TRAGÉDIE

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Dotés de leur appareil de communication, Luna et Gaspard, remontaient vers la villa Léandre en passant par les rues de la butte. Il était important pour eux, depuis leur dernière visite, de se rendre compte de l’évolution de l’atmosphère, sur la capitale. Comme l’hiver approchait, la température avait considérablement diminué. Malheureusement, la sécheresse et l’absence de vent rendaient la respiration des Parisiens toujours aussi pénible. Désormais, le long des rues, les platanes perdaient leurs dernières feuilles, il apparaissait maintenant qu’ils étaient irrémédiablement voués aux tronçonneuses des élagueurs.

En pénétrant dans l’avenue Junot, Luna sentit une sourde angoisse la saisir. Une inquiétude soudaine empoigna également les entrailles de Gaspard. Il accéléra le pas en tirant fébrilement son amie par la main. Un sentiment de panique s’empara des amoureux. Arrivés au débouché de la villa Léandre, soudain nos deux amis s’immobilisèrent, pétrifiés.

L’immeuble où se trouvait l’appartement de Sélène n’était plus qu’un spectre de pierres carbonisées. Les murs noircis par les flammes, tenaient encore debout, grâce aux poutres calcinées d’une charpente prête à s’effondrer. Le zinc du toit avait entièrement fondu dans l’incendie qui avaient ravagé les quatre étages du bâtiment ; le feu n’avait laissé aucune chance à la construction.

En hésitant, le couple s’approcha des ruines à petits pas, pour retarder le moment où il serait confronté de près au désastre. Il ne restait plus que quelques désespérants vestiges de vie, des traces d’existences réduites en cendres. Des casseroles noircies, des couverts en inox déformés par la chaleur, et l’odeur ! L’horrible et tenace odeur d’ignition qui traîne dans les décombres, après un incendie.

Gaspard serra Luna dans ses bras, le plus fort qu’il put, l’empêchant de regarder l’abominable spectacle qui les entourait. À travers ses sanglots, elle se mordait les poings, secouée par des spasmes de chagrin et de colère. Elle ne douta pas un seul instant que sa sœur jumelle avait péri dans les flammes. Son compagnon, le regard vide, se laissait happer par un feu hallucinatoire qui dévorait sauvagement sa jolie Sélène. Serrés l’un contre l’autre, ils s’écroulèrent sur ce qui avait été le jardinet du couple Leriche.

Plus tard, l’enquête des pompiers de Paris révéla les causes du sinistre. Le feu avait démarré au rez-de-chaussée, pendant le sommeil des occupants du logement. Il fut établi que la surchauffe d’un vieil ordinateur était à l’origine du brasier. Les fusibles n’étant pas aux normes, ils ne purent remplir leur office en coupant le circuit électrique. Les flammes, favorisées par l’atmosphère très sèche de l’appartement, se propagèrent rapidement au papier peint, au mobilier, aux lambris et aux bâtis de portes. Puis enfin, les fumées mortifères pénétrèrent dans la chambre, asphyxiant irrémédiablement ses occupants. Ces derniers périrent avant d’être atteints par les flammes. Cette tragédie causa la mort du couple, mais également celle d’une tierce personne qui dormait dans une pièce contiguë. Le rapport des soldats du feu précisa que les bornes d’incendie étaient tombées en panne sèche durant l’intervention et qu’il leur fut alors très difficile de venir à bout du sinistre.

Blottie dans les bras de Gaspard, Luna sanglotait :

— Ma pauvre petite sœur… Ma pauvre Sélène… Elle ne pourra pas vivre toute sa vie… Ils avaient l’air si bien ensemble… C’est pas juste !

Gaspard tenta maladroitement de la consoler :

— Ils n’ont pas souffert… On va les revoir, j’en suis sûr.

Les traits de la jeune femme, crispés par la douleur, se détendirent un peu.

— Tu crois Gaspard ?

— Sèche tes larmes mon amour. Ne restons pas là, ça sert plus à rien.

— Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? On rentre ?

— Oui, c’est ça… Il faut rentrer… Allez, viens.

Le couple se releva et sortit de la villa Léandre.

— Ils n’auront pas eu le bonheur d’apprendre le retour de Marcel, murmura Gaspard pour lui-même. Encore une maladresse du pauvre garçon qui fit de nouveau pleurer Luna.

Ils repartirent en se tenant par la taille, bien lentement, bien tristement… La désolation de la capitale, désormais, leur était indifférente.


***

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