Événement

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-          Qui êtes vous ? Je ne vous connais pas !

-          Je suis ton père.

 

Silence terrible. Je le dévisage. Mon père ? Je suis tellement étonnée ! Aucun mot à lui dire, plus de sons, plus d’image, « Stop », la vie s’est  soudainement  arrêtée.

Nous restons là, les yeux dans les yeux, à nous regarder.  C’est vrai que j’ai ses yeux ! J’essaye de sentir, de mouvoir, de parler. Tétanisée, j’attends, il faut que cela passe… Des images d’enfance se bousculent, je me vois petite, moi, ma mère ; des  scènes :  ma mère, moi… pas le visage de mon père ! Aucuns souvenirs ; aucune tendresse, aucun amour, rien.

 

-          Tu vas bien ?

-          Oui.

 

Je répondis instinctivement le « oui » au « tu vas bien », puis, je réfléchis : «  je n’ai pas de père, enfin, ma mère m’a dit qu’il était parti, et puis je n’ai plus jamais rien dis, rien demandé. J’ai vingt ans, et j’avoue que j’ai appris à vivre sans me préoccuper de son existence. Après tout, il est parti et pour moi, il n’a pas existé. Et voilà que maintenant, grand, homme mûr, légèrement grisonnant, et moi,  jeune, jolie… nous sommes assis l’un en face de l’autre». C’est un grand bouleversement dans ma vie. Je ne sais pas quelle attitude adoptée, je ne sais pas précisément ce que je pense de cette situation tout à fait incongrue. Révolte ? Attendrissement ?

 

-          Tu es parti !

-          Oui, je suis parti quand tu étais petite, à l’étranger, et je n’ai plus donné signe de vie.

-          Tu es revenu ?

 

Cela peut paraître stupide, comme début de conversation, mais, j’aimerai bien vous y voir, c’est que cela coupe le souffle un événement pareil ! Oui, je me rends compte tout à coup que mon père est un événement. Alors, quoi dire, quoi faire ? Je ne sais pas par quel bout commencer, partir, là, maintenant, moi aussi, je peux lui faire le coup ! Exprimer ma colère,  fuir cette situation désagréable, où l’on perd tous ces repères, où l’on aimerait s’enfouir sous le sol pour se cacher…Non, je garde la face. Je maintiens son regard. J’aimerai savoir de quoi il est capable et ma curiosité me pousse à l’observer, à attendre.

 

-          Tu étais où ?

-          Je suis parti à l’étranger pour mon travail, je suis homme d’affaires, et j’ai beaucoup voyagé et, je…

-          Tu savais que tu avais une fille, enfin, je veux dire, tu savais que j’existais ?

-          Oui, je n’ai rien fais, je ne me suis pas intéressé à toi, je suis un lâche et je ne mérite pas que tu me parles aujourd’hui. Je ne peux pas rattraper le temps perdu, je voudrais que cela commence maintenant, mais, tu ne vas pas être d’accord.

-          D'accord ? c’est sûr, à la formule « tu ne vas pas être d’accord » on répond : non !


Je suis tout à coup perdu, je ne sais pas, mon esprit s’embrouille, je crois rêver…


-          Si tu veux que je m’en aille, je pourrais aisément le comprendre, j’ai des regrets, et mon attitude ne peut pas du tout s’expliquer ; je voudrais trouver des  mots pour te convaincre de bien vouloir m’écouter, je veux m’occuper de toi maintenant. Et j’ai une proposition à te faire, je souhaiterai t’emmener avec moi pour te montrer mon travail, mon entreprise, pour te préparer à me succéder.


Cela dépasse l’entendement ! Je dois faire une de ces têtes ! On va de surprises en surprises… Partir à l’étranger pour me préparer à être à la tête d’une entreprise, devenir femme d’affaires…


-          Je fais des études d’arts appliqués, je ne peux pas tout laisser tomber comme ça, partir avec un père qui surgit comme on le lit  dans les contes de fées, vingt ans après une conception bafouée, devenir quelqu’un qui ne me correspond pas, Je n’ai que faire de ton entreprise, je suis rêveuse, artiste…

C’est  vrai, je ne me vois pas manager, téléphoner, tenir des comptes, des réunions, encadrer des employés, des collaborateurs… je préfère tout bonnement errer, j’aime ma vie de bohème.

 

-          Je te laisse réfléchir, je te laisse ma carte de visite, appelle-moi !

 

Mon  père me laisse sa carte de visite, que cela peut être maladroit et futile ! 

J’ai l’impression qu’il me faudrait des heures pour réfléchir et me faire une idée de cet après midi, au combien cocasse. Je rentre chez moi, courbée, l’air perdu.

Je m’assois sur mon lit, les yeux rivés sur le mur, droit devant moi :  j’aurai préféré de pas honorer ce rendez-vous, je n’aurais pas dû ouvrir cette boite, posé un soir devant ma porte…

 

 

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