Tout fini par se savoir
J'ai tellement de choses à te dire.
J'ignore par où commencer, parce que tout se mélange dans ma tête. Mes pensées, mes souvenirs, ces paroles. Tout grouille à l'intérieur, ça fourmille dans tous les sens. Je ne trouve plus le bouton Off, ça devient assourdissant de vivre avec un tel brouhaha.
J'ai vingt ans.
Et alors que je pensais savoir tout de ma vie, alors que j'imaginais avoir enfin posé le fin mot de l'histoire sur mon passé, l'Univers me remet la volée du siècle.
J'ai vingt ans, oui.
Vint années de mensonges.
Vingt années de malveillance.
Vingt années de secrets, de fausses promesses.
Toute ma vie, j'ai appris à écouter les histoires qu'on me racontait. J'ai appris à me taire face aux adultes, parce que je n'étais qu'une enfant. Parce que les enfants ne savent rien. Mais les adultes, eux, ils savent tout. Alors je me suis tus.
Tout ce temps. Toutes ces années.
J'ai encaissé, j'ai assimilé. J'ai accumulé, tant de choses, tant de paroles, tant de douleurs.
Je suis née un jour de printemps, avec une mère et un père.
Et là où j'aurais dû vivre comme une petite fille normale, il en a été tout autre.
Parce que voilà, moi, mon père a disparu du jour au lendemain. J'étais trop jeune pour m'en rappeler, alors c'est toi qui me l'a expliqué. J'étais indésirée. Je n'étais pas aimée. C'était ce que tu disais. Qu'en homme lâche, il avait quitté nos vies pour ne jamais en faire partie. Alors je t'ai regardé avec des yeux brillants, parce qu'à cet instant, tu étais l'image même d'une super-héroïne, prête à tout braver pour le bien de son enfant.
L'homme qui s'est dévoué pour m'élever comme sa propre chair fut pour moi mon premier amour masculin. Un ange tombé du ciel, une bénédiction qui venait m'offrir cet amour, cette présence dont j'avais tant besoin.
Alors j'ai grandi, en me disant que Géniteur n'était qu'un être détestable. un lâche qui ne me méritait pas.
Alors pourquoi ? Pourquoi ai-je ressenti cette douleur ?
Pourquoi ai-je traîné ce mal-être inexplicable tout au long de ces années ? Sans jamais pouvoir poser d'exacts mots sur mes maux.
A six ans, je pensais être le rejeton non désiré d'un homme qui avait fuit ses responsabilités.
A neuf ans, j'ai tenté de me retirer la vie pour la première fois, fatiguée de porter une douleur que je n'expliquais pas.
A dix ans, malgré moi, j'ai commencé à apercevoir ton véritable visage.
A quinze ans, j'ai reçu tes premiers coups.
La fenêtre et le vide ne m'ont jamais paru si beaux qu'à cette sombre période.
A seize ans, j'ai quitté le nid, effrayée par cette noirceur qui grandissait en moi.
Par ta faute.
Je t'ai souhaité du mal. J'ai imaginé ce que ça ferait de te voir mourir. De te rendre chaque claque, chaque griffure. J'ai rêvé ta disparition. Tellement de fois.
Et j'ai aimé ça. Aussi affreux soit-il.
J'ai vingt ans aujourd'hui et les secrets ne finissent pas de se révéler.
Parce que, vois-tu, tout ce temps, j'ai tenté de soigner cette colère, cette rancoeur à ton égard. Je me disais qu'il y avait quand même eu du bon en toi, malgré tous tes vices, tous tes écarts.
Oh, comme je me trompais.
Pouvais-je imaginer qu'il puisse exister un être aussi traître, aussi répugnant que toi sur cette terre ?
Dis-moi ce que ça fait, maman ?
De vivre seule, sans nouvelles de tes deux uniques enfants ?
De vivre avec le poids de ta conscience empoisonnée, de tes erreurs ?
Comment as-tu pu tenir tout ce temps, avec tous ces mensonges accumulés ? Est-ce que tu le regrettes seulement ? De m'avoir arraché au premier homme qui m'ait aimé d'un amour inconditionnel, dès les premières secondes de mon existence ?
D'avoir fait passer mon père pour un homme lâche, alors que lui remuait terre et ciel pour retrouver ma trace, pendant que toi, tu faisais en sorte qu'il ne me retrouve jamais ?
Tu m'as menti toute ma vie.
Mais au fond, j'ai toujours su.
Au plus profond de moi, j'ai ressenti sa détresse.
Je l'ai ressenti comme si c'était la mienne.
Et maintenant que je sais tout, maman...
Il n'y a plus rien qui puisse me convaincre de t'accorder mon pardon.
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