Apolline

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Le soleil n’était pas encore tout à fait levé même si les premiers rayons lumineux m’avaient tiré de mon sommeil depuis de longues minutes. J’avais quitté le lit du péché, songeant aux dernières chaleurs nocturnes agréables sur ma peau. Il faisait frais tandis que j’entrouvrais la fenêtre pour expulser la fumée de ma cigarette qui se consumait, ma chemine grande ouverte sur le paysage extérieur.

Le moral dans les chaussettes, je me rendis compte que la maison de ma dernière conquête était très coquette. Le jardin était rempli de petits animaux en porcelaine, et de nombreux arbres dont les fleurs s’étaient profondément endormies pour l’hiver rendaient hommage aux plus célèbres des jardins à la française avec leur symétrie parfaite. Ce calme et ce rangement m’étaient indifférents car ma vie n’était qu’un chao.

-T’es déjà réveillée ? demanda la voix de la jeune femme encore lourde et rauque.

-Mmh, répondis-je d’un simple son bestial.

Elle n’était pas ma première et ne serait sans doute pas ma dernière. Le fait était que j’aimais baiser mais pas m’engager. Que je ne souhaitais pas créer de lien avec elle dont je ne me souvenais pas même le prénom. Je me refermais dans ma coquille pour qu’elle n’y entre plus jamais.

-Je peux aller me doucher ? demandai-je poliment

Elle acquiesça en m’indiquant la salle de bain tandis qu’elle retourna s’emmitoufler dans les draps humides de notre folle nuit.

La salle de bain possédait tout le confort rêvé. Je sus que j’étais dans une famille de riche à ce moment-là. Elle était spacieuse, presque autant que la plus grande des pièces à vivre de mon T2. Le sol était carrelé de blanc brillant minutieusement nettoyé. Il y avait une baignoire presque aussi grande qu’une piscine, un jacuzzi dans le coin et une grande douche dans laquelle on pouvait rentrer à, au moins, cinq personne dans se sentir trop serré. Je choisis la baignoire, trop fatiguée pour tenir debout trop longtemps.

L’eau chaude me fit le plus grand bien. Pour me réveiller mais aussi pour faire fuir toutes mes arrières et mauvaises pensées. Si bien que je parvins presque à être de bonne humeur. C’était sans compter sur l’asticot néanmoins.

Je me prélassais, allongée dans le bain moussant à la noix de coco. Mon ventre distendu se tordait dans tous les sens, me rappelant que je n’étais plus seule désormais, même dans les instants les plus intimes.

-Tu peux pas faire comme si t’étais pas là ? murmurai-je à l’intention du fœtus de quatre mois qui grandissait en moi.

Personne ne savait que j’attendais ce malheureux événement. Même moi je le niais même si je devrais bientôt en assumer pleinement les conséquences. Un coup d’un soir qui laissait bien des traces.

-Tu as bientôt fini ? tapa la jeune fille à la porte

-Ouais, j’arrive.

Je soupirais, essayant de relâcher toutes mes tensions et ma négativité. D’y laisser mes malaises, mes crampes et mes nausées pour affronter une nouvelle journée de dur labeur. En vain, je n’étais toujours plus que l’ombre de moi-même.

En sortant de ma pièce confinée, je fus frappée par des odeurs de café et de pains grillés. Je faillis vomir mes tripes mais rien n’en sortit sinon un haut le cœur peu glamour. Touchant mon ventre par une caresse, je me ressaisis. Je me promis de partir aussi rapidement qu’il me l’était possible sans paraitre trop impolie pour autant.

La jeune femme fredonnait en touillant une casserole brûlante sur le gaz. Elle était jeune. Très jeune. Plus que je ne l’avais remarqué la veille. Elle passa ses mains dans sa longue crinière chocolat et en dégagea une odeur agréable de fruits de la passion. Mon odorat était ma faiblesse, ce qui me faisait tomber dans le péché. Je savais aussitôt si j’appréciais ou non une personne rien qu’en la reniflant.

La cuisine n’était pas moins belle que le reste de la maison. Les murs bleus apaisaient les contrariétés et rendaient le tout très doux. Une immense table pouvant accueillir au moins dix personnes se tenait au milieu. Il y avait un grand meuble sur lequel était rangé et étiqueté différents pots en verre qui conservaient les féculents et les céréales. On aurait dit un petit supermarché même si le tout était parfaitement bien rangé.

-Bonjour mademoiselle, lança une vieille femme en entrant derrière moi. Je suis la mamie de Cathy. J’espère que vous vous plaisez chez nous.

Tout ça en continuant d’avancer avec son déambulateur. La dîtes Cathy s’affairait gaiement dans sa cuisine comme si elle vivat sa plus grande passion en étant femme d’intérieure.

-Je ne vais pas pouvoir rester trop longtemps. Je travaille dans moins d’une heure.

La grand-mère me posa tout un tas de questions sur certaines banalités, j’y répondais sans trop m’y attarder. Il était inutile de se leurrer en espérant quoique ce soit de ma part si bien que je me montrais complètement hostile à leurs marques d’affections aussi infimes soient-elles.

Une fois que j’avais achevé mon café à grandes goulées, je pris congé en ne demandant pas mon reste. M’approchant à grandes enjambées de ma voiture qui tombait en ruine, Cathy courut derrière moi.

-Tu veux repasser ce soir ? espéra-t-elle. J’ai été très contente de te rencontrer et j’ai adoré cette première nuit avec toi.

Tandis qu’elle se perdait dans des supplications, j’y coupais court :

-Je ne reviendrais pas, lâchai-je. Jamais. L’engagement n’est pas fait pour moi. Je ne donne pas plus d’un soir à toutes mes relations.

Et tandis que je voyais son visage se décomposer peu à peu, ses yeux bleus s’embuer de larmes, j’ajoutais :

-Mais rassures-toi, j’ai passé un bon moment avec toi. Il vaut mieux couper court avant de se faire du mal.

Puis je reclaquais ma portière et démarrai le moteur. J’avais profité de son corps mais je n’en éprouvais aucun remord. Je n’en avais jamais. Je lançais ma musique et je tournais une nouvelle page dans ma vie. Je ne pensais même plus à elle lorsque je coupais le moteur en arrivant à ma destination.

-Bonjour madame Lajuelle ! s’exclama Thomas lorsque je sortis ma valise de mon coffre.

Je lui répondis en grommelant. Je n’avais même pas encore revêtu mon rôle de maitresse que déjà on m’assaillait par derrière. Ma collègue préférée arriva peu de temps après que je me dirigeais déjà vers le petit bâtiment rond. Je pris mon temps pour arriver à la salle 3. Mes hauts talons me procuraient un mal de dos indescriptible. Cela faisait quelques semaines que je n’étais pas au mieux de ma forme. J’étais las et je n’arrêtais pas de penser à ma vie passée, ma vie future, et même à la mort. Je n’arrivais plus à me projeter à plus tard car j’ignorais ce que plus tard pouvait me réserver. Cet enfant n’était en rien désiré. Et plus les mois s’écoulaient, plus je m’en inquiétais. L’instinct maternel ne se réveillait pas.

Allumant les lumières de ma salle de classe, je poussais un grand soupir en voyant le bazar qu’il y avait déjà de bon matin. Les femmes de ménage avaient abandonné l’idée de rendre mon foutoir propre et ne passaient plus qu’occasionnellement ici. Tout était surencombré, les œuvres d’art de mes élèves finissaient de sécher sur le sol. Le tableau n’était pas encore nettoyé. Des cartes d’ateliers n’étaient pas remises en ordre dans leur boîte. Des affichages se retrouvaient à moitié décollés.

Je déposais ma valise sur le côté, remontais mes épingles de mon échelle de comportement en songeant de nouveau à la catastrophe qu’avait menée Ethan la veille. J’allumais le TBI, puis je rejoignis la salle des profs pour faire mes quelques photocopies du jour. La voix de Benjamin qui se plaignait raisonnait déjà dans les couloirs. J’entrais discrètement en ne disant pas même bonjour pour couper leurs discussions. Je fis la queue comme tous les collègues. Une fois le tout fait, nous nous servîmes une grande tasse de café, comme un rituel. Lorsque notre directrice débarqua, elle fit le lien entre nous et enfin je fus intégrée à leurs charabias. Ils étaient mes collègues et pas mes amis. Ca faisait bien des différences.

-Ce matin, lança Anna notre directrice, je passerai dans vos classes pour chercher des élèves.

-Déjà la cantine et maintenant ça ! râla Jasmine la prof des CE1 particulièrement casse pied cette année. On va commencer à travailler à dix heures si ça continue.

Anne fronça les sourcils mécontente :

-Laisse moi finir.

Elle ne reprit qu’une fois qu’elle fut sûre que tous le monde se tût pour l’écouter. Quelquefois, les gestes professionnels devenaient des déformations et on les utilisait partout, dans n’importe quelle situation du quotidien.

-J’ai reçu des directives de l’inspecteur. J’ai une liste d’élèves qui ne peuvent plus assister aux cours. La police viendra les chercher. Il ne faut pas inquiéter les autres élèves donc faîtes comme si tout était normal.

-Pourquoi ? intervins-je. Pourquoi certains élèves n’auraient plus le droit de venir à l’école et d’autres oui ?

-Je ne fais pas les lois, soupira-t-elle.

-Mais on n’est pas obligé de leur obéir si on juge que ce n’est pas bien. On n’est pas des chiens de l’état merde !

Je me sentais révoltée. Non seulement je n’étais pas d’accord avec ces directives ni avec les inégalités. Mais en plus, j’étais la seule, semblait-il, à m’en révolter et à en avoir quelque chose à faire du sort de ces enfants.

-Que voudrais-tu faire ?

-Bah je ne sais pas. Boycotter leurs projets par exemple, répondis-je comme si elle était idiote.

-Chacun fait ce qu’il veut mais pas dans mon école. Ici, on respecte nos supérieurs.

Furieuse et humiliée, je retournais dans ma salle. Je voulais faire quelque chose pour ces enfants que je considérais presque comme les miens au fil de l’année. A neuf ans, on n’était pas censé se faire embarquer par les autorités. Surtout pas pour quelque chose qui relevait de l’être et non du crime.

Les élèves commençaient à arriver au compte-goutte. Je me demandais qui étaient les heureux élus par notre gouvernement. Ces derniers jours avaient vu grimper en flèche l’absentéisme. J’avais mis cela sur le compte de l’épidémie de gastro qui ravageait les toilettes. Mais ça n’en était pas la cause principale. Je me trouvais bête de ne pas avoir songée que la situation pouvait empirer et que je pouvais me faire complice de ces crimes.

Un parent m’interpella à la porte. Malgré l’interdiction de se balader dans les couloirs, il n’était pas rare d’en croiser.

-Je voulais vous voir car Mathys s’est disputé avec …

Et encore une maman trop intrusive dans la vie de son fils et qui l’adulait comme un dieu vivant. Si Freud était là, il y verrait l’origine d’une homosexualité.

-J’y veillerai, promis-je

En échange de toute ma bienveillance, j’espérais au moins avoir une bonne boîte de chocolat pour Noël.

Tous les présents étaient arrivés. J’aurais pu agir. J’aurais dû le faire. Mais je n’en fis rien. J’obéis comme un mouton à qui on aurait retiré la capacité de faire ses propres choix. Sans surprise, dès que sonna le début des cours, Anna vint dans ma classe en premier. Par peur, sans doute, que je ne fasse une bêtise si on m’en donnait le temps.

-Bonjour les enfants, les salua-t-elle. Les enfants que j’appellerai, vous viendrez sous le préau avec moi. Nous vous avons choisi pour peindre le décor du spectacle de Noël.

-Oh mais moi aussi je veux le faire ! s’exclama Ethan

-Chut ! le réprimandai-je tandis qu’il me tapait déjà sur les nerfs.

Elle énuméra un total de onze élèves tous plus heureux les uns que les autres de quitter la classe sans avoir réellement commencé à travailler.

-Mouais. Des noirs, des arabes et un chinois. Que des étrangers. Tu me feras pas croire qu’ils vont les emmener au parc non plus …

-Ne fais pas une scène, chuchota-t-elle. Ils sont juste derrière, ils peuvent t’entendre.

Je passais la tête. En effet, les clones n’étaient pas loin. Ils menaçaient notre société et la rendaient encore plus néfaste.

-C’est vraiment dégueulasse ce que vous faîtes, lui dis-je à son encontre.

L’homme pointa son arme vers moi.

-Qu’est-ce que t’as dis ?

Quitte à mourir, autant mourir en héroïne. Sainte Apolline, martyre et patronne des enfants détestée, priez pour nous.

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