2/52 À supposer

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 À supposer que ce stupide volatile gris et gras dont tu as, comme pour combattre le Vilain en participant à l'enfouir plus profondément encore dans les entrailles de la terre, arraché cruellement cette proéminence subtile, cachée dans l'ombre de son bec qui constituait sa seule perle d'huître, cette fine étoffe de vent et de chatouilles, qu'habituellement on nomme pluie ; à supposer, dis-je, que cette créature idiote n'eût pas été renifler Dieu sait où les relents de la grippe ; ou bien en eût exhibé les affres avec plus d'évidence, ainsi qu'un crapaud, un serpent ou je ne sais quelle autre bestiole qui a un minimum d'honnêté (ou même, en un sens, de noblesse nietzschéenne), sait faire rayonner sur son pelage, en un arc-en-ciel châtoyant, l'éclat découvert de sa nature venimeuse : car, après tout, rien n'est plus semblable à un oiseau qu'un autre oiseau, et il eût donc été alors si facile d'aller récupérer ailleurs ce futur jouet de tes mains enfiévrées ; et à supposer donc que tu n'eusses pas épuisé l'essentiel de ta prime jeunesse à frotter nerveusement sur le papier cette petite chose qui, silencieusement et invisiblement, te rongeait de l'intérieur, pénétrant tes pores, circulant dans ton sang pourri (par globules noirs d'encre et de poussière) et embrassant ton coeur ; et que tu n'eusses pas enfin, un moche matin d'avril, frémi et gémi sur ton siège, et enfin laissé s'échapper de tes doigts cet anti-talisman et de ta gorge un dernier souffle rauque que ta muse eut le malheur d'entendre ; et que tu eusses eu devant toi dix et dix années de plus à t'activer sur la terre chaque jour que Dieu fait, avec moi, avec nous : eh bien, j'ose demander au piédestal de ta superbe qu'est ce bloc de marbre enfoncé dans un coin perdu d'un cimetière quelconque si tu eusses réellement su en profiter (et j'ai alors cette éternité manquée à regretter) ; ou si tes veines, privées de pression, fluides et claires et non pas sombres comme le pétrole (combustible si abrasif, carburant si puissant), n'eussent pas coulé en vain finalement dans une carcasse anonyme, sans jamais vivre ta (notre) courte aventure rimbaldienne (oui, je crois bien que j'en suis à ce degré de folie : je me sens bénir, embrasser avec reconnaissance la chair putréfiée de cet oiseau de malheur qu'est le daemon qui t'a fauché)...

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