L'Ancêtre
Plantule lentement fortifie sa croissance,
Racine creuse au sol, nourrie en frondaison,
S'écouleront les ans, au rythme des saisons
Et puis viendra la mort, après la sénescence...
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Aujourd'hui, l'Ancêtre de la forêt de Cervellu est mort... Trop de pluies, et bien trop de vent... Sans doute trop peu de terre aussi, trop peu d'assise arrachée à la pierre, car le granit ne se creuse pas rapidement. Trop ou trop peu de beaucoup de choses avaient scellé son destin...
C'était pourtant un arbre immense, un châtaignier âgé de plus de cinq-cents ans, élevé parmi les pins, Laricci de grande taille mais de moindre longévité. Le pin pousse vite, et meurt tout pareillement. Châtaigniers et chênes sont d'un autre bois, d'une autre croissance, celle qui ne se hâte pas, celle qui dure.
Cet arbre-ci était de ceux que l'on n'oublie pas facilement : de puissantes branches élégamment disposées, densément feuillues, un tronc immense, mais qui présentait de curieuses excroissances plus ou moins sphériques, parfois hérissées de fines tiges qui les faisaient ressembler aux naevi poilus des sorcières, ces fameux poireaux qui sont à la beauté ce que la moustache est à la soupe. Son écorce en était toute parsemée, et en cela il était unique.
Au fil des ans, il avait essuyé bien des tempêtes, et plusieurs siècles d'existence erratique l'avaient malgré tout laissé debout. Et il avait poussé, poussé... Poussé jusqu'à parvenir plus haut que tous les autres, poussé jusqu'à frôler le ciel. Poussé jusqu'à obtenir un nom, aussi, celui de Castagnu, le châtaignier géant de la forêt de Cervellu.
Mais même les légendes rencontrent un jour leur destin... Dominant largement le troupeau des arbres sans noms, le titan attira l'œil de la foudre... Les plus anciens habitants du village voisin s'en souviennent encore, et racontent que l'arbre cria sous l'impact qui le déchira, ouvrant une large cavité en son centre.
Fort heureusement la pluie suivit de près la foudre, et éteignit les flammes. La sève circulait toujours dans son bois protégé d'une épaisse écorce, et seule sa plus haute branche paya le prix du feu, foudroyée à cœur. Ce large bras noirci s'étendait majestueusement sur la canopée, accusateur silencieux pointant en direction du nord, là d'où était venu l'orage qui avait amorcé un déclin désormais inexorable...
Au cours des années qui avaient suivi l'épisode de la foudre, le vieil arbre s'était en effet lentement creusé jusqu'au cœur, subissant les assauts réguliers des éléments, ne survivant plus que de peau, économe de nouvelles branches mais produisant toujours bien assez de fruits pour ravir les enfants. C'est qu'elles étaient fameuses, les châtaignes de Castagnu ! On venait de loin visiter ce monument végétal, qui même de plus en plus diminué restait si peu avare de bogues énormes...
Lentement rongé de l'intérieur par la pluie, il abritait la vie particulière aux « creux d'arbres », petites collections d'eau riches en matières organiques propres aux écosystèmes forestiers mâtures. Son ventre nourrissait toute une chaîne animale et végétale, des champignons, mousses, lichens et fougères jusqu'aux délicates éristales et autres larves d'insectes, mais aussi têtards nés de rainettes opportunistes. Un univers entier s'activait là, grouillant et frémissant, monde clos pourtant répandu au sol quand l'arbre s'écroula sur lui-même, rompu en son centre.
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