer de communiquer. L’ordinateur de la maison faisait un bruit de mixer de plus en plus inquiétant. Elle Laissa le vieux couple à ses soucis informatiques et s’en retourna au sein de sa communauté. Elle avait désormais, une tâche importante à accomplir : la rédaction d’un nouveau message, en bon français cette fois, puisqu’on semblait pointilleux sur la question.
Sélène et son mari, n’avaient aucune connaissance en physique et les notions d’espace-temps et de dimensions parallèles leur étaient parfaitement étrangères. Ils fouillèrent alors sur Internet pour comprendre le sens du message qui venait de leur arriver. Bien que passablement obscures dans leurs esprits, les informations qu’ils dénichèrent sur des sites de vulgarisation, commencèrent à les éclairer quelque peu. Par un hasard surprenant, ils tombèrent sur un ancien article du professeur Bill Hawkins ! Ils ne se doutèrent pas que ce savant était à l’origine de leur surprenant rendez-vous avec les deux esprits tordus venus les tourmenter !
— Bon, lança Adrien, on va attendre demain soir et on verra bien ce qu’on va nous dire.
— Et si c’était vrai ? Ça serait fantastique ! Mais j’y crois pas trop…
Cette nuit-là, les époux Leriche eurent beaucoup de mal à trouver le sommeil. En raison de la chaleur intolérable bien-sûr, mais surtout du fait des pensées extravagantes qui les assaillaient : les mondes parallèles, les niveaux un, deux ou trois… L’enfer, Le purgatoire, le paradis… Peut-être le paradis, pourquoi pas ?
Luna s’empressa de remettre son interface aux informaticiens souterrains. Elle leur laissa le texte qu’elle avait peaufiné afin qu’ils puissent le programmer dans son appareil. Elle y avait résumé, dans un français correct et de façon concise, ses aventures avec Gaspard, la disparition de son père et sa détermination à le faire revenir, leur rapport avec les dimensions parallèles et la collaboration avec le professeur Bill Hawkins. Elle avait demandé de préciser aussi, qu’elle pouvait parfaitement lire la réponse en temps réel à l’écran, ou au pire, sur un bloc-notes. Les techniciens lui promirent que l’interface serait opérationnelle dès le lendemain matin. Satisfaite, la jeune femme voulut rendre compte de son action à Gaspard, mais celui-ci demeurait introuvable. Elle attendit patiemment son retour devant un reportage télévisé sur la sècheresse en surface. Comme son compagnon tardait trop, elle décida d’aller rendre une petite visite amicale à Félix et Mireille. Elle trouva ces derniers au salon, en grande conversation avec leur fils. Dès son entrée dans la pièce, la discussion stoppa net. Toutefois, la jeune délurée avait eu le temps d’entendre Mireille prononcer le prénom de sa sœur. Elle fit celle qui n’avait rien remarqué.
Un peu gêné, Félix se racla la gorge :
— Euh… Luna… On se demandait… Comment pourrait réagir Sélène… Par rapport à votre relation… Toi et Gaspard. Elle est encore notre belle-fille d’une certaine manière…
— Papa… Intervint Gaspard, Sélène est ma veuve. La situation est assez compliquée comme ça, s’il te plaît, n’embrouille pas tout avec notre histoire… Luna et moi, on s’aime depuis toujours. Et puis Sélène est avec Adrien maintenant.
— Comment ? Tu n’aimais pas Sélène quand elle était ta femme ? S’offusqua Mireille.
— Mais si maman… Mais… Je ne sais pas… Je les aime profondément toutes les deux, mais peut-être à tour de rôle… J’en sais rien ! Je les ai pas connues ensemble !
Témoin muet de cet échange, Luna ne dit rien, incapable de toute façon de prononcer un mot. Elle avait mal et son cœur saignait. Contenant à grand-peine sa colère, Gaspard prit la porte, laissant tout le monde en plan. Luna courut derrière lui. Elle savait où le retrouver. Quand il était contrarié, il allait se réfugier dans les égouts, c’était sa façon de se ressourcer… Mais pour Gaspard, des égouts quasiment à sec, ça avait quelque chose de profondément absurde. En larme, Luna l’avait rejoint au bord d’un grand collecteur. Mortifié, Gaspard la prit tendrement dans ses bras. Finalement, comme s’ils étaient seuls au monde, les amoureux s’embrassèrent longuement, sous les regards émus et attentifs d’une famille de surmulots .
A suivre.
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